Benoît Duteurtre ©Wikimedia

Duteurtre au paradis ?

Ne laissons pas s’achever 2024 sans rendre un bref hommage à Benoît Duteurtre, mort juste avant la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques. De quoi assurer une fin plus douce au plus murayen des romanciers contemporains ?

À la nouvelle de sa mort, il était tentant de se consoler avec les premiers mots du narrateur de son Ordinateur du paradis : « Ce moment redouté qui nourrit toutes nos angoisses m’est plutôt apparu comme une libération. » Si la mort signe la fin des agacements terrestres, Duteurtre se confond avec son narrateur : mourir l’a libéré du franglais généralisé, des fausses révoltées conformistes (La Rebelle), de la transformation des vaches qu’il aimait tant en pollueuses d’atmosphère éco-citoyenne (En marche !), des enfants justiciers crus sur parole et même de la télé-réalité étendue jusqu’à l’exécution d’otages par des islamistes (La petite fille et la cigarette, qu’on appellera exprès son « best-seller », dans le secret espoir de le voir ressusciter d’indignation). Mort qui libère ? Dans L’ordinateur du paradis, la douane céleste soumet son héros à des supplices qui ne font que prolonger les absurdités humaines. Gageons que Duteurtre ait compris que les critères de Dieu ne sont pas ceux des tribunaux médiatiques.

Si brillants et drolatiques que soient ses romans farcesques – « l’immense bouffonnerie » du monde que Muray demandait à un romancier de révéler –, on ne peut limiter le talent de Duteurtre au registre satirique. L’émotion déjà ponctuellement présente dans Le voyage en France, son prix Médicis, affleure partout dans les volumes de son autobiographie romancée. Les souvenirs d’enfant de ses vacances vosgiennes (Ma vie extraordinaire) sont pleins de touches délicates. Dans les Vosges, il connut les trois enchantements durables de « sa besace affective » : « celui de l’eau, celui de la forêt, et celui de la prairie sur la montagne. »

Les souvenirs du catéchisme, eux, nous ramènent à la veine satirique de L’ordinateur du paradis : l’enfer qui n’existe pas, à part à la rigueur pour Hitler, mais pas pour Mao et Staline… On ne sait si Duteurtre croyait à un jugement divin, mais il refusait en tout cas d’entonner « On ira tous au paradis ». Duteurtre au paradis ? Nul ne peut le dire. Nous pouvons œuvrer, en revanche, à ce que son œuvre ne connaisse pas de purgatoire.

Henri Quantin

© LA NEF n° 375 Décembre 2024