«La mort est ce qui a été donné de plus précieux à l’homme. C’est pourquoi l’impiété suprême est d’en mal user. » Peut-être est-ce cet aphorisme fulgurant de Simone Weil qui a donné à Robin Nitot la riche idée de choisir le prisme de l’agonie, pour transmettre au lecteur quelques-unes de ses admirations littéraires. Non plus le vieux « sa vie, son œuvre » des manuels de la critique biographique héritée du XIXe siècle, mais « sa mort, son chef-d’œuvre ? », ce qui est beaucoup plus riche en perspectives tant littéraires qu’existentielles.
Après une brève introduction très stimulante, le volume offre dix chapitres à la fois précis et synthétiques, qui s’ouvrent par le jour de la mort, avant de revenir en arrière pour mettre en avant ce qui peut donner une densité plus grande aux dernières heures terrestres. Dix épitaphes en mouvement, en somme, pour transformer une vie en destinée ou en roman. « Chaque mort est une ultime signature de l’auteur », note joliment Robin Nitot.
Bien sûr, la brièveté des chapitres condamne à des raccourcis qui laissent parfois le lecteur sur sa faim. Par moments, on sourit de l’apparente naïveté de certaines assertions, qu’il s’agisse de définir Hugo comme « le chef de file des romantiques » ou de prétendre trancher sur la foi de Molière (la prise en compte de la thèse d’Antony McKenna sur le libertinage du dramaturge aurait rendu la discussion nettement plus intéressante). On peut également regretter que l’auteur ne tisse pas le moindre fil entre les chapitres, ce qui donne parfois des juxtapositions abruptes (de Péguy à Jane Austen), voire gênantes (du suicide de Drieu à l’agonie de Max Jacob à Drancy).
Ces réserves, pourtant, ne peuvent éclipser l’essentiel. La plume et le tombeau témoigne sans cesse d’un rapport bien vivant à la littérature : la connaissance rigoureuse des œuvres s’allie à l’hommage ému à des hommes et des femmes qui ont essayé de ne pas vivre trop en dessous de ce qu’ils écrivaient. De Rimbaud qui ouvre le volume à Saint-Exupéry sur lequel il se referme, Robin Nitot nous convainc aisément de la fécondité de l’attention aux derniers soupirs.
Henri Quantin
- Robin Nitot, La plume et le tombeau. Dix écrivains face à la mort, Salvator, 2024, 230 pages, 19,80€.
© La Nef n° 380 Mai 2025