Le cardinal Müller, pendant le sermon prononcé devant les pèlerins à N.-D. de Chartres (capture d'écran YouTube)

Cardinal Müller : beaucoup de personnes restent ouvertes à la foi chrétienne

Le cardinal Gerhard Ludwig Müller a célébré l’an dernier la messe de clôture du pèlerinage de Chartres organisé par Notre-Dame de Chrétienté. Il nous livre ses réflexions sur ce pèlerinage qui affiche déjà complet pour son édition 2025, les 7, 8 et 9 juin prochain.

Lothar C. Rilinger (R.) : Le pèlerinage Paris-Chartres peut-il être compris comme une tentative de nouvelle évangélisation ?

Gerhard Ludwig Müller (M) : Oui, il s’intègre dans le grand projet de proclamer et de témoigner de « l’Évangile de Jésus, Christ, Fils de Dieu » (Marc 1, 1) aux jeunes et donc aux générations futures. La confession de foi que nous venons de citer se trouve au début de l’Évangile de Marc, qui fonde ce genre littéraire particulier que nous retrouvons sous quatre formes dans le Nouveau Testament. Mais, en réalité, même avant cette proclamation scripturaire de l’Église primitive, les apôtres avaient déjà proclamé « l’Évangile de Dieu » et « l’Évangile de son Fils » (Rom 1, 1 et 9) à tous les peuples, à savoir « aux Juifs comme aux Gentils », « comme la puissance de Dieu pour le salut de quiconque est devenu croyant » (Rom 1, 16). L’Évangile n’est donc pas une vision du monde ou un programme de découverte psychologique de soi, mais la Bonne Nouvelle, à savoir que, par la foi au Seigneur crucifié et ressuscité, nous trouvons le salut final et sommes libérés du pouvoir du mal et de la mort. Je pense que les jeunes qui ont participé à ce pèlerinage l’ont compris. Cette route de Chartres, parcourue malgré le vent et les intempéries, est un symbole du chemin de la vie à la suite du Christ. Dans le chant et la prière, dans l’échange d’idées, dans la catéchèse et la conversation spirituelle, mais aussi dans la célébration du sacrement de pénitence et dans les grandes messes avec des milliers de croyants, les jeunes font l’expérience que Jésus n’est pas une figure lointaine de l’histoire dont nous pouvons seulement nous souvenir et prendre comme exemple moral, mais que le Christ ressuscité est réellement présent dans le cœur de chaque croyant, et qu’il est aussi sacramentellement proche de nous qu’il était autrefois physiquement visible avec les disciples – avant et après Pâques. Car le Christ vit et intercède pour nous devant son Père, et c’est lui-même qui baptise et confirme. Et, dans l’Eucharistie, le Christ, comme Chef de l’Église, avec tous les membres de son Corps que sont les chrétiens, se livre par amour pour le Père et se donne à nous dans son Corps et son Sang comme nourriture pour la vie éternelle.

R. : Le nombre de participants à ce pèlerinage peut-il être compris comme un signe en provenance de France qu’il est possible de lutter contre la déchristianisation de nos sociétés ?

M. : Il est étonnant de voir, en France comme ailleurs, combien de personnes restent ouvertes à la foi chrétienne. Tout récemment, j’ai prononcé une conférence dans une paroisse parisienne à l’occasion du 1700e anniversaire du concile de Nicée de 325 (qui a défendu la divinité du Christ contre les ariens), en présence de plusieurs centaines de catholiques, en majorité des jeunes. Le nombre de baptêmes d’adultes est également encourageant dans cette France officiellement laïque. Soit dit en passant, la prétendue laïcité de l’État depuis la loi dite de séparation de 1905 n’est qu’un stratagème pour restreindre la liberté religieuse en tant que droit fondamental de pratiquer publiquement sa foi – avec l’affirmation idéologique que la religion est une affaire privée. En réalité, un État démocratique fondé sur les droits humains universels doit rester en dehors des choix religieux personnels de ses citoyens et de leurs organisations sociales. Et la sphère publique est l’espace de tous les citoyens, dans lequel l’État ne peut favoriser les incroyants ou les ennemis de l’Église au détriment des chrétiens ou des croyants d’autres confessions simplement parce que certains idéologues qui se considèrent éclairés accusent la religion d’être l’opium que des prêtres sournois administreraient à des personnes superstitieuses. L’État doit se limiter à servir le bien commun dans les affaires temporelles, en se tenant à l’écart des questions de conscience concernant la vérité et le but ultime de l’existence humaine. Tout État qui abuse de son pouvoir pour imposer aux citoyens une idéologie déterminée, pure création humaine, dégénère en tyrannie et en dictature.

R. : Il semble que les participants au pèlerinage aient non seulement fait preuve d’une endurance devant les difficultés de la marche, mais qu’ils soient également disposés à témoigner de leur foi en public et à évangéliser. Avez-vous pu constater cela ?

M. : Oui, ces participants ont pu endurer beaucoup d’avanies de la part d’une certaine presse d’inspiration libérale ou marxiste, qui considère toute expression publique de la croyance en Dieu comme une régression en-deçà des Lumières vers ce qu’ils appellent le « Moyen Âge ». Mais il y a aussi une méfiance de la part de l’Église à l’égard de ce pèlerinage, notamment parce que la liturgie qui y est célébrée est celle antérieure à la réforme de 1969. Concernant cette dernière question, il importe de rappeler qu’il existe – ce dont chaque catholique devrait être convaincu – une distinction entre le contenu dogmatique d‘une cérémonie liturgique et la forme externe qu’elle emprunte, et que, en particulier, il existe, de manière tout à fait légitime, plus de vingt rites différents de la messe dans l’Église catholique (sans compter les variantes dans l’Occident latin lui-même). En tout cas, il faut admirer le courage de ces jeunes qui confessent publiquement devant leurs camarades leur foi en Jésus-Christ et en son Église, et ce dans un contexte post-chrétien qui se targue d’une prétendue supériorité intellectuelle et morale sur la religion. On peut se souvenir de Paul écrivant à la petite minorité de chrétiens romains dans ce qui était alors la capitale mondiale du paganisme, dans le but de les encourager : « Je n’ai pas honte de l’Évangile… dans lequel se révèle la justice donnée par Dieu, celle qui vient de la foi et conduit à la foi » (Rom 1, 16-17).

R. : Le nombre impressionnant de participants au pèlerinage pourrait-il être un encouragement pour ces jeunes à montrer à d’autres le chemin vers Dieu et à les encourager à les suivre sur ce chemin ?

M. : Dans une enquête menée auprès de jeunes et d’adultes candidats au baptême, c’est-à-dire de personnes ne provenant pas de familles chrétiennes, la réponse fréquemment entendue est que le contact avec les autres donne une impulsion à la recherche du sens de la vie et donc de Dieu. L’apôtre Paul a déclaré aux philosophes athéniens (c’est-à-dire littéralement à « ceux qui aiment la sagesse ») qu’il est demandé à tous les hommes « de chercher Dieu et, si possible, de le trouver, lui qui, en fait, n’est pas loin de chacun de nous » (Actes 17, 27). En fin de compte, le jour décisif pour l’histoire du monde et pour chacun de nous est celui où Dieu a ressuscité son Fils d’entre les morts, qui avait été crucifié par les hommes, afin que par lui nous puissions passer de la mort à la vie, du mensonge et de l’ignorance à la connaissance de la vérité. Mais rappelons que plusieurs se moquèrent de Paul en l’entendant parler de la résurrection corporelle des morts, parce que les gens – ceux d’hier comme ceux d’aujourd’hui – n‘aiment trouver des solutions aux questions existentielles que selon leurs propres conditions et avec leurs propres idées. Que Dieu nous ait véritablement rachetés par l’incarnation de sa Parole éternelle, qu’il soit mort pour nous sur la croix en son Fils incarné Jésus-Christ, et que nous ne puissions participer à son salut que par la foi en sa résurrection d’entre les morts, ce message peut seulement toucher ceux qui font plus confiance à Dieu qu’aux hommes.

R. : Les Évangiles nous invitent à porter la parole de Dieu dans le monde – à évangéliser. Quelles sont les possibilités offertes au fidèle laïc pour accomplir cette tâche ?

M. : Ce ne sont pas seulement les apôtres et leurs successeurs dans l’office épiscopal et sacerdotal qui ont reçu du Christ la mission de témoigner de la foi par leurs paroles et leurs actes. Chaque baptisé ne vit pas seulement pour lui-même devant Dieu, en Dieu et envers lui, mais il lui appartient de témoigner aussi de sa foi auprès des autres et de diffuser l’espérance en Dieu dans le monde entier, confirmant ainsi que l’amour de Dieu et du prochain est le résumé de tous les commandements et le moteur de notre vie spirituelle et morale. Le Concile Vatican II définit l’apostolat des laïcs (les laïcs étant, selon Lumen Gentium 31, « tous les fidèles, en dehors des membres de l’ordre sacré et de l’état religieux reconnu dans l’Église ») comme « une participation à la mission salutaire elle-même de l’Église ». Or, à cet apostolat, « tous sont destinés par le Seigneur lui-même en vertu du baptême et de la confirmation ». Et le Concile de poursuivre : « Les sacrements, surtout la sainte Eucharistie, communiquent et entretiennent cette charité envers Dieu et les hommes, qui est l’âme de tout l’apostolat. Les laïcs sont appelés tout spécialement à assurer la présence et l’action de l’Église dans les lieux et les circonstances où elle ne peut devenir autrement que par eux le sel de la terre. Ainsi, tout laïc, en vertu des dons qui lui ont été faits, constitue un témoin et en même temps un instrument vivant de la mission de l’Église elle-même, à la mesure du don du Christ. » (Lumen gentium 33)

Paru sur le site kath.net le 23 avril 2025.

© Traduction française de Jean Bernard pour La Nef – Mis en ligne le 28 avril 2025