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La raison est pro-vie : entretien avec Matthieu Lavagna

Matthieu Lavagna, diplômé de mathématiques, de philosophie et de théologie, collabore à l’association Marie de Nazareth et développe des travaux d’apologétique. Il nous parle ici de son dernier livre et de ses ouvrages précédents.

La Nef – Pourriez-vous d’abord vous présenter succinctement et nous expliquer comment vous est venu cet intérêt pour l’apologétique ?
Matthieu Lavagna – Je travaille dans l’apologétique catholique pour l’association Marie de Nazareth depuis 2021. Mon intérêt pour cette discipline est venu très tôt. Dès le lycée, j’ai commencé à avoir des camarades de classe qui objectaient à ma foi. Beaucoup d’entre eux étaient athées et disaient que les religions n’étaient que des histoires pour enfants. J’ai vite senti que je devais rendre compte de ma foi pour paraître « crédible » devant mes camarades. Cette motivation à défendre le christianisme par des arguments m’a très vite poussé à étudier l’apologétique.

Dans un monde où seul semble compter le témoignage, où la raison n’a plus le statut qu’elle avait, pourquoi développer cette discipline ?
Il me semble qu’il faut développer l’apologétique parce qu’elle a le mérite de montrer en quoi notre foi est fondée en raison par des éléments externes objectifs et non pas simplement sur le témoignage personnel. Nous vivons malheureusement à une époque où la foi est souvent considérée comme un pur « ressenti » émotionnel sans aucun rapport avec la rationalité. Or une telle conception de la foi me semble profondément erronée : la vraie foi n’est pas un sentiment mais une réelle adhésion de l’intelligence à la vérité révélée par Dieu. Bien que le témoignage personnel puisse toucher certaines personnes, l’expérience émotionnelle en tant que telle, reste insuffisante pour fonder la vérité d’une religion. Après tout, les témoins de Jéhovah eux aussi disent qu’ils « ressentent Dieu » dans leur cœur et cela n’implique pas que leur religion est vraie. C’est pourquoi il faut des arguments pour départager les religions entre elles sur le plan de la vérité. C’est en cela que l’apologétique est utile.

Le but de l’apologétique n’est-il pas davantage de crédibiliser la foi catholique plus que de « convertir » un lecteur ?
L’apologétique ne donne pas la foi au sens propre, c’est entendu. En bonne théologie, la foi est un don de Dieu surnaturel qui n’est pas le fruit d’une somme d’arguments rationnels. En revanche, l’apologétique peut disposer à la foi, en tant qu’elle donne à l’homme des motifs de crédibilité facilitant l’acte de foi chez la personne de bonne volonté qui serait prête à y croire « si c’était vrai ».

Vous travaillez avec l’association Marie de Nazareth et 1000 Raisons de croire : comment avez-vous rencontré ces associations, qu’apportent-elles dans ces débats ?
Je suis entré à Marie de Nazareth grâce à Olivier Bonnassies qui m’a recruté en 2021 à la suite de la rédaction de mon premier livre d’apologétique. Récemment l’association a fondé un parcours 1000 Raisons de croire dans le but de montrer que « la foi chrétienne est vraie, qu’il y a mille raisons d’y croire et que rien ne peut lui être comparé ». J’y participe dans la rédaction de certains articles même si je suis aussi occupé à faire de la recherche de mon côté pour rédiger mes livres et donner des conférences. Il me semble qu’il est aujourd’hui nécessaire de développer l’apologétique sur les réseaux sociaux, sur YouTube et autres plateformes en vue de montrer la beauté, la vérité et la profondeur de la foi catholique. Nous avons pour projet de débattre avec les athées, les musulmans, les juifs et autres courants de pensée pour confronter nos positions aux objecteurs, toujours dans le respect mutuel évidemment.

Vous avez publié en 2022 Soyez rationnel, devenez catholique : que souhaitiez-vous dire avec cet essai ?
Dans ce livre, j’ai voulu montrer en quoi, la raison humaine peut aboutir à la vérité du catholicisme par une argumentation méthodique. La première partie est consacrée aux preuves de l’existence de Dieu en philosophie, la seconde tente de montrer la crédibilité historique de la révélation chrétienne et la troisième consiste à montrer que le catholicisme est la dénomination chrétienne la plus crédible par rapport au protestantisme et à l’orthodoxie. L’ouvrage répond notamment à une grande quantité d’objections faites à l’égard de l’Église catholique.

Votre précédent livre, Non le Christ n’est pas un mythe, s’attaque à réfuter Michel Onfray qui affirme que Jésus n’a pas existé : pourquoi avez-vous voulu lui répondre ?
J’ai voulu répondre à Michel Onfray parce que celui-ci manifeste ce qu’il n’est pas exagéré d’appeler une véritable haine du christianisme et particulièrement de l’Église catholique. Il ne le montre pas trop sur les plateaux télévisés, mais lorsqu’on se penche sur ses écrits, la réalité est bien différente ! Dans ses livres, tous les registres du discours anti-chrétien sont mobilisés : la négation de faits historiques, comme l’existence de Jésus, l’insulte à l’égard de saint Paul en particulier, le mépris, la diffamation, reprenant de nombreux poncifs de la polémique anticatholique. L’Église est ainsi accusée d’être tout à la fois misogyne, criminelle, antisémite et nazie. Michel Onfray rapporte de fausses informations sans les avoir étudiées et ne cite quasiment jamais ses sources. Ses écrits sur le christianisme ne ressemblent pas à une analyse objective et honnête des faits. C’est pourquoi il m’a semblé urgent de lui faire une réponse démontant méthodiquement une à une les absurdités qu’il a proférées contre la foi chrétienne. Cela m’a semblé d’autant plus nécessaire que certains de ses ouvrages, comme le Traité d’athéologie, ont été vendus à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires !

Dans votre nouveau livre, La raison est pro-vie, quel est votre objectif ?
Dans une société française où l’on n’ose plus débattre de la question taboue de l’avortement, je me disais qu’il serait utile d’écrire un livre d’argumentation strictement rationnelle pour défendre philosophiquement la position anti-avortement. Beaucoup de Français pensent que la question de la moralité de l’IVG est fondée sur la croyance religieuse et qu’elle relève donc de l’ordre du privé. Or c’est tout le contraire ! Il existe un grand nombre d’arguments philosophiques ayant été développés contre l’avortement, notamment chez les philosophes anglosaxons contemporains. C’est pourquoi, j’ai voulu aborder ce sujet posément avec des arguments clairs sans tomber dans l’invective mutuelle habituelle. J’espère que ce livre aura de quoi convaincre toute personne en recherche sincère de vérité sur cette question.

En lisant votre argumentation très serrée et cependant très claire, on ne peut que vous suivre dans l’affirmation objectivement incontournable que l’avortement consiste à tuer une personne innocente : comment expliquez-vous que ce fait soit à ce point nié et un tel aveuglement face à la réalité de l’avortement ?
Je dirais que beaucoup de gens ignorent malheureusement les faits scientifiques (embryologie et développement prénatal) ainsi que les différentes méthodes d’avortements en fonction du stade de la grossesse. Le Planning familial fait tout pour cacher ces faits au grand public comme je le montre dans le livre. Il me semble aussi que notre société libérale veut absolument que l’avortement soit promu parce que les gens veulent être libérés du fardeau potentiel d’un enfant comme conséquence naturelle d’un acte sexuel. Étant donné que le monde moderne promeut une sexualité complètement libérée sans aucune responsabilité, lorsque l’enfant arrive, c’est la catastrophe ! C’est pourquoi notre société veut garder l’avortement légal.

Comment voyez-vous un renversement des esprits sur l’avortement ? Une information plus objective et équilibrée serait-elle de nature à retourner l’opinion ?
Oui il me semble qu’une information objective sur l’avortement est essentielle pour convaincre nos contemporains de ne pas pratiquer cet acte. Tous les jeunes devraient être informés à l’école sur les stades du développement fœtal et de la rapide croissance de l’enfant à naître pendant la grossesse. Pour toucher les esprits moins réceptifs à l’argumentation rationnelle, l’usage de photos et de vidéos montrant à quoi ressemblent les avortements peut être utile en vue faire prendre conscience de la réalité de cet acte. Ne cherchons pas à cacher la réalité aux gens !

Avez-vous reçu un soutien ou des encouragements des autorités de l’Église dans votre travail d’apologétique ? Savez-vous comment elles regardent ce travail ?
Oui, j’ai régulièrement des prêtres et des évêques qui me félicitent pour mes livres. Mgr. Rey avait même accepté d’écrire la préface de mon premier affirmant qu’il était ravi « de voir que la jeunesse vienne prendre la relève ». Mgr Léonard a aussi fait une recension positive de l’ouvrage dans La Nef et l’historien Jean-Christian Petitfils a qualifié mon livre de « brillant travail d’apologétique ». Je dois dire que je m’appuie sur des épaules de géants et que le mérite revient surtout aux apologètes américains qui nous ont largement devancés dans cette entreprise !

Propos recueillis par Christophe Geffroy

Ouvrages de Matthieu Lavagna :
La raison est pro-vie. Arguments non-religieux pour un débat dépassionné, Artège, 2024, 280 pages, 18,90 €.
Libre réponse à Michel Onfray. Non le Christ n’est pas un mythe, Artège, 2024, 260 pages, 18,90 €.
Soyez rationnel, devenez catholique !, Marie de Nazareth, 2022, 426 pages, 24 € (une version résumée a été publiée en 2023).

© LA NEF n° 372 Septembre 2024