«Ceux-là se trompent qui disent que la prison n’est rien, que l’essentiel est d’être libre dans sa tête car le dictateur ne peut y mettre son nez. Ce n’est pas son nez mais des balles que le dictateur aime mettre dans la tête de ses prisonniers. » Les mots du dernier livre de Boualem Sansal prennent une étrange résonance, à présent que l’écrivain franco-algérien est enfermé en Algérie. En affirmant que la liberté intérieure ne suffit pas, Sansal témoigne que sa révolte contre les systèmes tyranniques n’a rien de la pose romantique : sans la lucidité sur le risque réel d’être emprisonné, la prétention au courage de la plume n’est que fanfaronnade irresponsable.
Le français, parlons-en ! La moindre des choses est d’honorer l’invitation que nous lance le titre de son petit essai. Sansal y fait un bref, mais frappant parallèle entre Notre-Dame et « Notre-Langue », plaidant pour qu’on soit aussi attentif au sauvetage de l’une que de l’autre. « Un peuple qui perd sa langue devient un étranger dans son pays », affirme-t-il, constatant amèrement la dégringolade, à la radio comme dans la rue. Notre langue nous fait gardiens de trésor par héritage et nous ne cessons de dilapider nos richesses par désinvolture ou choix suicidaire.
Loin de limiter l’appel aux alentours d’un parvis parisien, Sansal rappelle dans le même temps que le rejet complet de la langue du colonisateur a mené son pays d’origine à toutes les régressions depuis les années 80. La langue et la culture française, chances pour l’Algérie indépendante, donc.
Sauver Notre-Langue. Ceux qui n’ont pas le temps de lire ou de relire ses livres (2084 qui supporte la comparaison avec son modèle orwellien, Le train d’Erlingen d’une grande virtuosité dans l’entrelacement des voix narratives, Le village de l’Allemand, courageux et très habile récit par journaux intimes interposés…) peuvent toujours avoir en tête cet acte de résistance minuscule et sans risque, qui consiste à parler français. C’est peu, bien sûr, mais cela peut au moins prouver que Sansal n’a pas préféré en vain la parole courageuse au silence complice. Manière de ne pas oublier ce prisonnier qui se présente comme un « écrivain francophone à la retraite en recherche d’une vraie espérance ».
Henri Quantin
- Boualem Sansal, Le français, parlons-en !, Cerf, 2024, 186 pages, 19 €.
Sansal, bouc émissaire d’un désastre
«Nul n’est prophète en son pays ». Cette phrase de l’Évangile de saint Luc ne pourrait-elle pas s’appliquer à l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, arrêté à l’aéroport d’Alger le 16 novembre dernier ? Motif de son incarcération : atteinte « à la sûreté de l’État, à l’intégrité du territoire, à la stabilité ou au fonctionnement normal des institutions » (art. 87 bis du Code pénal algérien). Cette accusation, assimilée par le même article à un acte « terroriste ou subversif », le rend passible de la prison à perpétuité. Que lui est-il reproché exactement ? De s’être aligné publiquement sur la position d’Emmanuel Macron concernant les droits souverains du Maroc sur le Sahara occidental. Outre ses critiques de l’islamisme et ses positions favorables à une paix juste entre Israël et les Palestiniens, partie importante de ses essais et de ses romans, le vrai motif de son arrestation ne serait-il pas sa récente naturalisation française ?
L’affaire a pris une tournure anti-française dans certains milieux algériens où, lors d’un documentaire télévisé, « Des serviteurs d’agendas occidentaux et marocains », Sansal a été présenté comme « un agent sous couvert d’écrivain, que la morale et la culture n’ont pas pu éduquer », tandis que son avocat, François Zimeray, se voyait interdire de se rendre à Alger pour visiter le prisonnier. Dans un entretien donné au CRIF, ce dernier a considéré que son client est « le bouc émissaire d’un désastre : la dégradation des relations franco-algériennes » (28 novembre 2024).
Annie Laurent
© LA NEF n° 376 Janvier 2025