Lectures Juin 2024

NON, LE CHRIST N’EST PAS UN MYTHE
Libre réponse à Michel Onfray
MATTHIEU LAVAGNA
Artège, 2024, 264 pages, 18,90 €

Michel Onfray est-il fou ? Voici la question que l’on peut se poser après la lecture de cet ouvrage du brillant Matthieu Lavagna. Depuis vingt ans, ledit philosophe réfute l’existence du Christ, critique les catholiques, les taxe de « naïfs et niais » et d’« obsessionnels » subissant une « hallucination collective ». Bref, il prend les catholiques pour des fous. Et prend ses lecteurs pour des jambons. En utilisant des sources biaisées, multipliant les paradoxes, Onfray se décrédibilise. Pire, il imagine une forme de complot organisée par ceux qui réfutent ses thèses, c’est-à-dire l’ensemble du monde universitaire, qualifiant ces chercheurs de « méprisants ».
Usant d’un ton souvent sarcastique, Matthieu Lavagna détricote le système Onfray et c’est là l’intérêt de cet ouvrage. Reprenant des sources historiques, catholiques et non-catholiques, voire anti-cléricales, il permet à tous les publics, avertis ou non, de comprendre l’arnaque Michel Onfray au sujet du christianisme. En réalité, l’auteur n’invente rien, n’use d’aucun jus de cerveau pour une simple raison : l’existence de Jésus n’est pas une question dans le monde universitaire. Un des arguments d’Onfray réside notamment dans l’interpolation des moines copistes qui auraient pu falsifier les récits pour rendre l’existence du Christ crédible. Deux réponses de Lavagna : la première est que les meilleures sources sont antiques ; elles attestent son existence tout en méprisant les catholiques, comme Flavius Josèphe, historien juif du IIIe siècle. La seconde réponse de Lavagna est d’ordre logique : contrairement à ce qu’affirme Onfray, les moines copistes n’avaient aucunement besoin de convaincre la population de l’existence du Christ puisque, contrairement à aujourd’hui, la population était très largement pratiquante. Et cela n’est qu’un aspect de son développement concernant l’existence du Christ, une somme importante d’arguments et de sources abondent en ce sens.
La seconde partie du livre concerne les calomnies d’Onfray envers les mœurs et les positionnements de l’Église. Le catholicisme serait misogyne ? Jésus a notamment évité des lapidations et l’Église a entre autres permis que le mariage ne soit pas forcé, sans compter les Évangiles qui sont loin d’être misogynes. L’Église et Hitler étaient proches ? Non plus, Pie XI et Pie XII ont marqué à maintes reprises leurs désaccords avec le nazisme et avec son édile. Toutes les accusations envers le christianisme venant du philosophe sont réfutées avec force, passion et rigueur dans cet ouvrage qui fera peut-être réfléchir les lecteurs de Michel Onfray quant à la pertinence de ce qu’ils lisent.

Sacha Beaud’huy

TU SERAS L’OUVRAGE PARFAIT DE DIEU
IRÉNÉE DE LYON
Commenté par Marie-Laure Chaieb
Salvator, 2023, 174 pages, 15,90 €

Aider à découvrir la théologie de saint Irénée trop souvent perçue comme inaccessible mais aussi souligner son actualité : telle est la double intention qui a motivé la rédaction de l’ouvrage que publie Marie-Laure Chaieb, docteur en théologie. Son travail est le fruit d’une longue fréquentation de l’œuvre de cet Oriental du IIe siècle, formé à l’école d’un disciple de l’évangéliste saint Jean, saint Polycarpe, puis deuxième évêque de Lyon (177-202) et proclamé docteur de l’Église en 2022.
Irénée est l’auteur d’abondants travaux sur les hérésies, en particulier les gnosticismes, qui proliféraient à son époque. Deux aspects caractérisent ses écrits, souligne M.-L. Chaieb : au-delà de la réfutation objective des doctrines gnostiques, « qui prétendent apporter “la” connaissance définitive sur Dieu », Irénée veut « expliquer aux lecteurs la cohérence de la foi chrétienne afin qu’ils ne soient plus tentés de chercher ailleurs le Mystère qui est gardé dans l’Église ».
En douze chapitres bien structurés, elle commente les points fondamentaux de cet enseignement doctrinal (intelligence de la foi, pédagogie biblique, Dieu trinitaire, anthropologie chrétienne, rôle de Marie et de l’Eucharistie dans le salut, canon des Écritures, Tradition vivante, etc.) au regard des dérives gnostiques actuelles (subjectivisme, relativisme, spiritualisme, ésotérisme) qui affectent les sociétés déchristianisées. Tout cela explique l’adaptation de ce livre aux besoins de notre temps et invite à une lecture attentive.

Annie Laurent

LA NUIT DES ROIS. COLLOQUE DES MORTS
JACQUES TRÉMOLET DE VILLERS ET ZÉLIE DU PEYROUX
Les Belles Lettres, 2024, 180 pages, 21,50 €

Sous la plume de Jacques Trémolet de Villers, les morts ressuscitent d’une manière poétique. À travers une songerie nocturne, les auteurs, le grand-père et sa petite fille Zélie, sont conviés au banquet des rois de France. Même Cicéron, maître à penser de l’avocat célèbre, siège à la table des royaux personnages. Intrigué, le lecteur suit cette rêverie où les gisants prennent vie, les sculptures s’animent, les portraits royaux parlent soudain d’une France qu’ils contemplent du haut du ciel. Ce banquet n’existe pas dans le temps : il le comprime, joignant dans une admirable pesanteur l’hier et l’aujourd’hui… l’instant d’une songerie.
Les pages alternent entre questionnements des auteurs qui se font avocats ou porte-paroles d’une France en perte de repères et réponses majestueuses. Si le rythme est parfois redondant, les interrogations des contemporains rejaillissent dans ce dialogue imaginaire. Les rois faisaient-ils du sport ? Quelle était la place des reines et des concubines ? Que peuvent dire les rois sur les religions en France ? Et la contraception, qu’en pensent-ils ? Puisque l’occasion de soumettre ces questions se présente, les auteurs se font l’écho d’une société fort peu renseignée sur son passé et ses rois. Le propos se veut pédagogique : des gravures de ces hommes politiques et historiques ponctuent le récit, pour que le lecteur jouisse aussi de cette rencontre nocturne en apercevant leur visage. Au dos, quelques lignes relatent la vie du roi dans un langage érudit, nécessitant des connaissances précises sur la période et le contexte.
Comme tout rêve s’évanouissant dans l’aurore naissante, la magie disparaît à la fin de l’ouvrage. Que restera-t-il de cette nuit des rois ? Peut-être une phrase, une maxime, une anecdote ou un conseil. Les auteurs auront réussi à piquer la curiosité du lecteur : d’où leur vient cette familiarité avec les rois ? Comment s’adresser si aisément à ces augustes personnages ? Il ne reste qu’à en creuser les destinées pour un jour peut-être, dans un rêve similaire, discuter tranquillement avec Charles VII ou Louis XIV.

Anne-Catherine Jovanovic

OCCIDENT, ENNEMI MONDIAL N°1
JEAN-FRANÇOIS COLOSIMO
Albin Michel, 2024, 256 pages, 21,90 €

Fruit d’une érudition étonnante, l’ouvrage s’inscrit dans une triple thématique, à la fois historique, géopolitique et aussi théologique. Jean-François Colosimo suit les trajectoires des différents empires depuis leurs origines jusqu’à nos jours, s’intéressant principalement à ceux qui nous menacent aujourd’hui : la Turquie, l’Iran, la Chine, la Russie et l’Inde. Pour la plupart, ils entretiennent une haine de l’Occident avec le degré d’imprécision que comporte ce mot, concept vague qui signifie tomber à terre, mourir.
L’auteur ajoute l’idée que l’objectif de la reconquête serait à proprement parler religieux. Chacun de ces empires, après un siècle de religions séculières, aurait renoué avec les vieilles religions, christianisme, islam, bouddhisme, pour donner au combat une motivation transcendantale.
Face à eux, un Occident incertain, tenté par son propre recours à la religion dans le cadre d’une rivalité mimétique. Les États-Unis, depuis les attentats de 2001, le retrait de ses troupes du Moyen-Orient, l’assaut du Capitole marquent de véritables signes de faiblesse. L’Europe doit apprendre dé­sormais à penser sans eux. Et la France doit prendre le leadership car elle est la seule dans l’Union européenne à posséder la bombe nucléaire, une force militaire complète et un vaste empire maritime.
Jean-François Colosimo nous fascine par ses intuitions lumineuses. Mais on a du mal parfois à suivre le fil conducteur de sa pensée.

Pierre Mayrant

ISRAËL/PALESTINE
Anatomie d’un conflit
THOMAS SNÉGAROFF ET VINCENT LEMIRE
Les Arènes, 2024, 132 pages, 17 €

Du projet sioniste élaboré par Theodor Herzl en 1897 destiné à promouvoir un État-nation pour les Juifs jusqu’à l’actuel conflit qui oppose Israéliens et Palestiniens autour de Gaza depuis le 7 octobre 2023, cette partie du Proche-Orient n’en finit pas de vivre dans l’instabilité malgré certaines initiatives, locales et internationales, qui ont pu annoncer l’avènement de la stabilité et de la paix. Pour saisir les divers enjeux d’une situation aussi complexe et imprévisible, la lecture de cet ouvrage s’avère d’autant plus nécessaire que ses auteurs, tous deux historiens, ont opté pour une méthode réellement pédagogique. En six chapitres, illustrés par des cartes inédites, des dates, des fiches biographiques, des extraits de documents officiels et des définitions de termes spécifiques, ils répondent à cinquante questions. Tout en suivant l’ordre chronologique des événements relatés, ils prennent soin d’analyser les motivations des principaux acteurs impliqués dans chaque épisode, où s’entremêlent nationalismes, confessionnalismes et rivalités politiques, et de les situer dans leurs contextes géopolitiques respectifs. Ce qui conduit Snégaroff et Lemire à ce constat : « En fait, au Proche-Orient comme en Occident, les acteurs qui veulent croire au processus de paix n’ont pas envie de prendre la mesure des forces souterraines qui travaillent en profondeur les sociétés israélienne et palestinienne. » Admettant avec lucidité le tragique actuel, ils se refusent cependant à une conclusion définitive car « la suite de l’histoire n’est jamais écrite ». Il reste à scruter l’avenir.

Annie Laurent

D’UN CORPS À L’AUTRE
PÈRE JEAN-CLAUDE HANUS
Éditions Grégoriennes, 2023, 512 pages, 19,50 €

C’est un véritable traité d’anthropologie chrétienne que nous propose ici le père Jean-Claude Hanus, avec cet ouvrage parfois un peu jargonneux. Dans une première partie, l’auteur part de l’état du corps d’Adam et d’Ève avant le péché, pour nous amener jusqu’à la résurrection de la chair en corps glorieux lors du jugement. Pour lui, tout homme possède un corps unique pouvant exister sous trois états ou trois modes : le mode biologique, celui que nous connaissons ici-bas, un corps glorieux dont nous disposerons pleinement après notre résurrection, et également un corps spirituel, une sorte d’état corporel « intermédiaire » entre les deux autres, qui permet à l’auteur d’expliquer les phénomènes de bilocation de certains mystiques ainsi que les EMI (expériences de mort imminente).
Certaines thèses de l’auteur s’éloignent du catéchisme traditionnel : il pense qu’à aucun moment l’âme n’est séparée du corps. Dès l’instant de la mort biologique, le corps glorieux est présent, bien qu’à l’état de germe. Il aura sa pleine maturité au moment de la fin des temps. Il pense également que le choix définitif entre le paradis et l’enfer se fait après la mort, ce qui s’oppose à la doctrine de l’Église. Vont en enfer uniquement ceux qui ressentent l’amour de Dieu comme un harcèlement. Mais que devient alors le sens de notre existence terrestre ? Une simple prédisposition à faire ce choix définitif post-mortem ? D’autre part, faut-il accorder une réalité charnelle aux EMI qui sont des expériences purement subjectives et dont certaines sont incompatibles avec la foi chrétienne (ce que reconnaît l’auteur, mais il n’en tire pas la conclusion logique qui s’impose) ? Enfin, le père Hanus me semble manquer d’esprit critique face à certains phénomènes mystiques : faut-il prendre pour argent comptant ce que dit Sogyal Rinpoché sur l’assomption de certains sages thibétains ? Quand on connaît la personnalité controversée de ce personnage, un certain scepticisme serait de mise. Un livre intéressant, à lire toutefois avec esprit critique.

Bruno Massy de La Chesneraye

LE DISCERNEMENT DES HABITUS
Autour de Charles De Koninck
MICHEL BOYANCÉ ET BERNARD GUÉRY (dir.)
Les Presses Universitaires de l’IPC, 2023, 256 pages, 24 €

Il y a de nombreuses demeures dans la maison du thomisme : thomisme transcendantal, aristotélico-thomisme, thomisme augustinien, thomisme analytique… L’œuvre de Charles De Koninck (1906-1965), philosophe belge qui enseigna trente ans au Canada, s’inscrit dans l’un des courants du néothomisme contemporain, l’école philosophique de Laval (de l’Université Laval au Québec), dont les autres grandes figures furent Jacques de Monléon et Mgr Maurice Dionne. Elle est chère à l’IPC-Facultés Libres de Philosophie et de Psychologie, qui publie cet ouvrage collectif composé d’études variées, où se déploie une pensée confrontée aux diverses disciplines : philosophie de la nature (avec notamment le problème de l’évolution), éthique et politique, métaphysique et logique. La controverse qui opposa Charles De Koninck et Jacques Maritain sur la primauté du bien commun et le personnalisme est reprise à frais niveaux par Michel Boyancé, doyen émérite de l’IPC, avec une grande finesse d’analyse. À conseiller aux spécialistes.

Denis Sureau

MUSULMANE, JESUS M’A LIBÉRÉE
DJAMILA DJELLOUL
Artège, 2024, 194 pages, 17,90 €

« Dieu vous cherche » : tels sont les mots choisis par un prêtre parisien auquel Djamila vient de confier ses tourments religieux. La jeune Algérienne, alors établie en France avec ses parents, a été élevée dans un islam intransigeant, où l’on affirme que le paradis est réservé aux musulmans. Mais la générosité des chrétiens qu’elle côtoie contredit ce qu’on lui a appris. En même temps, elle subit la violence de son père puis les mauvais traitements d’Ali, l’Égyptien qu’elle a épousé et qui la répudie après avoir constaté qu’elle lisait la Bible en cachette. La suite est marquée par une instabilité permanente, au niveau familial comme dans le domaine matrimonial (plusieurs mariages, des enfants de différents lits, des séparations douloureuses). Dans ce tourbillon, la question religieuse continue d’habiter Djamila. Ainsi, comment accepter « le dogme qui veut que Jésus et Dieu soient la même personne » ? La consultation plus assidue du Coran et d’ouvrages sur la vie de Mahomet lui fait découvrir tellement de passages choquants qu’elle ne peut plus vivre dans le doute : le Christ est bien la Vérité. Un pèlerinage à Lourdes avec son époux du moment, le chrétien Mikhaïl, marque une étape décisive vers le baptême qu’elle recevra à Pâques 2008. Sa vie, soutenue par des signes surnaturels, en est transformée, le témoignage de la foi occupant désormais la première place, notamment dans le pardon qu’elle accorde à ses parents. Après avoir régularisé une situation matrimoniale non conforme au droit de l’Église, elle épouse, validement cette fois, un Libanais maronite, Sobhy. Avec lui, elle se lance dans une vaste entreprise d’évangélisation, orientée surtout vers les musulmans. Les lecteurs soucieux de s’engager dans cette mission liront avec profit les pages consacrées à cette mission qui sait associer vérité et charité.

Annie Laurent

L’ÈRE DE L’AFFIRMATION
Répondre au défi de la désoccidentalisation
MAX-ERWANN GASTINEAU
Cerf, 2023, 212 pages, 22 €

La désoccidentalisation se présente dans cet ouvrage comme un processus inachevé qui commence à la Chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989, et se concrétise depuis au moins une décennie par l’affirmation de la Chine. Max-Erwann Gastineau n’offre pas un constat pessimiste. Il ne déplore pas cette situation nouvelle dans laquelle est plongé l’Occident. Le développement des populismes et de démocraties plus autoritaires dans le monde ne viendrait pas, comme on a l’habitude de l’entendre, d’une dérive morale au regard des droits de l’homme, mais plus véritablement d’une manière de se distinguer d’une hégémonie culturelle et philosophique occidentale.
L’auteur propose de nouvelles perspectives et un nouveau positionnement, notamment dans le cas de l’Europe qui doit désormais accepter ce nouvel état de fait et ne plus s’enfermer dans « l’abstractionnisme » des idées. Au contraire, l’Afrique devenant le premier pourvoyeur démographique au monde, peut désormais choisir son propre destin ainsi que ses alliés. Max-Erwann Gastineau rejoint des auteurs qui font l’éloge de la diversité comme Claude Levi-Strauss et Samuel Huntington. Il défend ainsi la vision politique du président Jacques Chirac lors de l’inauguration du musée du Quai Branly en 2006 consacré aux arts et civilisations des peuples premiers. Les valeurs principielles de l’Europe doivent être décentrées. Mais jusqu’où ? Car le risque est aussi de tomber dans le relativisme. Dans le chapitre consacré à la sinisation de l’Occident, il est vu que la Chine devient un nouveau modèle à imiter, faisant passer ce pays comme une des multiples formes d’illibéralisme, une simple démocratie autoritaire à l’instar de la Hongrie. Pourtant, il serait fou de nier que la Chine se classe parmi les États totalitaires : la terreur permanente, les persécutions, les camps de concentration, le parti unique et la survivance de l’idéologie communiste sont autant d’évidences à lui imputer. Pour rappeler ces dérives, il reste encore des principes de l’ancienne hégémonie occidentale comme la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. L’universalisme occidental a sans doute ses limites, mais il peut bien parfois rester utile.

Pierre Mayrant

PÈRE DANIEL BROTTIER
En confiance
ALPHONSE GILBERT
Salvator 2024, 376 pages, 21,90 €

Surtout connu par son admirable œuvre des Apprentis d’Auteuil qui, encore aujourd’hui, reste une référence pour l’insertion de nombreux jeunes en difficulté, nous découvrons dans cette réédition d’une biographie écrite en 1990 l’exaltante vie du Père Brottier. Malgré une santé déficiente, il fut un infatigable missionnaire au Sénégal, impulsant la construction de la cathédrale de Dakar. Rapatrié en France à l’aube de la Première Guerre mondiale, il devint aumônier militaire, en première ligne sur le front des combats où il semble toujours être miraculeusement protégé. À la fin des hostilités, il découvre qu’il a été placé sous la protection de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus par son ami, évêque au Sénégal, Mgr Jalabert. Il gardera une profonde dévotion envers cette sainte et, devenu responsable des Orphelins d’Auteuil, fera construire à Paris sur le site de l’œuvre, le premier sanctuaire qui lui est dédié et où il sera inhumé en 1936. Ce récit passionnant nous laisse deviner le charisme de ce missionnaire au sens large, bâtisseur et remarquable chercheur de fonds, qui ne cesse de puiser sa force dans la prière. Il sera béatifié par le pape Jean-Paul II le 25 novembre 1984.

Anne-Françoise Thès

LE CORAN DE SANG
Le blasphème de Saddam
AMELIE M. CHELLY
Cerf, 2024, 146 pages, 18 €

C’est une bien étrange histoire que relate la sociologue Amélie Chelly. Spécialiste de l’islam politique au Proche-Orient et membre du corps enseignant dans les universités parisiennes de la Sorbonne et de Dauphine, elle plonge ici le lecteur dans l’Irak gouverné par Saddam Hussein quelques années avant sa chute, consécutive à l’invasion américaine de 2003. Se sachant menacé par l’islam chiite local radicalisé sous l’influence de l’Iran, le raïs, de confession sunnite et militant du parti Baas laïcisant, avait entrepris la réislamisation ostensible de son pays, multipliant les initiatives dont la plus spectaculaire fut l’inscription, en 1991, des mots « Allah o Akbar » (Dieu est le plus grand) sur le drapeau national. C’est dans ce contexte qu’en 1996 il exécuta le vœu qu’il avait formulé pour obtenir la survie de son fils aîné, Oudaï, victime d’une tentative d’assassinat : l’écriture du Coran avec son propre sang ! Ce qui est considéré dans l’islam comme un « outrage à Allah », le sang sorti d’un corps humain étant réputé impur. Un calligraphe de talent accepta cependant de réaliser ce travail dont l’achèvement donna lieu à une grandiose célébration d’accueil, S. Hussein annonçant alors son intention d’en utiliser les innombrables pages pour orner la plus grande mosquée du monde qu’il ambitionnait de construire, projet évidemment abandonné avec la défaite du régime irakien. Il reste que ce « projet fou » entraîna une double fitna (discorde) au sein de l’islam, rappelle l’auteur : d’une part, entre États sunnites de la région, Riyad et Abou Dhabi s’opposant à Bagdad ; d’autre part, en Irak même, entre sunnites et chiites. Quant au « Coran de Saddam », il reste impossible à localiser. Cet épisode tabou de l’histoire moderne de l’Irak méritait d’être connu, et c’est tout l’intérêt de l’ouvrage d’Amélie M. Chelly.

Annie Laurent

LES YEUX FIXÉS SUR LE CIEL
Journal spirituel d’une mère de famille
TERESA DMOCHOWSKA
Éditions des Béatitudes, 2020, 104 pages, 15 €

Francis Ponge trouve une occasion de poésie dans la description d’un cageot, sainte Thérèse assure que ramasser une aiguille par amour peut sauver une âme, Teresa Dmochowska, elle, voit une occasion de sanctification dans chaque geste de son quotidien de mère et d’épouse, et cela bien avant l’appel à la sainteté des époux de saint Jean-Paul II.
Aristocrate polonaise, chassée par les bolcheviques, elle s’installe à Vienne et épouse un homme de science dont elle aura six enfants. Elle écrit, sous pseudonyme et cachée sous les traits d’une paysanne française, sous la forme d’un journal. Elle évoque, avec une simplicité déconcertante, un quotidien banal transfiguré par sa foi et par les sacrements du mariage et du baptême. Les mains dans un quotidien qui se répète, elle garde les yeux fixés sur le ciel et toute chose devient nouvelle. L’amour conjugal et maternel, les joies, les souffrances et les sacrifices ne mènent pas à une sainteté au rabais. Ainsi l’exprime Gaudium et Spes : « En accomplissant leur mission conjugale et familiale avec la force de ce sacrement, pénétrés de l’Esprit du Christ qui imprègne toute leur vie de foi, d’espérance et de charité, parviennent de plus en plus à leur perfection personnelle et à leur sanctification mutuelle ; c’est ainsi qu’ensemble, ils contribuent à la glorification de Dieu. »
Le livre est agréable à lire car les chapitres sont brefs et variés et peuvent se boire à petites gorgées : la fenêtre, la naissance, le réveil, le froid, l’allaitement, la table ; chaque paragraphe a son objet, sa lumière : c’est un véritable trésor pour que ce qui est caché dans le cœur des mères de famille puisse être offert à Dieu et participe ainsi au salut du monde.

Constance de Vergennes

MARIE-ANTOINETTE
CHARLES-ÉLOI VIAL

Perrin, 720 pages, 28 €

Voici assurément « la » biographie de référence sur la dernière reine de l’Ancien Régime. L’auteur impressionne par son érudition, sa maîtrise du sujet et sa faculté à ne jamais ennuyer son lecteur malgré la taille imposante de son livre. Il donne de Marie-Antoinette un portrait profond qui sonne juste, loin des caricatures si fréquentes qui la résument à une personnalité fade et frivole. Lorsque Louis XVI, en 1787, vacille sous le poids des soucis, la reine est alors bien présente et essaie d’agir, mais il est déjà trop tard. Le martyre qu’elle vit sous la Révolution révèle son vrai caractère : son courage fut admirable. Marie-Antoinette demeure une reine mystérieuse, mais cette magnifique biographie soulève une bonne partie du voile.

Simon Walter

Roman à signaler

BUFFALO BLUES
KEITH McCAFFERTY
Gallmeister, 2024, 490 pages, 23,90 €

Vous aimez les grandes étendues du Montana, ses montagnes et ses rivières idéales pour la pêche, ses habitants un peu rudes ? McCafferty est votre auteur. On retrouve ici ses deux héros, la shérif Martha Ettinger et son ami Sean Stranahan, guide de pêche, peintre et détective privé, qui l’aide dans ses enquêtes. Dans cet opus, il y a certes un mort suspect, mais l’enquête policière n’est pas l’essentiel de ce roman des grands espaces où les bisons occupent la première place. Pourquoi et comment un troupeau de bisons est-il tombé dans le vide avec, au milieu des cadavres d’animaux, celui d’un Indien avec une flèche dans la peau ? L’enquête avance lentement pour laisser l’auteur nous décrire ce monde où cohabitent de rugueux Blancs et des Indiens ayant leurs réserves et demeurés attachés à leurs traditions, la liberté de circuler des bisons étant pour eux une cause importante à défendre. Une belle plume pour un roman dépaysant avec des personnages fouillés et bien dessinés.

Simon Walter

© LA NEF n° 370 Juin 2024