Représentant de l’aile conservatrice du catholicisme américain, Nathaniel Peters, jeune intellectuel directeur du Morningside Institut et collaborateur de Public Discourse, nous livre son analyse sur le début du mandat de Donald Trump et, plus spécifiquement sur la façon dont il est perçu par les catholiques américains. Nous sommes heureux de vous offrir ce point de vue d’outre-Atlantique.
Le 20 janvier dernier, le cardinal Timothy Dolan, archevêque de New York, a évoqué l’histoire de Salomon dans une prière prononcée lors de l’investiture de Donald Trump. Neuf jours plus tard, il a qualifié de « calomnieuse », de « très méchante » et de « fausse » l’affirmation du vice-président J. D. Vance selon laquelle la Conférence des évêques catholiques des États-Unis (USCCB) soutiendrait l’immigration pour des raisons financières. Les évêques s’étaient opposés à la décision de l’administration Trump d’abroger une politique qui limitait les arrestations liées à l’immigration dans les églises et autres « lieux sensibles ». Vance avait alors rétorqué que l’USCCB s’inquiétait peut-être surtout pour ses finances. Il a ajouté que la Conférence n’avait « pas été un partenaire fiable dans l’application des lois migratoires de bon sens en faveur desquelles avait voté le peuple américain », et déclaré espérer, « en tant que catholique fervent, qu’elle ferait mieux à l’avenir ».
Cet épisode illustre bien les dynamiques à l’œuvre durant les premiers mois de l’administration Trump. Du côté épiscopal, les évêques américains ont salué les restrictions imposées par Trump aux opérations de changement de sexe chez les enfants et à la participation des hommes biologiques aux compétitions sportives féminines. Mais ils ont également porté plainte contre le gouvernement après sa décision « unilatérale et inexpliquée » de suspendre le financement du programme d’aide aux réfugiés que l’USCCB administre depuis des décennies. Par ailleurs, le pape François a écrit aux évêques américains pour corriger l’usage que Vance avait fait de l’ordo amoris en soutien à la politique migratoire de l’administration – sans doute la première lettre pontificale en réponse à une querelle née sur Twitter. Début mai, Trump a nommé le cardinal Dolan et l’évêque Robert Barron à une nouvelle commission sur la liberté religieuse. Et deux jours après, Trump a partagé sur ses réseaux sociaux et ceux de la Maison Blanche un portrait généré par l’IA de lui-même portant l’habit papal, que plusieurs évêques américains ont condamné.
Quant aux laïcs, les catholiques conservateurs soutiennent l’administration et ses politiques, tandis que les catholiques progressistes les dénoncent. Le New York Times a récemment rapporté que les croix portées en pendentif étaient devenues « le bijou de prédilection le plus associé à la seconde administration Trump ». De nombreux autres catholiques, partageant les craintes de Rod Dreher, redoutent que les actions de Trump soient plus rapides, imprudentes et extrêmes que nécessaire. L’administration a certes sécurisé la frontière sud du pays, mais aussi expulsé des résidents étrangers sans respecter les procédures légales. Les conservateurs ont salué la fin des subventions internationales frivoles et idéologisées, mais les militants pro-vie ont déploré l’abandon du programme PEPFAR, une initiative peu coûteuse lancée par le président Bush pour prévenir le VIH/SIDA chez des millions de femmes et d’enfants africains. Le Département de l’efficacité gouvernementale (DOGE) se réjouit de manier la masse là où le scalpel serait plus approprié. Et il y a bien sûr les bouleversements radicaux de la politique économique et étrangère des États-Unis, notamment le programme de droits de douane de Trump.
Dans les années 1960, William F. Buckley Jr., fondateur du mouvement conservateur américain, avait marginalisé la John Birch Society, jugée antisémite, de la sphère conservatrice dominante. En 2016, certains d’entre nous ont déploré que Trump défasse ce travail et rouvre la porte à des extrémistes hostiles aux principes authentiquement conservateurs. Il est intéressant de voir certains soutiens de Trump regretter aujourd’hui ces dérives, notamment ce qui touche au traitement des femmes et des Juifs. Matthew Schmitz, cofondateur de la revue en ligne Compact, issue de la nouvelle droite, critique « la droite génétique-déterministe » qui célèbre la vision d’Elon Musk selon laquelle des individus aux « bons gènes » devraient avoir de nombreux enfants, que ce soit hors mariage ou dans son cadre – une conception en opposition directe avec la vision chrétienne du mariage et de la famille. Joe Lonsdale, grand entrepreneur technologique et investisseur, et Chris Rufo, figure de proue de l’activisme anti-woke, regrettent la montée de l’antisémitisme dans la nouvelle droite, notamment chez des figures comme Tucker Carlson et Candace Owens. Josh Hammer, éditorialiste de Newsweek favorable au constitutionnalisme orienté vers le bien commun d’Adrien Vermeule, condamne quant à lui l’accueil réservé par l’administration Trump à Andrew Tate – influenceur « masculiniste » controversé poursuivi pour trafic d’êtres humains, blanchiment d’argent et exploitation de femmes.
Josh Hammer note qu’au cours des dernières années, des figures néo-nietzschéennes comme Tate sont devenues populaires dans certaines sphères de la droite américaine. Ces figures « promeuvent une vision fondamentalement païenne, étrangère et incompatible avec l’héritage biblique judéo-chrétien de la droite, vieux de plusieurs siècles ». Leur présence dans le mouvement MAGA, aux côtés des conservateurs religieux, révèle que celui-ci sait bien ce qu’il rejette, mais moins ce qu’il défend.
Un mouvement centré sur Trump
Ce mouvement est en fin de compte centré sur un seul homme qui incarne ses idéaux et ses politiques. Et sa conception de la grandeur semble plus matérielle que morale ou spirituelle : l’acquisition du pouvoir et l’utilisation de la force pour gagner. Lors de son premier mandat, Trump s’était opposé à John McCain, sénateur et ancien candidat à la présidence, célèbre pour avoir survécu à la capture et à la torture durant la guerre du Vietnam. « C’est un héros de guerre parce qu’il a été capturé », avait ironisé Trump. « Moi, j’aime les gens qui ne se sont pas fait capturer. » Plus récemment, Trump a annoncé son intention de rebaptiser le Veterans Day (11 novembre) en « Jour de la victoire de la Première Guerre mondiale » et de faire du 8 mai (non célébré aux États-Unis) un « Jour de la victoire de la Seconde Guerre mondiale ». Dans les deux cas, la victoire pure et simple semble plus signifiante pour Trump que le noble sacrifice.
Cette vision influence ses décisions politiques les plus importantes. Comme l’a écrit William Galston dans le Wall Street Journal, « l’approche de M. Trump en matière de politique étrangère est amorale – une quête implacable de l’intérêt personnel. Les appels aux principes le laissent froid, tout comme les relations internationales fondées sur des “valeurs communes”. […] Dans le lexique de M. Trump, la force et la faiblesse remplacent le bien et le mal. Ce qui compte avant tout, c’est le rapport de force. S’il vous est favorable, utilisez-le à fond. Sinon, contentez-vous de ce que vous pouvez obtenir. Le bien-fondé de votre position importe peu. »
Or, les valeurs et les principes sont au cœur du catholicisme et de sa doctrine sociale. Il y a quelques mois dans La Nef, j’écrivais : « Il se pourrait que l’héritage durable du moment post-libéral ne soit pas d’avoir resacralisé l’espace public, mais d’avoir édifié une base programmatique populiste cherchant à combattre les institutions élitistes, à protéger les travailleurs américains et à soutenir les familles américaines » (1). Les cent premiers jours de l’administration Trump confirment cette intuition. Le postlibéralisme voulait un retour à la théologie et à la gouvernance catholiques, sans compromis avec l’ordre libéral. Mais il est difficile d’aligner bon nombre des mesures radicales de l’administration avec la doctrine sociale de l’Église. Le président loué par de nombreux postlibéraux n’est pas devenu le bras séculier de l’USCCB.
Le témoignage de foi de Vance
Quant au vice-président Vance, le matin du 28 février, il a pris la parole lors du National Catholic Prayer Breakfast. Après avoir évoqué les politiques de l’administration, il a parlé de l’importance de la foi dans sa vie, de la façon dont il a mûri dans sa foi, et de son désir de promouvoir non seulement la prospérité du pays, mais aussi son bien commun. Il a parlé du pape François avec révérence, affirmant prier pour lui chaque jour malgré ses critiques sur la politique migratoire. « Bien que je sois un chrétien aussi imparfait que quiconque ici », a-t-il déclaré, « je sens vraiment que Dieu me transforme chaque jour, et c’est l’une des grandes bénédictions de notre foi et des sacrements que j’essaie de recevoir du mieux que je peux. » Quelques heures plus tard, il s’en prenait à Volodymyr Zelensky dans le Bureau ovale, pour le plus grand plaisir de Trump. Vance incarne ainsi un mélange de foi religieuse sincère et de convictions politiques fortes – parfois brutales. Les catholiques américains restent partagés sur la possibilité de réconcilier ces deux dimensions, et sur le but que cela pourrait servir.
Nathaniel Peters
Traduit de l’anglais par Élisabeth Geffroy
(1) Cf. La Nef n°375 de décembre 2024, notre dossier sur « Les intellectuels catholiques américain » (ndlr).
© La Nef n° 381 Juin 2025