L’Aide à l’Église en Détresse (AED) a rendu public en octobre son rapport 2025 sur la liberté religieuse dans le monde. Le constat est alarmant, les deux-tiers de l’humanité vivent dans un pays qui ne respecte pas la liberté religieuse et les chrétiens sont au premier rang des croyants persécutés pour leur foi.
«Ils tiraient en l’air et les gens fuyaient », décrit sœur Núbia Zapata Castaño. Cette carmélite colombienne a été envoyée au Cabo Delgado, province dangereuse du nord du Mozambique, où des groupes armés djihadistes harcellent la population chrétienne pour qu’elle quitte sa terre natale. En 2020, des hommes armés s’en sont pris à sa communauté de Macomia, tuant, enlevant, terrorisant la population civile sans défense. Pourtant, dès que les agresseurs sont partis, la petite religieuse est retournée à sa mission de directrice d’école, rassemblant les enfants qui s’étaient cachés pour reprendre les cours.
Elle décrit sobrement les fusillades où elle aurait pu laisser la vie, comme si ce n’était pas un événement très important. En revanche, elle parle avec passion des enfants de réfugiés, ses élèves. Jetés sur les routes par ces mêmes groupes armés qui les rattrapent aujourd’hui, ils retrouvent avec l’école un semblant de normalité. Ils ne demandent pas mieux que d’étudier, se montrent assidus malgré les traumatismes et la misère qui s’abat sur leurs familles, assure sœur Núbia Zapata Castaño, très fière de ses élèves. Elle réside dans cette région depuis 2004, si loin de sa Colombie natale ! La sœur donne l’exemple d’une vie totalement donnée, et nous craignons pour elle, comme pour tant d’autres apôtres, que son nom ne vienne un jour s’ajouter à ceux des martyrs du XXIe siècle, dont la mémoire a été célébrée lors d’une cérémonie pontificale, le 14 septembre dernier à Rome.
Loin de l’idée lancinante – en Occident – d’un désintérêt pour les questions religieuses de l’homme du XXIe siècle, nous constatons, à l’Aide à l’Église en Détresse que le combat spirituel continue de plus belle. L’Église grandit, en Asie et en Afrique en particulier. Elle suscite des témoins, mais elle subit la violence d’États et d’organisations qui lui vouent une haine mortelle.
Depuis 1999, nous produisons un rapport sur la liberté religieuse qui nous sert à avertir nos contemporains de la situation, mais qui a aussi une fonction de thermomètre. Il nous permet de remettre les situations vécues des chrétiens dans une perspective plus longue. Or, quel que soit l’indicateur que l’on retienne pour mesurer cette Liberté religieuse dans le monde, force est de constater qu’elle perd du terrain. Dans soixante pays dans le monde, notre rapport indique des discriminations, voire des persécutions à l’encontre de communautés religieuses. Pris tous ensembles, ces pays où la liberté religieuse est bafouée contiennent presque les deux tiers (62,5 %) de la population mondiale. Autrement dit, 5,26 milliards de personnes dans le monde vivent dans des pays qui ne respectent pas le droit fondamental de pratiquer sa religion !
Multiples facteurs de persécution
Même ceux de nos contemporains qui ne partagent pas notre foi devraient être alertés par ces atteintes à la liberté religieuse. En effet, les organisations qui cherchent à la restreindre trahissent une volonté de réduire en esclavage des populations jusque dans l’intime de leur conscience. D’un point de vue chrétien, ces attaques démontrent que ceux qui les persécutent en veulent non seulement à la vie, mais à l’âme des populations qu’ils oppressent.
L’histoire de l’Église, dès les Évangiles, nous rappelle que le message du Christ a toujours rencontré de féroces oppositions. Mais pour expliquer pourquoi la situation des chrétiens s’aggrave aujourd’hui, notre rapport révèle une série de facteurs allant de l’autoritarisme de certains États jusqu’au matérialisme athée en passant par l’islamisme. Dans la plupart des pays où elles sévissent, ces idéologies prolifèrent sur une opposition à un « Occident » fantasmé, supposément chrétien. En cette période de tensions internationales accrues, les communautés chrétiennes qui résident dans des pays où elles sont minoritaires apparaissent souvent suspectes, à leur corps défendant, car elles sont supposées être proches de cet « Occident » détesté.
C’est particulièrement évident au Sahel où les groupes islamistes militants s’appuient sur la lecture littérale du Coran pour prendre le pouvoir, dans des zones qui échappent au contrôle des États. Bénéficiant de la faillite des gouvernements, ils prétendent installer un ordre pur, débarrassé de la corruption, en appliquant la charia. Ce type d’insurrection concerne en particulier les peuples nomades, Touaregs et Peuls, au sein desquels des groupes terroristes émergent. Ils abattent ou subjuguent les chefs traditionnels puis accaparent des pans entiers de territoire, d’où les minorités religieuses sont chassées. Nous avons tenu, dans notre rapport, à ne pas faire porter la responsabilité de la situation sur une population, sans cacher la réalité pour autant. La majorité des Peuls, par exemple, n’est pas composée de terroristes, mais parmi les basses castes de cette population frappée par la pauvreté et le chômage, les djihadistes recrutent. Faire partie d’un groupe armé terroriste donne un statut et de l’argent, toutes choses que les jeunes gens obtiennent difficilement dans ces régions.
Ces militants armés et fanatisés demeurent la source majeure d’instabilité dans cinq régions du continent. « Rien qu’en 2024, ces groupes terroristes ont été responsables de 22 307 décès, un chiffre record maintenu depuis 2023, ce qui représente une augmentation de 60 % par rapport à la période 2020-2022 », constatons-nous.
Dans des pays comme le Nigeria, le Niger, le Burkina Faso ou le Mali, le même schéma se répète. Des djihadistes rançonnent, voire massacrent ceux qui refusent de se soumettre à leur autorité et à leur religion. Les chrétiens qui sont minoritaires dans les régions concernées sont particulièrement en danger. Quand il devient impossible de rester dans une zone qui devient trop dangereuse, ils sont contraints de fuir et leur terre est aussitôt occupée par des familles peules. Bien qu’il soit difficile de savoir si l’action des groupes armés et des familles qui occupent les terrains sont concertées, le résultat est là. Des pans entiers du territoire du Sahel subissent un nettoyage ethnique au détriment des agriculteurs sédentaires, souvent chrétiens.
Cette violence exercée essentiellement contre des populations civiles se traduit en particulier par le désastre des migrations, qui atteignent un point critique en Afrique sub-saharienne. Il y aurait 38,8 millions de « déplacés » africains selon le Global Report on Internal Displacement (GRID). Derrière ce chiffre, il faut imaginer des millions de familles, des villages entiers qui abandonnent le peu qu’ils ont. Ils viennent grossir les camps de réfugiés qui se forment partout dans les zones considérées comme plus sûres. Autour de Ouagadougou, au Burkina Faso, à l’est du Tchad, au sud et à l’est du Nigeria, des populations dépossédées forment de vastes bidonvilles. Elles rencontrent de très grandes difficultés à trouver un travail, à gagner leur vie ou à envoyer les enfants à l’école. Et les lieux dans lesquels elles résident désormais ne sont pas à l’abri d’une nouvelle attaque, comme l’a démontré l’histoire de sœur Núbia Zapata Castaño que nous citions en début d’article. L’Église, au sens large, est directement concernée par la crise des réfugiés. Certaines paroisses ont dû être évacuées, les paroissiens laissant tout derrière eux, et les prêtres ont dû abandonner leurs presbytères, en particulier au nord du Burkina Faso et du Nigeria. Dans les camps de déplacés, par ailleurs, des membres de l’Église s’efforcent de reconstruire la vie communautaire, de continuer à prodiguer les sacrements. Ils participent aussi à l’aide d’urgence, indispensable pour beaucoup de ces réfugiés sans ressource.
Dans d’autres régions du monde, l’Église subit une répression moins sanglante mais plus organisée de la part d’État qui lui sont hostiles. C’est particulièrement évident dans les pays d’Amérique latine dont les gouvernants affichent leur anticléricalisme, comme le Venezuela, Cuba et le Nicaragua. Dans ce dernier pays, la situation s’est dramatiquement aggravée depuis les manifestations antigouvernementales de 2018. Nous ne pouvons plus donner les noms des correspondants de l’Aide à l’Église en Détresse sur place, de peur de les mettre dans le collimateur du régime ! L’idée selon laquelle les régimes d’inspiration marxiste seraient en perte de vitesse se heurte à la réalité. Certes, ils sont décrédibilisés aux yeux des populations, mais ils conservent un très grand pouvoir de nuisance.
En Chine et en Inde, les chrétiens appartiennent à une minorité qui ne convient pas au « roman national » promu par les dirigeants du pays. En Inde, le parti qui détient l’essentiel du pouvoir, le BJP, prétend refonder une nation sur la base de l’hindouisme, à l’exclusion des autres religions. En Chine, les catholiques subissent la pression d’un régime hostile, qui espère les maintenir sous contrôle. Il met en place, depuis quelques années, un arsenal législatif qui interdit l’éducation religieuse des mineurs. Cet acharnement contre une minorité pacifique qui ne porte aucune revendication insurrectionnelle, démontre l’hostilité qui demeure, au sein du Parti communiste chinois, à l’encontre des croyants.
Au Moyen-Orient, enfin, l’hémorragie continue dans la plupart des pays. En Syrie, depuis la chute de Bachar al Assad fin 2024, les chrétiens vivent dans l’angoisse des groupes armés djihadistes hors de contrôle qui pullulent dans le pays. Les minorités alaouites et druzes ont été successivement attaquées, puis un attentat perpétré dans une église de Damas a rappelé qu’il existait, au sein du pays des militants hostiles aussi aux chrétiens. Durant l’été 2025, une série d’incendies criminels a été déclenchée dans la « Vallée des chrétiens », sanctuaire de la province de Homs. Malgré leur attachement à leurs terres ancestrales, ceux qui subissent ces démonstrations de violence s’interrogent : ont-ils réellement un avenir ici ? Ou bien doivent-ils prendre le chemin de l’exil, comme la majorité de leur communauté ?
Il existe des exceptions heureuses dans cette partie du monde. En Irak et au Liban, après des périodes terribles, les chrétiens retrouvent l’espoir de vivre dans un semblant de normalité.
Ces chrétiens n’appartiennent pas à l’un des camps en présence, sinon à celui des artisans de paix, dans une région du monde qui en a désespérément besoin. Les écoles catholiques du Liban, en particulier, démontrent que des populations peuvent vivre ensemble. Chrétiens, musulmans et druzes se côtoient sur les bancs de ces écoles qui sont très prisées en raison de leur excellence. Mais elles sont en danger, en raison de la crise économique qui frappe le pays depuis cinq ans. Pour les chrétiens du Moyen-Orient, la fuite vers l’Occident apparaît comme la meilleure solution. Ils espèrent trouver dans cet exil la liberté de pratiquer leur religion sans craindre les menaces.
Malheureusement, de même que l’Église universelle agit sur tous les continents, elle est aussi confrontée partout à des ennemis. En France, le nombre de profanations, voire d’incendies d’églises continue d’augmenter. Pire encore, nous apprenions début septembre, la mort de Ashur Sarnaya 45 ans, chrétien d’origine assyrienne d’Irak. Il a été égorgé à la machette à Lyon alors qu’il était en direct, parlant de sa foi sur le réseau social TikTok. Ashur était handicapé, devait se déplacer en fauteuil roulant, il annonçait l’Évangile ou il chantait les mélodies des chrétiens orientaux en arabe et en araméen. Cet homme avait fui les persécutions de l’État islamique en se réfugiant à Lyon.
Dans l’une de ses dernières vidéos, le quadragénaire à la barbe blanche et au crâne lisse assurait que ses contenus étaient bloqués et ses comptes suspendus à cause de signalements d’internautes musulmans. Au mois de mars dernier, il racontait ainsi avoir été la victime d’une « attaque barbare » de ses « frères musulmans ». Et il demandait une nouvelle fois à ses tourmenteurs de le laisser prêcher en paix.
Le cas de cet homme sans défense, assassiné sur notre territoire, nous rappelle douloureusement que le martyre n’appartient pas au passé, et qu’il n’appartient pas non plus à un territoire donné. Partout où l’Évangile est signe de contradiction, il est combattu et défendu par des apôtres qui sont « comme des agneaux au milieu des loups » (Mt 10,16).
Sylvain Dorient*
*Journaliste au service de l’Aide à l’Église en Détresse (AED).
- AED, Liberté religieuse dans le monde. Rapport 2025. Pour tout rens. : https://aed-france.org
© La Nef n° 385 Novembre 2025, mis en ligne le 17 novembre 2025
La Nef Journal catholique indépendant