Qu’est-ce vraiment que la prière chrétienne ?

La prière chrétienne est un don de Dieu. Elle n’est pas avant tout un moment ou une activité que nous consentons au Seigneur ; c’est Dieu qui nous donne de pouvoir prier. Aussi la prière commence à rendre grâce à Dieu qui nous a « estimés dignes de nous tenir devant [lui] pour [le] servir » (Prière eucharistique II). Merci, Seigneur, de me permettre d’« être-là ».
La prière chrétienne est l’actualisation de notre relation personnelle avec le Seigneur. Elle suppose que nous avons été établis, par le baptême, dans une relation personnelle avec Dieu, notre Père, notre Frère et Ami, notre Hôte divin. Ce rapport interpersonnel, il convient de l’actualiser à certains moments dans des entretiens ou des échanges faits d’écoute et de réponse. C’est le fameux « commerce cordial avec ce Dieu qui nous aime et dont on se sait aimé » de Thérèse d’Avila. L’écoute se réalise à partir de la Parole de Dieu (la lectio divina), des impératifs de notre conscience, de tous les mouvements intérieurs que l’Esprit suscite en nous. Dans la prière, on ne parle pas de Dieu à la troisième personne du singulier mais on parle à Dieu à la deuxième personne ! Prier n’est pas se regarder prier mais prendre le Christ comme objet de contemplation pour qu’il devienne le sujet de notre existence. Prier implique la perte progressive de la conscience de prier.

La prière chrétienne est fondée sur trois piliers :
1/ la prière liturgique, comme la messe ou les vêpres ;
2/ la prière vocale dévotionnelle, comme le chapelet ou le chemin de croix ;
3/ l’oraison mentale, qui est silencieuse. Ces trois grands types de prière sont complémentaires. Sans la prière liturgique, qui est objective, on évite difficilement l’écueil fatal de l’introspection ; sans la prière dévotionnelle, qui est affective, la prière devient vite desséchée ; sans l’oraison mentale, la prière tourne facilement en logomachie.

La prière chrétienne est multiforme : la prière de demande, par exemple, peut porter sur un objet déterminé, ou requérir le secours divin en général, ou bien simplement exposer un fait : « Ils n’ont plus de vin » (cf. Thomas d’Aquin, Somme de théologie, IIa-IIae, q. 83, a. 17).
Sur la prière de demande, relevons qu’il ne s’agit pas de notifier à Dieu nos besoins qu’il connaît mieux que nous, mais de prendre nous-mêmes conscience que nous dépendons de lui. Cette prière doit être insistante, à la limite du harcèlement spirituel et doit aboutir à demander le don suprême qu’est l’Esprit Saint (cf. Lc 11, 5-13 sur l’ami importun). Cette prière requiert la foi d’être exaucé : « Tout ce que vous demandez dans la prière, croyez que vous l’avez déjà reçu, et cela vous sera accordé » (Mc 11, 24).

La prière chrétienne est un cri : « Des profondeurs, je crie vers Toi, Seigneur ; Seigneur écoute ma voix ! » (Ps 130). C’est le cri d’angoisse d’un homme pécheur qui se trouve dans une situation où la mort a déjà marqué des points. Mais c’est un cri d’espérance car « notre secours est dans le Nom du Seigneur ».

Les préalables de la prière chrétienne. La vie spirituelle n’est pas une activité séparée ou dissociable de notre vie humaine et particulièrement de notre vie morale. Il y a, en effet, une « unité de vie » réalisée précisément par la prière qui irradie toutes nos puissances et oriente toutes nos activités. La prière s’inscrit dans un processus de conversion. La prière, par ailleurs, n’est pas une activité sporadique. Si on compare justement la prière à la respiration (de l’âme), c’est notamment en raison du caractère continu de la respiration. La « prière-acte » suppose et implique un « état de prière » à titre de préparation et de prolongement.

Les conditions spatio-temporelles de la prière. Concernant la durée, « la prière doit durer aussi longtemps qu’il est utile pour entretenir la ferveur du désir. Lorsqu’elle excède cette mesure, au point de ne pouvoir se prolonger sans dégoût, il ne faut pas s’y étendre davantage » (IIa-IIae, q. 83, a. 14 ). Sur la position de celui qui prie, « les signes d’humilité que nous exhibons extérieurement servent à stimuler notre cœur à se soumettre à Dieu, puisque nous accédons aux réalités intelligibles par les réalités sensibles » (IIa-IIae, q. 84, a. 2). Quant au lieu de la prière, si l’heure n’est plus venue de prier sur le mont Garizim ni à Jérusalem, mais d’adorer en esprit et en vérité (cf. Jn 4, 20-24), il convient d’entrer dans notre chambre où notre Père voit dans le secret (cf. Mt 6, 6), ce qui renvoie incidemment à des conditions de recueillement. Attention à l’incompatibilité de la prière avec l’abus des moyens numériques !

« Seigneur, apprends-nous à prier » (Lc 11, 1). Prier, c’est apprendre à prier, toute notre vie durant. La prière dans laquelle on reconnaît ne pas savoir prier est sans doute la meilleure prière !

Chanoine Christian Gouyaud

© LA NEF n°374 Novembre 2024, mis en ligne le 20 décembre 2024