Jean Sévillia © Bruno Klein

La France catholique

Jean Sévillia est rédacteur en chef adjoint au Figaro Magazine et membre du conseil scientifique du Figaro Histoire. Essayiste et historien, il a publié de nombreux succès de librairie, notamment Zita impératrice courage (Perrin, 1997), Le terrorisme intellectuel (Perrin, 2000), Historiquement correct (Perrin, 2003), Le Dernier empereur, Charles d’Autriche (Perrin, 2009) ou plus récemment Histoire passionnée de la France (Perrin, 2013).

La Nef – Alors que l’on dit le catholicisme en déclin en France, votre livre montre une religion qui n’est nullement moribonde. Qu’en est-il en réalité ?
Jean Sévillia – S’agissant d’un état des lieux du catholicisme français, deux écueils sont à éviter. Le premier, qui consiste à regarder la réalité avec des lunettes roses, a caractérisé pendant trois ou quatre décennies le discours épiscopal et celui de la plus grande partie de la presse catholique qui ne voulait pas voir la réalité en face, à savoir que les fruits attendus des années postconciliaires n’ont pas été au rendez-vous. Au lieu du printemps de l’Église, nous avons assisté, après l’élan initial, à un formidable recul de la pratique, à une crise des vocations, et à l’échec de la transmission de la foi. Le reconnaître aurait supposé des remises en cause que bien peu étaient prêts à opérer. Aujourd’hui, les chiffres étant ce qu’ils sont, nul ne peut nier cette crise, mais l’explication par les causes profondes attend toujours. En sens inverse, tendance qui prévaut souvent chez les « tradis », certains croient vivre les derniers jours de l’Église de France, souvent en mythifiant le passé.
C’est pour répondre à ces deux écueils que j’ai écrit ce livre, préférant la vérité aux fantasmes. En fait, nous sommes passés d’une société laïque imprégnée de restes de chrétienté à une société hyper-laïciste et postchrétienne. Il s’agit d’un bouleversement de civilisation concomitant de Vatican II, dont le concile n’a pas été la cause puisqu’il a voulu lui apporter des réponses, mais qui a pu jouer un rôle d’accélérateur sur des phénomènes antérieurs et parfois extrinsèques à l’Église. Dans ce contexte général, et au terme de la séquence des pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI, qui sont liés, il y a ce qui meurt dans l’Église de France, mais aussi ce qui se maintient, et enfin ce qui naît ou renaît. C’est à dresser ce bilan nuancé que je me suis attaché.

D’où vient le renouveau que vous décrivez et quel rôle y ont joué les papes Jean-Paul II et Benoît XVI ? Et comment se situe François sur ce terrain ?
Mon enquête ne porte pas sur la papauté, mais sur l’Église de France. Jean-Paul II puis Benoît XVI ont joué un rôle considérable en France dans la mesure où leur enseignement et leur volonté de réorienter la vie chrétienne autour de la prière et de la vie spirituelle, vision verticale contrastant avec la vision horizontale des années 1960-1970 qui tendait à transformer l’Évangile en un message socio-politique, ont été entendus par un large secteur du catholicisme français, avec ses paroisses, ses mouvements, son clergé, ses congrégations religieuses. Sept ans étant nécessaires pour former un prêtre, il n’y a pas encore de « clergé François », pape élu en 2013, je le dis sans arrière-pensée. Il en est de même pour les nominations épiscopales. Nouvel archevêque de Paris, Mgr Aupetit s’inscrit dans la lignée de ses deux prédécesseurs nommés par Jean-Paul II. Quant à ceux qui dialectisent le pontificat de François pour en faire un élément de rupture avec les papes précédents, je ne suis pas sûr, en dépit du soutien médiatique dont ils bénéficient, qu’ils aient beaucoup de monde derrière eux.

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans votre enquête ?
L’étonnant foisonnement de propositions dans tous les domaines. Oui, notre société s’est déchristianisée, oui, l’Église n’a plus l’influence d’autrefois, mais quand même, quelle variété et quelle richesse dans les différentes familles spirituelles catholiques, dans les mouvements et associations, dans les œuvres !

Quelles sont les principales faiblesses et forces du catholicisme français ?
Les faiblesses, dans le désordre : un corps épiscopal souvent trop prudent ; le manque de formation de trop de laïcs ; l’impécuniosité qui rend tout projet difficile ; l’hostilité politique et médiatique à l’égard de l’anthropologie chrétienne ; le danger de l’entre-soi, le catholicisme populaire ayant fondu. Au rang des atouts, des clivages internes beaucoup moins marqués qu’il y a trente ans ; de nouveaux intellectuels (la génération Bellamy) ; une jeunesse catholique très déterminée et prête à s’engager, reflet d’un tissu de familles nombreuses qui n’a pas son équivalent à l’étranger, mais surtout, surtout, un ancrage spirituel extrêmement fort, qui se remarque dans le renouveau des pèlerinages ou de l’adoration eucharistique.

Propos recueillis par Christophe Geffroy

Jean Sévillia, La France Catholique, Tempus/Perrin, 2017, 192 pages, 7 €.

© LA NEF n°300 Février 2018