Abbé Jean-Marie Perrot

L’abbé Perrot et la Bretagne

Assassiné en 1943 par les communistes, l’abbé Jean-Marie Perrot (1877-1943) était le symbole de la Bretagne catholique bretonnante qui ne voulait pas mourir. Portrait d’un irréductible auquel une imposante biographie vient d’être consacrée (1).

Le 12 décembre, dans le diocèse de Quimper, c’est la fête de saint Corentin, premier évêque. Le 12 décembre 1943, le recteur de Scrignac, l’abbé Jean-Marie Perrot (en breton Yann-Vari) célèbre la messe dans la chapelle dédiée à saint Corentin, qu’il a restaurée. Alors qu’il revient vers le bourg, à pied, accompagné du jeune garçon qui a servi la messe, un coup de feu claque. Le prêtre s’écroule, grièvement touché à la tête. Il meurt quelques heures plus tard dans son presbytère. « Monsieur le recteur est allé au ciel car il venait de finir son chapelet lorsqu’il a été tué », dira l’enfant de chœur.
L’abbé Perrot a été tué par un résistant communiste, suite à une sentence de mort édictée par un « tribunal » qui s’était réuni peu avant à Scaër. Jusqu’à la fin de sa vie, Daniel Trellu, chef des FTP de Bretagne centrale, justifiera l’assassinat de l’abbé Perrot pour ses faits de « collaboration ». Des faits inexistants, sauf à considérer comme tel le fait que les Allemands avaient réquisitionné son presbytère et qu’il devait cohabiter avec des officiers, dont l’un d’eux était un fervent catholique, neveu de Mgr von Galen…
En réalité il fallait éliminer l’abbé Perrot à cause de l’influence qu’il avait par ses publications et ses initiatives culturelles. Une influence dont on n’a plus idée aujourd’hui, même en Bretagne. L’abbé Perrot œuvrait pour une Bretagne chrétienne, pour une culture bretonne enracinée dans la foi catholique, conformément à sa tradition, et s’il n’était « pas un prêtre politique », comme il le disait avec force aux uns et aux autres, il combattait ouvertement et vigoureusement toutes les idéologies, du laïcisme républicain au communisme soviétique, avec une fougue qui effrayait quelque peu dans les salons de l’évêché…
L’abbé Perrot, ce sont les fêtes du Bleun Brug (Fleur de bruyère) et la revue Feiz ha Breiz (Foi et Bretagne).
En 1905, jeune vicaire de Saint-Vougay, il lance une modeste troupe de théâtre breton, avec au programme de la première représentation deux pièces, dont une de son cru. On attend quelques centaines de spectateurs. Il y en aura, selon les journaux, plus de 4000. Du coup la troupe fait une mini-tournée, et c’est l’occasion de lancer la première fête du Bleun Brug, accueillie au magnifique château de Kerjean (qui se trouve sur la commune de Saint-Vougay) par le comte et la comtesse de Coatgoureden, avec l’accord de l’évêché et l’appui d’Albert de Mun, qui se trouve être le député de la circonscription, et qui ira jusqu’à faire l’éloge du Bleun Brug au Palais-Bourbon…
D’année en année, le Bleun Brug va se développer, jusqu’à la Grande Guerre, devenant une référence en matière de culture bretonne : théâtre, musique, danse, poésie, conférences (on parlait des « congrès du Bleun Brug »), sous la conduite et selon le vœu de l’abbé Perrot : pleinement breton, pleinement catholique, le théâtre, la poésie et l’art étant autant de moyens de faire rayonner la foi et d’amener à la foi. Non sans frictions avec un évêché frileux où toute initiative était par principe jugée dangereuse. De « bonnes âmes » dénonçaient les dangers que de telles fêtes faisaient courir aux jeunes (les danses bretonnes devenaient « lascives »…), et le grand scandale était que l’abbé Perrot osait donner des pièces de théâtre où les rôles féminins étaient joués par des femmes…
Lorsque le nouvel évêque de Quimper, Mgr Duparc, prit ses fonctions, il décida même l’interdiction du Bleun Brug. Il fallut toute l’autorité morale, l’éloquence et le don de persuasion d’Albert de Mun pour sauver cette œuvre. Mgr Duparc sera un grand évêque de Quimper et Léon, jusqu’à sa mort en 1946. Dans le maître livre de Youenn Caouissin qui vient de paraître (1), on suit avec le plus grand intérêt le récit des conflits de l’évêque avec le recteur de Scrignac. Car l’évêque, maurrassien, aussi bretonnant que l’abbé Perrot, mais qui doit assumer la responsabilité de son clergé, tente de canaliser la fougue du directeur de Feiz ha Breiz et de calmer ses ardeurs polémiques. Il est dommage que ces rapports aient été parasités par l’interventionnisme du vicaire général, petit fonctionnaire qui n’était pas au niveau du débat…

FEIZ HA BREIZ : FOI ET BRETAGNE
Après la Première Guerre mondiale, où l’abbé Perrot eut une conduite héroïque, le Bleun Brug allait devenir le grand rendez-vous annuel de toute la culture bretonne, où tout le monde pouvait venir, mais qui restait fermement arrimé à ses deux valeurs fondamentales : Feiz ha Breiz, la foi catholique et la Bretagne bretonnante. Après la Seconde Guerre mondiale, le Bleun Brug allait être ressuscité un temps, puis se laïciser, se gauchiser, et disparaître.
Feiz ha Breiz, c’était le nom d’une modeste revue ecclésiastique dont l’abbé Perrot devint le directeur en 1911, et dont il fit le porte-parole de sa vision d’une renaissance de la vraie Bretagne, bretonnante et catholique. En 1924 elle tirait à 10 000 exemplaires, ce qui est considérable pour une publication intégralement en breton. À partir de 1933 il y eut aussi Feiz ha Breiz ar Vugale (Foi et Bretagne des enfants).
Mais Feiz ha Breiz va souffrir de plusieurs facteurs. L’abbé Perrot n’a pas que des amis, y compris à l’évêché, comme on l’a vu. On reproche à sa revue d’être un peu trop devenue, justement, sa revue. Puis arrive la concurrence de publications parisiennes avec suppléments locaux, au moment où la langue bretonne commence à subir une mortelle érosion. C’est l’époque où mes grands-parents paternels, tous deux bretonnants, décident de ne jamais parler breton avec leurs enfants. La persécution de l’école laïque rencontre finalement l’acquiescement des persécutés, parce qu’on ne peut pas réussir dans la vie avec une langue de paysans arriérés alors que tout le monde parle français à la ville…
La Basse-Bretagne rurale était quasiment restée une société traditionnelle jusqu’à la guerre de 14-18. Malgré les dégâts de la Révolution, malgré ceux de la République laïque. Après la Grande Guerre, la Basse-Bretagne a considérablement changé. Pour prendre un seul exemple typique, le chapeau breton est remplacé par la casquette parisienne. Tout est à l’avenant. Et dans certains ports, et certaines campagnes, le parti communiste prend une énorme importance. C’est le cas de Scrignac où l’abbé Perrot est nommé recteur.

POUR UN NOUVEL ART TRADITIONNEL
C’est pour lutter contre cette évolution mortifère que l’abbé Perrot met toute son énergie à multiplier les entreprises. Il a une telle aura qu’il réunit autour de lui non seulement les catholiques qui ont la même approche, mais tous les militants du « mouvement breton », de quelque bord que ce soit. Tous ont la plus grande admiration pour ce prêtre charismatique, tous se retrouvent au presbytère de Scrignac, humble paroisse perdue des monts d’Arrée qui devient la capitale de la Bretagne qui ne veut pas mourir. Il y aura là des séparatistes païens et des instituteurs socialistes bretonnants, et même un communiste, dont l’abbé Perrot sait que malgré tout il a gardé quelque chose de la foi de son enfance : et de fait il se fera enterrer à l’église.
Autour de l’abbé Perrot viennent des artistes, ceux qui ont constitué le groupe des Seiz Breur, les sept frères (du nom d’un conte). Ils sont une cinquantaine, qui dans tous les arts, de l’architecture à l’orfèvrerie, de la musique et à la peinture, mettent leur talent au service d’un art breton à la fois nouveau et traditionnel. Et avec certains d’entre eux l’abbé Perrot monte un atelier breton d’art chrétien, intitulé An Droellen (la spirale). L’un d’eux est l’architecte James Bouillé, qui construit la chapelle de Koat-Keo à Scrignac (aujourd’hui inscrite aux monuments historiques).
C’est un ami de l’abbé Perrot, dom Alexis Presse, qui remonte l’abbaye de Boquen, tandis qu’avec son autre ami bénédictin de longue date, dom Godu, il cherche à faire revivre l’abbaye de Landevennec, ce qui se fera après sa mort.
On peut penser qu’il ne reste pas grand-chose de l’abbé Perrot et que ses héritiers sont bien seuls. Mais le recteur de Scrignac reste un exemple de courage et de ténacité qui peut toujours revivre en ceux qui ne peuvent se résoudre à l’écroulement général.

Yves Daoudal

(1) Youenn Caouissin, J’ai tant pleuré sur la Bretagne. Vie de l’abbé Yann-Vari Perrot (10 pages de photographies), Via Romana, 2017, 568 pages, 34 €. Ce livre est une véritable somme sur l’abbé Perrot. Il bénéficie de nombreux documents réunis par le père de l’auteur, qui était le secrétaire du recteur de Scrignac.

© LA NEF n°299 Janvier 2018