Le pape François en 2014 © Wikimedia Service de culture et d'information coréen (Jeon Han)

Mort du pape François : un pontificat complexe

Les titulaires de la chaire de Pierre se succèdent et ne se ressemblent pas. François n’a pas abondé dans le sens de Benoît XVI sur les thématiques comme celles de la dictature du relativisme ou de l’herméneutique de la réforme dans la continuité de l’unique sujet-Église, mais il appartient à la responsabilité de l’évêque de Rome de placer les accents là où il pense le devoir. C’est ainsi que l’Église peut répondre à sa mission d’être présente à ce moment-ci de l’histoire, étant entendu qu’un magistère répétitif scléroserait la tradition. François a certes bousculé l’Église, mais Jésus lui-même n’a pas été avare en interpellations frontales, n’hésitant pas à recourir à l’invective. Les actes de gouvernement dans l’Église relevant de la prudence, le recul permettra d’évaluer le bilan forcément contrasté de ce pontificat.

D’ores et déjà, on peut dire qu’on doit essentiellement à François un regain d’attention aux différentes situations de pauvreté (personnes au ban de la société ou en rupture avec la morale objective) et n’est-ce pas le cœur de l’Évangile de se préoccuper des différentes formes de précarité et de penser plus en termes de salut que d’observance légale ? Fallait-il pour autant s’ingérer dans les politiques migratoires des États ? François a aussi actualisé le discours sur la sauvegarde de la création en y intégrant les paramètres du changement climatique, même si certains aspects sur lesquels il a pris position font débat à l’intérieur de la communauté scientifique. François a pertinemment repéré dans le « cléricalisme » la cause des abus sexuels qui sont d’abord des abus de pouvoir et il a vu dans la « synodalité », entendue au sens de l’implication de tous, le remède à cette « pathologie », mais il a lui-même procédé par voie d’autorité en multipliant notamment les motu proprio et en verrouillant soigneusement les instances de participation. Si le Concile Vatican II, pour rééquilibrer le Concile Vatican I, a renforcé l’autorité des évêques, en affirmant qu’ils sont « vicaires et légats du Christ », et non simples préfets du pontife romain, il conviendra un jour de vérifier si, de facto, cette autorité n’a pas été entamée par les enquêtes parfois à charge des nonciatures apostoliques sur les problèmes dits de « gouvernance ». François a justement discerné dans la mouvance traditionaliste des tendances à la psychorigidité et au fol exhibitionnisme de colifichets, voire un cynisme certain dans la récupération des concessions rituelles de Jean-Paul II et de Benoît XVI, mais son traitement indifférencié du dossier a pu cristalliser le ressentiment. François a heureusement recommandé de n’affubler personne d’épithètes péjoratives et autres sobriquets réducteurs mais il a de son côté substantifié les épithètes en inventant la catégorie des « rigides » et le néologisme d’« en arrièriste ». Le Pape, qui veille à l’unité de l’Église, a été volontiers clivant, déclarant sur un ton de défi que le schisme ne lui faisait [même] pas peur.

Quoi qu’il en soit des accents, qui comme tels comportent nécessairement une part d’unilatéralisme, un catholique doit se sentir concerné par les propos de François et s’interroger en conscience sur sa propre participation, de près ou de loin, aux attitudes déviantes dénoncées par ce pape pour les rectifier, étant entendu que nous sommes tous plus ou moins des pharisiens. François s’est attelé à cette tâche salutaire et nul ne doit se croire exonéré d’un tel examen critique sur lui-même.

On doit par ailleurs à François de très belles lettres apostoliques sur Pascal (Sublimitas et miseria hominis), sur Dante (Candor lucis aeternae) et, de façon générale, sur le rôle de la littérature dans la formation. Avec ses lettres sur saint Joseph (Patris corde), saint François de Sales (Totum amoris), sans parler de sa dernière encyclique sur le Sacré-Cœur (Dilexit nos) qu’on peut lire comme ayant valeur de testament, François a remis à l’honneur la religiosité populaire qui avait été frappée d’un certain mépris dans les années postconciliaires. La personnalité de François apparaît ainsi dans une complexité qui devrait empêcher tout jugement sommaire sur l’ensemble de son œuvre.

Pierre Louis

© LA NEF, le 22 avril 2025, exclusivité internet