L’Eglise de France et la pédophilie

Le scandale d’un prêtre pédophile est tel, qu’il est une honte pour l’Église. Accuser celle-ci encore de laxisme ou d’hypocrisie, comme le font certains médias, est vraiment injuste.

Le 21 mars dernier sur France 2, la fiction a dépassé la réalité. Le magazine Cash investigation s’intitulait ce soir-là « Pédophilie dans l’Église : le poids du silence » et a cherché à révéler ce qui était déjà sous la lumière depuis plus d’un an. Le reportage a voulu dénoncer les nombreuses affaires de pédophilie que l’Église aurait intentionnellement cachées durant plusieurs décennies, en France et dans le monde. Il a essayé de révéler l’existence d’un vaste réseau de transfert des prêtres coupables d’abus sexuels sur mineurs, visualisé par une carte représentant les exfiltrations, afin d’étouffer le scandale et d’éviter un jugement civil. Dénoncé par la Conférence des Évêques de France (voir entretien avec Vincent Neymon ci-dessous), ce reportage cherche à accabler une institution qui a pourtant reconnu les faits depuis de nombreuses années. Il est donc nécessaire d’y revenir pour comprendre quel a été le cheminement de l’Église catholique face au phénomène de la pédophilie.
Le cas du P. Bernard Preynat a relancé la médiatisation, début 2016. Accusé d’agressions sexuelles sur des jeunes scouts du diocèse de Lyon entre 1986 et 1991, le prêtre reconnaît les faits concernant 72 victimes. Le procès est actuellement en cours. Très vite, une présomption de culpabilité est tombée sur le cardinal Barbarin, prolongement des plaintes déposées en mars pour « non-dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs » et « non-assistance à personne en danger » par l’association « La Parole libérée » qui réunit les victimes du P. Preynat. Malgré leur classement sans suite par le parquet de Lyon en août 2016, certains continuent de voir une complicité de la hiérarchie ecclésiastique qui aurait connu les faits et n’aurait réagi que sous la pression médiatique, comme pour de nombreuses autres affaires, ce qu’essaient de démontrer les journalistes de Cash investigation. Dans ce reportage, comme dans bien d’autres, ce ne sont pas les prêtres auteurs d’actes pédophiles qui sont coupables, mais l’institution Église.

DES ERREURS AU DÉPART
L’Église reconnaît elle-même avoir mal conduit le dossier de la pédophilie, mais il faut bien admettre qu’aucune autre institution que l’Église n’a jamais autant agi contre la pédophilie. Car, comme l’expliquent les auteurs de Église, La mécanique du silence (1), « d’autres institutions amenées à travailler auprès d’enfants, comme l’Éducation nationale ou les clubs sportifs, sont également touchées » et ne mènent pas pour autant un tel combat contre la pédophilie. Il semble beaucoup plus facile de fouiller dans les affaires de l’Église – pas si silencieuse finalement – que dans celles d’un ministère.
Ce livre, écrit par des journalistes de Mediapart qui ont aussi collaboré au magazine Cash investigation, est pourtant une véritable charge contre l’Église catholique. Ses initiatives contre la pédophilie ne sont pas évoquées. À l’inverse, sans aucune modération, ces journalistes dénoncent des faits connus qu’ils tiennent des autorités judiciaires et ecclésiastiques. L’Église a agi en toute transparence, mais ils veulent croite à une opacité mystérieuse, à un silence coupable. S’attardant essentiellement sur la parole des victimes, le pathos prime sur la vérité objective.

L’OUBLI DU COMBAT DE L’ÉGLISE CONTRE LA PÉDOPHILIE
Qu’a fait l’Église depuis l’éclatement des scandales de pédophilie dans le courant des années 90 ? Sa ligne était alors de ne pas dénoncer les prêtres auteurs d’actes pédophiles aux autorités civiles, mais, depuis, son attitude a radicalement changé. Un ouvrage qui vient de paraître, Le Sacré incestueux. Les prêtres pédophiles (2), explicite son combat contre la pédophilie : en 2000, lors de leur assemblée plénière à Lourdes, les évêques de France réaffirment leur condamnation de la pédophilie et admettent que l’Église n’est pas épargnée par ces conduites criminelles. En 2001, le motu proprio Sacramentorum sanctitatis tutela du pape Jean-Paul II réserve au tribunal ecclésiastique de la Congrégation pour la Doctrine de la foi le jugement de tout acte sexuel sur mineur. Des documents sont publiés comme Lutter contre la pédophilie : repères pour les éducateurs (3) de la Conférence des Évêques de France en 2003, ou encore Une souffrance cachée : pour une approche globale des abus sexuels dans l’Église (4) par les évêques et supérieurs majeurs de Belgique en 2012. Le suivi des prêtres auteurs d’actes pédophiles s’améliore : accompagnement thérapeutique, restrictions dans l’exercice de leur ministère, éloignement du lieu de nomination, suspension préventive ou définitive de leurs activités pastorales, transparence vis-à-vis des autorités civiles.
L’élection de Benoît XVI est un tournant dans cette lutte : peu après son arrivée, il s’occupe directement du fondateur des Légionnaires du Christ, le P. Marcial Maciel Degollado, coupable d’abus sur mineurs et condamné en mai 2006 « à une vie réservée de prière et de pénitence », puis des scandales de pédophilie en Irlande où il déplore en mars 2010 la responsabilité des évêques irlandais dans la mauvaise gestion des affaires. Surtout, en mai 2010, dans le texte Normae de gravioribus delictis, il permet à la Congrégation pour la Doctrine de la foi de passer exceptionnellement par une procédure extrajudiciaire pour les cas d’abus sexuels sur mineur. En 2011, cette même Congrégation publie un formulaire obligeant les évêques eux-mêmes à se mettre en relation avec la justice civile. En avril 2016, l’épiscopat français a demandé la création d’une commission nationale indépendante d’expertise pour lutter contre la pédophilie. Il agit aujourd’hui avec une extrême prudence et promptitude : pour la première fois en France, le 6 avril dernier, le pape François a accepté la démission de Mgr Hervé Gaschignard, évêque d’Aire et Dax, suite à des « attitudes inappropriées » signalées par des jeunes de son diocèse (on n’en sait pas plus, sinon qu’il ne s’agirait pas de pédophilie !), alors même qu’aucune action juridique, ni ecclésiastique ni civile, n’est en cours.
En plus de quinze ans, l’Église a agi, bon an mal an, cherchant la meilleure procédure à mettre en place. Les décisions prises sont peut-être discutables, les rouages de l’institution ont retardé sans doute le processus, cependant bel et bien enclenché.

LES VRAIES CAUSES ÉVACUÉES
On évoque souvent l’absence de mesures radicales. Mais celles-ci sont aussi problématiques, comme le montrent les auteurs du Sacré incestueux. Les mesures de l’Église contre la pédophilie posent de nouvelles questions sur le fonctionnement de l’institution. Depuis 2011, « l’Église renonce à exercer elle-même la justice sur les cas de pédophilie […] ce faisant, c’est bien une soumission de l’Église à l’État de droit […] De ce point de vue, la sécularisation est en marche : l’Église se soumet elle-même à quelque chose qui lui est supérieur ». C’est pourquoi il importe de remettre dans leur contexte les choix opérés par l’institution ecclésiale au cours de ces quinze dernières années, parce que son fonctionnement est différent de l’État. Il fallait du temps pour mener à bien les réformes.
Aussi, doit-on s’interroger sur les accusations répétées contre l’Église face à un phénomène qui concerne la société tout entière. Le travail d’investigation des journalistes est essentiel. Mais accabler une institution qui se repent, c’est comme tuer un mort. Cette dénonciation permanente est une manière de lier la question de la pédophilie à celle du catholicisme. On cherche ainsi à discréditer la parole ecclésiale sur la sexualité, parce qu’elle aurait couvert des actes de pédophilie. Ainsi, la pornographie ne serait plus un facteur déclenchant à l’origine de nombreuses déviations sexuelles : elle participerait mieux à l’épanouissement des jeunes que toute la « théologie du corps » de Jean-Paul II. Les vraies causes sont évacuées : qu’en est-il des débats sur sa possible légalisation pendant les années 60-70 désormais oubliés ? Focaliser son attention sur l’Église est une manière de taire les causes profondes de la pédophilie et de faire demeurer le tabou.

Pierre Mayrant

(1) Daphné Gastaldi, Mathieu Martinière, Mathieu Périsse, Église, La mécanique du silence, JC Lattès, 2017, 300 pages, 20 €.
(2) Olivier Bobineau, Constance Lalo, Joseph Merlet, Le Sacré incestueux. Les prêtres pédophiles, Desclée de Brouwer, 2017, 256 pages, 18,80 €.
(3) Accessible sur le site : http://luttercontrelapedophilie.catholique.fr/
(4) Évêques et supérieurs majeurs de Belgique, Une souffrance cachée : pour une approche globale des abus sexuels dans l’Église, Éditions Licap scrl, Bruxelles, 2012.

© LA NEF n°292 Mai 2017