Pour aimer les anges, il faut comprendre leur mission auprès de nous. Ils sont des serviteurs qui se mettent au service de notre sainteté, et qui nous mettent en communion avec les autres.
La dévotion aux anges favorise-t-elle l’« angélisme » ? Aimer les anges, est-ce fuir notre humanité ? S’approcher de ces purs esprits, est-ce nous désincarner ? C’est l’exact contraire qui est vrai. Les anges sont des esprits envoyés au service de ceux qui doivent hériter du salut. Ils sont les serviteurs des hommes, ils se mettent au service de leur sainteté… bien humaine ! La vraie dévotion aux anges est un remède contre l’esprit gnostique qui voudrait nous faire quitter notre condition corporelle. Tout dans les Écritures et la Tradition spirituelle de l’Église plaide en faveur de cette appréhension du monde angélique.
La première manifestation de l’ange du Seigneur, dans la Bible, se trouve au chapitre 16 de la Genèse. Il vient au secours d’Agar, seule dans le désert, et lui ouvre les yeux sur la présence d’un puits à ses côtés. Il lui annonce aussi la naissance d’un fils. L’ange du Seigneur est le serviteur d’Agar dans ses besoins les plus concrets, dans ses aspirations maternelles. Le même ange du Seigneur se manifeste dans le désert à Élie alors qu’il souhaite mourir. Il l’invite à se lever, manger, boire. Rien de plus simple que cette attention angélique aux besoins de leurs protégés. Dans cette perspective, il convenait bien que l’annonce à Marie soit faite par Gabriel. Les anges sont les serviteurs de la Sainte Humanité de Jésus. On les trouve d’ailleurs à ses côtés dans le désert, lorsqu’il a faim et qu’il a soif. Un ange le fortifie dans son agonie. Ce sont des anges aussi qui annoncent aux saintes femmes sa résurrection corporelle.
Cette vérité n’est pas qu’une simple consolation pour notre appréhension théologique du monde invisible. Il est certes heureux de savoir que les anges ne sont pas si éloignés des hommes qu’on aurait pu le penser, mais il est encore plus réjouissant de croire qu’ils sont présents à mes côtés, personnellement, dans mes besoins les plus concrets. On connaît l’exemple célèbre de la place de parking à trouver ou du réveil matinal que la sollicitude de l’ange ne manque pas d’oublier. Mais l’ange est présent tout le temps, à chaque instant, et se fait le compagnon de mon chemin de vie chrétienne. Il est là, tout spécialement, durant mes temps de prière. Quelle est son action ?
Comme le rappellent les saints du Carmel, les anges ne peuvent agir depuis le centre de l’âme. Ce lieu est réservé à Dieu. Lui seul, par son Esprit Saint, peut répandre sa grâce depuis l’intime de mon cœur, lieu de la présence de Jésus, le véritable Roi qui règne dans cette demeure secrète. Les anges, en revanche, peuvent agir de l’extérieur : sur ma corporéité, pour l’apaiser, la recueillir ; sur mon imagination, pour lui inspirer de bonnes paroles, de bonnes pensées, de bonnes images qui soutiendront mes actes de foi, d’espérance et de charité. Jean de la Croix ira même jusqu’à dire que la grâce de la contemplation, lorsqu’elle m’est accordée, me fait participer dans la foi au regard que mon ange pose sur Dieu dans la clarté de la vision. Je peux voir Dieu avec lui : moi, dans l’obscurité, lui dans la lumière. Je peux l’aimer aussi avec lui. La petite Thérèse, d’ailleurs, demandait à son ange gardien de lui communiquer les ardeurs de sa charité.
Cependant, ce serviteur de mon humanité qu’est l’ange ne se penche pas que sur ma seule personne. Sa présence crée la communion entre les hommes. Elle édifie l’Église. Lorsque l’ange est là, lorsqu’il est accueilli par moi, il m’entraîne dans le cercle élargi du monde des relations spirituelles qui est le sien. Il me fait entrer dans cet esprit de « chœur », cet univers de personnes spirituelles unies par le lien de l’Esprit Saint. Pour cela, l’ange se fait presque le mendiant de ma prière pour que, par elle, il puisse agir en faveur de ceux qui me sont liés. La prière à saint Michel, demandée par Léon XIII, n’est pas une pratique vaine. La réciter, dans un esprit de foi, permet en quelque sorte aux anges d’agir dans le monde contre l’esprit des ténèbres. Soumis aux lois de la Providence divine, ils n’interviennent sur terre que dans la mesure où ils trouvent en nous cet esprit de supplication dont parle le prophète Zacharie.
Prendre conscience de leur présence, c’est donc se rendre disponible à une influence qui nous fera grandir sur le chemin de la sainteté de la terre jusqu’au ciel. C’est en prenant exemple sur l’action des anges dans le ciel que la petite Thérèse a pu penser à son apostolat post mortem. Elle voulait passer son ciel à faire du bien sur la terre, comme les anges, ajoute-t-elle, qui tout en jouissant de la vision béatifique continuent à venir au secours des hommes. La fécondité de notre vie, son poids d’amour, se manifesteront pleinement lorsque nous serons entrés au ciel. C’est souvent d’ailleurs un signe de sainteté auquel nous sommes attentifs lorsqu’un proche décède : continue-t-il d’agir en notre faveur ? se fait-il proche de nous, depuis le Ciel ? S’approcher des anges, c’est se préparer à cette fécondité qui nous attend lorsque nous aurons franchi le seuil de l’éternité. Nous ne deviendrons pas des anges pour autant. Nous resterons bien humains et nous le serons parfaitement lorsque notre corps, parfaitement glorifié, ressuscitera à la fin des temps.
Loin de nous désincarner, la dévotion aux anges nous humanise. Elle nous fait parvenir à cette sainteté, toute personnelle, vraiment humaine, qui nous est destinée. Les saints chez qui cette dévotion s’est particulièrement illustrée étaient des modèles d’humanité. Aimons donc les anges pour garder les pieds sur terre. Laissons-nous aimer par eux pour être réconciliés avec notre humanité blessée. Quand le Tentateur nous fait miroiter un monde virtuel, les anges sont là pour nous ramener à la réalité de cette condition humaine que le bon Jésus a tellement aimée qu’il a voulu l’assumer. Les tabernacles de nos églises, que les anges entourent de leur vigilance, sont là pour nous le rappeler.
Fr. Baptiste de l’Assomption, ocd
- Fr. Baptiste de l’Assomption, ocd, Faire oraison avec les anges, Éditions du Carmel, 2025, 128 pages, 13 €.
© LA NEF n°379 Avril 2025