Rome a publié le 4 mars une claire mise en garde contre Maria Valtorta, affirmant positivement que ses prétendues révélations ne sont pas d’origine surnaturelle. Comment comprendre cette position ?
Le 4 mars 2025, le Dicastère pour la Doctrine de la foi publie un bref communiqué au sujet des écrits de Maria Valtorta : « Les prétendues “visions”, “révélations” et “communications” contenues dans les écrits de Maria Valtorta ou en tout cas attribuées à celle-ci, ne peuvent être considérées comme d’origine surnaturelle, mais doivent être tenues pour de simples formes littéraires utilisées par l’autrice pour raconter, à sa manière, la vie de Jésus-Christ » (1).
Ce document confirme une mise en garde de la Commission doctrinale de la Conférence des Évêques de France (2) contre la diffusion des écrits de cette « mystique » soutenue par un véritable lobby valtortiste (3) qui, sous la plume d’un de ses membres, balaie d’un revers de la main le texte du Saint-Siège : « Le communiqué du dicastère pour la doctrine de la foi n’apporte en fait rien de nouveau sur le sujet. Il reprend les éléments de la Conférence épiscopale italienne du 6 mai 1992. […] Le seul acte officiel du Magistère la [Maria Valtorta] concernant, en 1960, a été aboli, en droit et en conséquence, en 1966 » (4).
C’est faire peu de cas d’un document officiel du Saint-Siège : l’œuvre de Maria Valtorta, intitulée initialement Le Poème de l’Homme-Dieu, a été mise à l’Index le 16 décembre 1959, mesure qui n’a été abolie ni en droit ni en conséquence, comme il ressort d’une lettre du 31 janvier 1985 du cardinal Ratzinger, alors préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi au cardinal Siri, archevêque de Gênes (5). Le 6 janvier 1960, L’Osservatore Romano (6) dénonce « une vie de Jésus mal romancée », avec des passages « qui ne brillent certainement pas par l’orthodoxie catholique », la prétention « d’élaborer une nouvelle mariologie qui dépasse facilement les bornes de la convenance » et « quelques pages plutôt scabreuses » (7).
Qui est Maria Valtorta ?
Maria Valtorta n’est presque connue que par son autobiographie. Née en 1897 à Caserte, elle est la fille « douce et pieuse » d’un sous-officier de cavalerie, bon et aimant, et d’une femme sévère, agnostique, qui ne l’aime pas. Après une enfance et une adolescence des plus classiques, elle nourrit deux projets de fiançailles que sa mère se serait évertuée à contrecarrer. Agressée le 17 mars 1920 par un anarchiste qui lui assène un coup de barre de fer dans les reins, elle passe une longue convalescence auprès d’une cousine, « professeure très cultivée, qui lui ouvrit sa bibliothèque bien garnie » ; au terme d’années dédiées à la lecture de mystiques et aux réunions de l’Action catholique, elle devient définitivement grabataire en avril 1934. En 1943, elle est engagée par son directeur spirituel, le servite Romualdo Migliorini, à écrire le récit de sa vie : quand elle a terminé, une vision du Christ en croix, le Jeudi saint 22 avril, marque le début de centaines de visions et d’enseignements de l’Esprit Saint, de son ange gardien et de divers saints, qu’elle transcrit jusqu’en novembre 1950. Véritable graphomane, elle écrit 122 cahiers couvrant 13 193 pages, auxquels il faut ajouter sa correspondance et divers feuillets. En 1954, elle cesse d’écrire et, deux ans plus tard, se mure dans un enfermement psychique en quoi ses adeptes veulent voir l’offrande de son intelligence à Dieu. Elle meurt le 12 octobre 1961. Les tentatives pour introduire sa cause de canonisation se sont heurtées jusque-là au refus catégorique du Dicastère pour les Causes des Saints.
Un « nouvel Évangile » à problèmes
Bien que Maria Valtorta se défende de vouloir écrire un nouvel évangile, le texte qu’elle a rédigé – connu aujourd’hui comme L’Évangile tel qu’il m’a été révélé, en 10 volumes – a fait l’objet de la part de « Jésus » lui-même d’une mise en forme aussi inaltérable que rigoureuse : agencement des chapitres de l’Évangile selon saint Jean et des passages des synoptiques, assortis d’abondants commentaires prétendument inspirés, au même titre que les textes canoniques qu’ils entendent compléter ! Et si le « Jésus » de Maria Valtorta proteste souvent que ces révélations ne comportent aucune hérésie, Don Guillaume Chevallier, prêtre de la Communauté Saint-Martin, y relève au moins trois propositions à fort relent hérétique.
La première a trait à la personne même de Jésus : « J’avais été Dieu. J’étais devenu l’homme. Maintenant, triomphant de l’animal conjoint à la nature humaine, voilà que j’étais l’Homme-Dieu » (L’Évangile tel qu’il m’a été révélé, II, 44, p. 243). Comme le souligne Don Chevallier : « On y entend, en même temps qu’une curieuse anthropologie (“l’animal conjoint à la nature humaine”), une profonde dualité entre l’humanité et la divinité de “Jésus” ainsi que la suggestion du devenir de Dieu en son Incarnation et d’un devenir de sa divinisation au cours de son existence terrestre » (8).
La deuxième hérésie concerne l’incarnation de Satan en Judas ; non une simple emprise extraordinaire, voire une possession, mais une véritable incarnation à l’instar de celle du Verbe dans la sainte Humanité de Jésus, avec laquelle elle est strictement mise en parallèle (L’Évangile tel qu’il m’a été révélé, IX, 1, p. 25).
Enfin, la troisième hérésie se rapporte à la Vierge Marie dont l’âme – étincelle du Feu divin (!) – préexiste à sa conception immaculée car elle est une « créature céleste fusionnée en la grande lumière et sagesse de Dieu » (L’Évangile tel qu’il m’a été révélé, I, 12, p. 55, cf. également I, 4, p. 29-30 et II, 103, p. 619). Et finalement, Maria Valtorta en vient à professer la création de toute âme humaine avant son habitation d’une chair…
Un Jésus et une Marie équivoques
Le personnage central de l’œuvre de Maria Valtorta n’est pas tant Jésus que la Vierge Marie, qualifiée de « super-Ève » (sic) : « Le Christ Jésus des Évangiles canoniques y est méconnaissable. […] Sa mère y est omniprésente, bavarde, elle aussi, maternante jusqu’au ridicule, sans compter l’inflation de superlatifs sur son aura de pureté qui la confine à une quasi-émanation directe du Divin. Jésus, de toute sa vie itinérante, semble ne jamais sortir de son adulation pour sa mère et de sa dépendance quasi infantile à elle. […] Le Jésus de Maria Valtorta se montre soucieux de sa petite personne qu’il aime à exalter, demandeur d’affections exclusives qui confinent à la pathologie narcissique » (9).
La relation de Jésus à Marie, ambiguë, est celle d’un petit garçon à sa maman, avide des caresses et des baisers maternels – jusqu’à la veille de la Passion –, qui porte sa mère aux nues, ne cessant de lui rappeler et de dire à ses disciples qu’elle est la Sainte et Immaculée Conception, et même la Vierge mère ! Une scène insoutenable est la réaction de Marie lors de l’ensevelissement du Sauveur, où la toute Sainte se répand en imprécations littéralement hystériques.
À l’égard de ses apôtres, Jésus se montre manipulateur et exerce une emprise perverse, fondée sur le culte du secret et s’exprimant par des gestes et des attitudes pour le moins équivoques, baisers sur la bouche et caresses. Il évolue dans un monde qui n’a rien de commun avec la Terre Sainte du Ier siècle, marqué par une profonde misogynie et une atmosphère de sensualité permanente, dans lequel les anachronismes les plus grossiers ne sont pas rares, que prétendent pourtant justifier certains pseudo-théologiens et spécialistes auto-institués.
Qui fut réellement Maria Valtorta ?
Les Cahiers de Maria Valtorta et sa correspondance nous révèlent une femme profondément dépressive, aigrie et vindicative qui se pose systématiquement en victime incomprise de tous, notamment des servites contre lesquels elle/« Jésus » n’a pas de mots assez durs et qu’elle menace d’un procès pour défendre son Œuvre ! Se lamentant en permanence sur ses souffrances et maladies, réelles ou supposées, elle est loin de faire preuve de la force d’âme et du détachement des mystiques authentiques, loin aussi de leur abandon serein à la volonté de Dieu, quand bien même ses voix la justifient comme la plus grande voyante de tous les temps : « Aucune âme voyante ne m’a autant vue que toi, en tant qu’Enfant, Épouse, Mère sur la terre, ou en tant que Reine des cieux » (Cahiers de 1945 à 1950, catéchèse du 28 décembre 1947).
Qui fut donc celle que « Jésus » appelait son « petit Jean martyrisé », la comparant au « grand Jean » qu’est l’évangéliste ? Sans doute une femme dotée de dons médiumniques exceptionnels – à l’instar d’un Jakob Lorber (1800-1864) ou d’un Edgar Cayce (1877-1945), qui ne lui cèdent en rien en matière d’inspiration et de prolixité, ou de la « voyante » bulgare Baba Vanga (1911-1996) – et d’une imagination débordante, qu’elle mit à profit dans des transes où elle transcrivait son expérience par le procédé de l’écriture automatique.
Joachim Bouflet
(1) Mathieu Lasserre, La Croix, 4 mars 2025.
(2) Du 29 septembre 2021.
(3) Yves Chiron, « Le lobby valtortiste », Aletheia, 17 juillet 2017.
(4) Communiqué de Benoît de Fleurac, de la Fondation Héritière Maria Valtorta, cité par Mathieu Lasserre, op. cit.
(5) Joachim Bouflet, Impostures mystiques, Cerf, 2023, p. 80, note 1.
(6) Journal qui représente la position officielle du Saint-Siège.
(7) « Una vita di Gesù malamente romanzata », L’Osservatore Romano, 6 janvier 1960.
(8) Don Guillaume Chevallier, « L’Évangile tel qu’il m’a été révélé de Maria Valtorta. Évaluation de trois éléments de doctrine », Charitas 15 (année XI, 2021), p. 116.
(9) Véronique Bélen, www.histoiredunefoi.fr, 2 août 2022.
Exemple d’extrait irrévérencieux
Passage tiré de L’Évangile tel qu’il m’a été révélé, de Maria Valtorta, rapportant une « plaisanterie » de Jésus à Pierre :
« Jésus se lève et appelle à haute voix : “Simon de Jonas, viens ici.”
Pierre sursaute et monte en vitesse l’escalier : “Que veux-tu, Maître ?”
“Viens ici, usurpateur et corrupteur !”
“Moi ? Pourquoi ? Qu’ai-je fait Seigneur ?”
“Tu as corrompu ma Mère. C’est pour cela que tu voulais être seul. Qu’est-ce que je dois te faire ?”
Mais Jésus sourit et Pierre se rassure. “Oh !” dit-il “tu m’as réellement fait peur ! Mais maintenant tu ris”…»
© LA NEF n° 379 Avril 2025