L’abbaye Saint-Joseph de Clairval, à Flavigny, a fondé en 2021 le prieuré Saint-Joseph qui a été accueilli par l’évêque de Limoges dans la prestigieuse abbaye de Solignac, faisant ainsi revivre à la vie religieuse ce site magnifique chargé d’histoire. Entretien avec le prieur qui évoque pour nous cette belle aventure qui exige un soutien spirituel et financier, ce qui nous a donné l’idée d’établir un partenariat avec CredoFunding pour aider les moines. Soyez généreux !
La Nef – Vous êtes une fondation de l’abbaye Saint-Joseph de Clairval. Pouvez-vous nous donner un bref aperçu de l’origine de la communauté de Flavigny ? Quelles sont les caractéristiques propres à votre communauté ?
Père Benoît-Jospeh Marie – L’abbaye Saint-Joseph de Clairval est une communauté bénédictine vivant selon la Règle de saint Benoît. Son fondateur, Dom Augustin-Marie Joly, formé dans sa vie spirituelle par les prêtres CPCR (Coopérateurs paroissiaux du Christ-Roi), a intégré l’abbaye bénédictine Notre-Dame de Maylis en 1964, après son veuvage. Cette communauté, à l’époque, avait la particularité de participer à certaines sessions des Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola donnés par les CPCR. En 1972, Dom Augustin se trouva amené à fonder un monastère bénédictin en Suisse, alliant vie bénédictine et prédication de retraites ignaciennes. Ce prieuré se déplaça ensuite à Flavigny-sur-Ozerain, dans le diocèse de Dijon, en 1976.
En 1988, la communauté reçoit l’approbation canonique et est reconnue comme monastère de droit diocésain.
Ainsi, nous sommes une communauté bénédictine un peu atypique, puisque nous sommes des moines suivant la Règle de saint Benoît, tout en nous inspirant des Exercices spirituels de saint Ignace dans le cadre de l’hospitalité monastique.
Vous vous êtes officiellement installés à Solignac le 28 novembre 2021. Quels motifs vous ont guidés dans ce choix de Solignac ?
La volonté de fonder était surtout liée au fait que la communauté avait atteint un certain seuil qui engendrait des difficultés, entre autres quant aux locaux de l’abbaye, c’est-à-dire quant à la capacité d’accueil de nouveaux frères, ou même de retraitants.
Le choix s’est porté sur Solignac, principalement pour deux raisons. La première vient du fait que Solignac est une très ancienne fondation monastique (en 638 par saint Éloi), comme d’ailleurs Flavigny (en 720). En ce lieu, se sont succédé des générations de moines, excellent terreau monastique sur lequel va « pousser » une nouvelle résurgence du vieux tronc bénédictin : plus de 1150 années de présence monastique nous relient à une grande tradition, renouant ainsi avec une chaîne de prière. Par ailleurs, la commune est bien desservie par le train et la route, sa position est centrale. Avec Flavigny, ces deux lieux sont géographiquement complémentaires pour pouvoir accueillir des retraitants.
Le cadre de Solignac est-il propice à une vie monastique authentique ? Comment s’est passée votre arrivée et qu’en est-il aujourd’hui ? Où en est la communauté aujourd’hui ?
Voilà trois ans que les premiers frères sont arrivés à Solignac. Nous avons suffisamment de recul pour apprécier le cadre et les bâtiments construits en grande partie dans la première moitié du XVIIIe siècle par les moines de la congrégation de saint Maur. Et surtout c’est une joie immense de chanter l’office divin et de célébrer la messe conventuelle dans la splendide abbatiale du XIIe siècle.
Depuis notre installation officielle le 28 novembre 2021, mis à part l’opposition due à un petit groupe de libres-penseurs, nous pouvons dire que nous sommes bien accueillis par la population locale, même si la grande majorité est éloignée de l’Église.
À ce jour la communauté compte onze moines (huit prêtres et trois frères) et un postulant qui suit sa formation à Flavigny. D’autres prétendants frappent à la porte du prieuré.
Quelles sont vos relations avec l’évêque et le clergé du diocèse de Limoges ?
Les relations avec l’Église locale sont bonnes. Nous avons été très bien accueillis dans le respect de notre identité forgée par notre histoire et notre mode de vie. Mgr Pierre-Antoine Bozo, l’évêque de Limoges, nous témoigne beaucoup de bienveillance et nous lui sommes très reconnaissants de son soutien paternel.
Solignac est un haut lieu historique du diocèse et les bâtiments étaient vacants depuis dix-sept ans. Redonner vie à ces murs était une des principales préoccupations du diocèse.
Vous célébrez les Offices en latin et grégorien dans une magnifique abbatiale : quelle importance revêt la liturgie dans votre vie monastique ? Et comment vivez-vous les querelles liturgiques nées de Traditionis custodes ?
Chacun sait l’importance de la liturgie dans la tradition bénédictine. Nous chantons tous les offices dans l’abbatiale dès 5h30 avec les Vigiles jusqu’aux Complies le soir. La messe conventuelle, à 9h30 en semaine et 10h30 les dimanches et fêtes d’obligation, est célébrée suivant le missel de Paul VI avec l’autel ad orientem et chantée en grégorien. Après les Vigiles ou les Laudes les fidèles peuvent assister chaque jour à une messe basse suivant le missel de saint Pie V.
Concernant Traditiones custodes, nous nous efforçons de vivre ce que saint Paul écrit aux Ephésiens : « Ayez soin de garder l’unité dans l’Esprit par le lien de la paix » (Ep 4, 3). Nous sommes enfants de l’Église et la liturgie n’est pas la propriété ou le monopole d’une personne ou d’un groupe. À la suite de l’encyclique Mediator Dei du pape Pie XII, le concile Vatican II dans la constitution sur la liturgie Sacrosanctum concilium affirme clairement : « Le droit de régler l’organisation de la liturgie dépend uniquement de l’autorité de l’Église ; il appartient au Siège apostolique et, selon les règles du droit, à l’évêque. En vertu du pouvoir donné par le droit, l’organisation de la liturgie, appartient aussi, dans les limites fixées, aux diverses assemblées d’évêques légitimement constituées, compétentes sur un territoire donné. C’est pourquoi absolument personne d’autre, même prêtre, ne peut, de son propre chef, ajouter, enlever ou changer quoi que ce soit dans la liturgie » (n. 22).
De plus, les propos du pape Benoît XVI dans sa lettre aux évêques accompagnant le motu proprio Summorum pontificum invitent encore aujourd’hui ceux qui célèbrent suivant le nouvel Ordo à un examen de conscience pour mettre de la dignité et de la sacralité dans leurs célébrations liturgiques : « Les deux Formes d’usage du Rite Romain peuvent s’enrichir réciproquement […]. Dans la célébration de la Messe selon le Missel de Paul VI, pourra être manifestée de façon plus forte que cela ne l’a été souvent fait jusqu’à présent, cette sacralité qui attire de nombreuses personnes vers le rite ancien. La meilleure garantie pour que le Missel de Paul VI puisse unir les communautés paroissiales et être aimé de leur part est de célébrer avec beaucoup de révérence et en conformité avec les prescriptions ; c’est ce qui rend visible la richesse spirituelle et la profondeur théologique de ce Missel. […] Il n’y a aucune contradiction entre l’une et l’autre édition du Missale Romanum. L’histoire de la liturgie est faite de croissance et de progrès, jamais de rupture. Ce qui était sacré pour les générations précédentes reste grand et sacré pour nous, et ne peut à l’improviste se retrouver totalement interdit, voire considéré comme néfaste. Il est bon pour nous tous, de conserver les richesses qui ont grandi dans la foi et dans la prière de l’Église, et de leur donner leur juste place. »
On peut se poser aussi la question de savoir si le rejet de cette affirmation du pape Benoît XVI dans la même lettre de la part de certains prêtres et fidèles attachés à la messe de saint Pie V, ne serait pas un des motifs qui a amené le pape François à publier Traditionis custodes : « Évidemment, pour vivre la pleine communion, les prêtres des communautés qui adhèrent à l’usage ancien ne peuvent pas non plus, par principe, exclure la célébration selon les nouveaux livres. L’exclusion totale du nouveau rite ne serait pas cohérente avec la reconnaissance de sa valeur et de sa sainteté. » En effet, une telle attitude ne favorise pas la paix et l’unité dans l’Église.
Vous prêchez des retraites selon les Exercices spirituels de saint Ignace : pouvez-vous nous donner un aperçu de ces retraites ? S’adressent-elles à toutes sortes de personnes ?
Ces retraites suivent la méthode des Exercices spirituels de saint Ignace donnés aux hommes en cinq jours. Ces exercices ont pour but d’aider le retraitant, dans un climat de silence et de prières, à chercher et trouver Dieu, à mettre de l’ordre dans sa vie en se conformant à la volonté de Dieu en vue de son salut : « L’homme est créé pour louer, honorer et servir Dieu, Notre Seigneur, et ainsi sauver son âme » (Exercices spirituels, n. 23, « Principe et fondement »).
La retraite commence par un travail de purification de l’âme qui veut renoncer au péché, aux occasions de pécher, à l’esprit du monde. Dieu a créé l’homme pour le bonheur, qu’il ne pourra atteindre qu’en se mettant à la suite du Christ et sous son étendard. Le retraitant apprend à connaître et imiter le Christ dans la contemplation de sa vie depuis son Incarnation, sa vie cachée, sa vie publique, la Passion et jusqu’à la Résurrection et son Ascension.
La retraite s’achève dans une contemplation pour obtenir l’Amour divin : « Je demanderai la connaissance intime de tant de bienfaits que j’ai reçus de Dieu, afin que dans un vif sentiment de gratitude, je me consacre sans réserve au service et à l’amour de sa divine Majesté » (Exercices spirituels, n. 233).
En presque trois ans, avez-vous déjà entrepris de gros travaux pour remettre en état les bâtiments, et si oui, lesquels ? Quels sont actuellement vos projets ?
Les débuts de notre installation à Solignac n’ont pas été faciles. Des bâtiments inoccupés pendant presque vingt ans, sans eau chaude, un réseau électrique ancien et défectueux, peu de chauffage, beaucoup d’humidité à l’intérieur des bâtiments, c’est dans ces conditions précaires qu’il a fallu lancer la vie communautaire et affronter le premier hiver.
Aujourd’hui on peut dire que les choses vont bien. La fondation a pris son envol. Les premiers aménagements pour vivre sainement ont été réalisés. Les bâtiments vastes de l’abbaye de Solignac ont besoin de retrouver une nouvelle jeunesse, et certaines parties nécessitent une restauration importante avec des mises aux normes coûteuses… Déjà certains travaux ont été réalisés, dont le plus important a été la rénovation d’une toiture de 300 m2.
Les projets de restauration pour redonner vie à ce lieu emblématique et l’adapter à nos besoins d’aujourd’hui sont nombreux. Une hôtellerie, un réfectoire suffisamment vaste, des cuisines, le bâtiment de la porterie, l’aménagement de cellules monastiques, l’aménagement d’un parc pour nos retraitants ! Tout cela a un coût. Le prochain chantier que nous envisageons est la création d’une hôtellerie pour accueillir dignement nos hôtes, dont le coût est évalué à 1,8 million d’euros. Il y a aussi l’aménagement d’un magasin monastique sur la place de l’abbatiale.
L’office divin et l’accueil de retraitants sont au cœur de votre charisme. Mais quelles sont vos autres activités ? De quoi vivez-vous ?
« Ora et labora », prie et travaille (devise de l’Ordre bénédictin), décrit bien l’équilibre de la journée monastique répartie entre prière et travail. Pour saint Benoît, comme pour toute la tradition monastique, on ne peut séparer le bien spirituel et l’aspect matériel de la vie monastique. Il s’ensuit la nécessité de trouver des ressources pour faire vivre la communauté.
Dans notre recherche d’une activité lucrative, très rapidement la production d’une bière d’abbaye s’est imposée. Depuis début juillet, c’est chose faite : la « bière de l’Abbaye de Solignac » est disponible.
Trois recettes ont vu le jour : une blonde à 5°, une blonde aux plantes (principalement de la camomille) à 7° et une triple au miel à 8°. Elles ont été élaborées en collaboration avec un spécialiste du monde de la bière. Dans un premier temps, nous nous sommes rapprochés de la brasserie de Montmorillon pour la production des bières. Dès que possible, la brasserie des moines sera montée à Solignac.
La distribution des bières est assurée pour l’instant par des commerçants locaux. On peut aussi se procurer des bières en s’adressant directement au Prieuré. Prochainement sur le site internet du Prieuré, on pourra trouver la liste des lieux de vente en Haute-Vienne et rapidement, espère-t-on, dans toute la France. Une vente en ligne sera également bientôt accessible.
Nous avons aussi un frère sculpteur qui apporte par son travail quelques revenus.
Quel regard portez-vous sur l’Église, qui traverse une période pleine de turbulences ? Et sur notre monde marqué par une déchristianisation et un manque d’espérance criant ?
Le drame aujourd’hui, c’est que les chrétiens ignorent leur foi et ainsi sont sans repères, ballottés à tout vent. Combien ne savent pas pourquoi ils sont sur cette terre et quelle est leur destinée éternelle. La foi n’est pas un self-service et le paradis n’est pas automatique. On ne vit pas sa foi habité par de vagues sentiments religieux. Ce qui manque c’est la formation solide. Il faut revenir aux bases d’un bon catéchisme.
Notre monde est sans repères car il s’est édifié comme si Dieu n’existait pas. Tous, nous recherchons le bonheur et celui-ci ne se trouve qu’en Dieu qui est l’origine et la fin de toutes choses. Il ne faut pas que les chrétiens aient peur de témoigner de leur foi et de vivre les commandements de Dieu sans compromis.
Comment peut-on vous aider ?
Nous aider ! Avant tout par la prière pour que nous soyons de saints moines fidèles à leur vocation.
Vous vous en doutez, nos chantiers sont nombreux et nous avons peu de moyens. À ce jour, seule la générosité de bienfaiteurs peut nous permettre de faire face. Toutes les aides financières sont bienvenues en faisant un don au prieuré (certains dons en nature nous sont utiles, comme différents matériels : agricoles, d’entretien parc, d’apiculture, d’entretien professionnel et de nettoyage, de cuisine, outils, ordinateurs, etc.).
Propos recueillis par Christophe et Élisabeth Geffroy
Aidez le prieuré Saint-Joseph de Solignac dans le cadre de notre campagne de dons avec CredoFunding :
– Pour effectuer un don défiscalisé au prieuré Saint-Joseph de Solignac par carte bancaire ou virement : sur le site CredoFunding, votre don vous permettra de bénéficier d’un abonnement cadeau à La Nef à offrir à un tiers : https://www.credofunding.fr/fr/abbaye-solignac
– Pour effectuer un don défiscalisé au prieuré Saint-Joseph de Solignac par chèque, libellez votre chèque à l’ordre de la Fondation des Monastères et adressez-le à :
Prieuré Saint-Joseph – Opération CredoFunding
5 parvis des Bénédictins – 87110 Solignac
– Pour joindre les moines : https://benedictins-solignac.com / contact@benedictins-solignac.com / 07 48 12 84 46.
© LA NEF n°372 Septembre 2024