La fabrique d’orphelins

L’État va-t-il devenir une fabrique d’orphelins ? C’est à cette question inédite que répond Marie-Hélène Verdier, dans un essai récemment paru aux éditions Téqui : La Fabrique d’orphelins (1). Dans cet essai alerte, illustré de nombreux exemples pris dans les médias, l’auteur rend sensible la montée en puissance de l’idéologie des « nouvelles familles » qui tente d’imposer par la force une véritable révolution anthropologique, avec une filiation coupée de la procréation et de la biologie.

Dans l’argumentaire qui nous est familier, l’auteur met à jour la pierre d’achoppement législative qu’est la pratique du tiers donneur. Ensuite, l’auteur se plaît à rendre la reductio ad homophobiam du discours idéologique. On retrouve, ici, sous la plume ironique de l’auteur tous les clichés de la novlangue : en particulier la mise en garde contre « l’hystérisation du discours ». Quant au président, il a donné sa parole de ne pas imposer de loi sans le consensus des Français. Or, force est de reconnaître, à la lecture des rapports des grandes institutions, dont celui du CCNE, que le consensus n’y est pas. Alors, pourquoi cette loi dans le cadre d’une révision des lois de bioéthique ? Pour une raison très simple : la loi d’un nouveau marché.

Parallèlement aux progrès inouïs de la technique, s’est développé, en effet, en quelques décennies, un marché juteux : celui de l’or blanc du sperme. Peu importe que le marché des gamètes signe le retour de l’esclavage et le commerce des corps en pièces détachées, il est aux mains des lobbys, eux-mêmes aux mains de grands groupes financiers (banques de sperme, laboratoires, agences de fertilité, cliniques procréatives, prestations en tout genre, études d’avocats, ventes sur internet) qui exploitent les homosexuels sincères, abusés par la peur de voir leurs droits « menacés », et tous les idiots utiles que nous sommes les uns les autres. À ce grand marché procréatif, la CEDH elle-même concourt. Ce qui nous vaut un chapitre savoureux sur cette casuistique d’un nouveau genre au sein d’une Cour détournée de sa vocation première.

Et les enfants, dans tout ça ? L’auteur a mis en exergue à son essai les déclarations des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et de 1948 : « Les hommes naissent libres et égaux en droits et en dignité », ainsi que l’article 7 de la Convention internationale des droits de l’enfant, signée par la France en 1990, stipulant le droit à connaître ses parents et à être élevé par eux. Que devient l’égalité de la naissance dans la patrie des droits de l’homme ? Allons-nous vers une pouponnière d’État ? L’auteur unit les deux techniques procréatives de la PMA et de la GPA dans l’acronyme PMGPA, lequel coïncide de façon troublante avec celui de GMPA – Groupement militaire de prévoyance de l’armée – pour désigner l’association créée, à la fin de la première guerre, d’aide aux orphelins.

« Avancez vers l’arrière » : cette citation du philosophe Kolakowski dénonçant le marxisme ouvre l’essai. Sous couvert de « progrès », la loi antigénéalogique de la PMA pour toutes témoigne d’une ambition, vieille comme les mythes, d’échapper à la condition humaine. Est-ce, pour autant, une révolution anthropologique ? L’auteur ne le croit pas qui nous renvoie à notre histoire d’avant Clovis. On sait, en effet, que ce général d’armée romaine du Vème siècle mit un terme, par son mariage et son baptême, à un mode de succession par les femmes – la tanistrie ou « ventre de souveraineté » –, quand la paternité n’était qu’un lien charnel ou symbolique. En vérité, avec le congé donné au père dans notre société paganisée, le risque est certain de revenir à une pluriparentalité revendiquée, déjà, dans certains pays européens.

Le dernier chapitre nous ramène à hauteur d’homme. Il n’y a pas d’humanité sans origine ni d’être humain sans filiation. A-t-on remarqué, écrit l’auteur, l’empressement des familles à vérifier, grâce à des photographies d’ascendants, à qui ressemble l’enfant qui vient de naître ? Avec la levée de l’anonymat du donneur, c’en est fini de la vie rêvée des anges. Le réel est têtu.

Si la PMA est « le cheval de Troie » du transhumanisme (ectogénèse et procréation sans sexe),nous ne sommes pas obligés de lui ouvrir grand les portes de la cité. Ne nous mettons pas dans un guêpier juridique. Cet essai roboratif est un appel à la résistance : il nous engage et nous oblige.

Pierre Louis

(1) Marie-Hélène Verdier, La fabrique d’orphelins, Téqui, 2019, 90 pages, 12,90 €.

© LA NEF le 14 août 2019, exclusivité internet