Mgr Jonas Dembene, évêque de Kayes (Mali), avec un imam © AED

Sahel : chrétiens en danger

Les attaques terroristes se multiplient au Sahel semant terreur et confusion parmi des populations déjà pauvres et souvent délaissées par l’État. Au milieu de ce chaos, l’Église œuvre chaque jour pour désamorcer les conflits. Panorama.

Ils sont plusieurs centaines de réfugiés à s’entasser dans ce camp de fortune. Les femmes et les enfants, veuves et orphelins, se serrent à l’ombre d’un des rares arbres sur ce terrain prêté par un généreux propriétaire. Il fait 35°. Nous sommes à Kaya, au centre-nord du Burkina Faso. Ces Burkinabés ont fui en urgence leur village, leur terre, leur maison, pour ne pas être tués par une énième attaque terroriste. L’une a perdu son mari, l’autre son père, une troisième son frère… « Les terroristes tuent surtout les hommes », nous explique-t-on. Dans ces camps sans eau où le soleil frappe dès l’aube sur les bâches en plastique qui font office de tentes, la détresse et le traumatisme se lisent sur les visages. Les déplacés internes sont plus d’un million, attendant des aides de l’État qui ne viennent pas. En 2019, le pays a dû faire face à plus de 580 attaques, causant la mort de plus de 1500 personnes. Et signe non négligeable de la gravité de la situation, les réfugiés maliens retournent désormais par milliers au Mali, jugeant la situation là-bas meilleure que celle du Burkina.
Pourtant, le Mali est loin d’être un havre de paix. « Les violences au centre du pays ont entraîné la mort de 580 personnes depuis le début de l’année », a indiqué le 3 juillet la haute-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet. L’État islamique et Al-Qaïda ne se battent plus seulement dans le nord du Mali, mais aussi au centre. Autour de la ville de Mopti, les nomades luttent contre les fermiers pour s’accaparer des terres fertiles, et les terroristes exploitent ce conflit. En se positionnant comme médiateurs des différends portant sur les pâturages, les djihadistes prennent progressivement le pouvoir dans les villages avant d’y introduire la charia. Même schéma au Nigeria où certaines régions sont désormais sous la férule de la charia. Dans ce pays composé pourtant à égalité de chrétiens et de musulmans, « il y a clairement un ordre du jour pour islamiser toutes les zones majoritairement chrétiennes », s’alarme Mgr Wilfred Anagbe, évêque de Mukurdi. Les rapports dénoncent une augmentation des attaques contre les chrétiens, venant tant de Boko Haram que des Peuls. Parmi eux, ce jeune séminariste Michel Nndadi, 18 ans, kidnappé puis assassiné le 1er février 2020. Les enlèvements contre rançon sont aussi monnaie courante, comme ces cent jeunes filles kidnappées en 2018 et finalement relâchées… sauf une, Leah, parce qu’elle est chrétienne. Des enlèvements récurrents ont lieu aussi au Cameroun et au Tchad voisins. Dans cette région, Boko Haram, que certains espéraient battu, redouble de violence, utilisant de nouvelles stratégies macabres comme celle de couper les oreilles des femmes de village. Une punition pour ne pas avoir « obéi » à la prédication des djihadistes… Le groupe islamique, qui ne cache pas son ambition de mettre en place la charia dans le Sahel, est tenu pour responsable de la mort de 30 000 personnes depuis son avènement en 2009.

Volonté d’islamiser l’Afrique ?
Faut-il pour autant voir une volonté unique d’islamiser toute l’Afrique ?
Parmi les assaillants, il y a d’authentiques djihadistes nigérians, libyens ou autres qui veulent islamiser toute l’Afrique par les armes. On peut citer parmi eux des groupes comme le GSIM (le Groupe de Soutien à l’Islam et aux musulmans, lié à l’Aqmi, Al Qaida au Magreb Islamique), ou l’EIAO (l’État islamique en Afrique de l’Ouest). Mais l’islam est aussi un bon prétexte pour les trafiquants en tous genres (drogues, armes, or et êtres humains…) qui n’ont aucun intérêt au maintien d’un État de droit et instrumentalisent la religion. Ces terroristes ne se gênent pas pour tuer d’autres musulmans, dont des imams, boire de l’alcool et ne pas prier.
Toute cette violence se multiplie sur un terrain favorable ; une immense pauvreté, un chômage galopant, une corruption endémique… Dans ce contexte, beaucoup de jeunes acceptent de rejoindre le camp des terroristes pour gagner un peu d’argent, avoir un travail ou se font enrôler de force. Les forces de sécurité, quant à elles, sont mal formées et mal équipées, les militaires préfèrent fuir les attaques, plutôt que se faire tuer à coup sûr.
La population se sent délaissée par un État défaillant. « Notre gouvernement est débordé. La situation s’aggrave et le nombre de morts est accablant. Personne ne semble avoir la moindre idée de ce qui se passe », dénonce Mgr Matthew Kukah, évêque du diocèse de Sokoto au Nigeria. Au Mali, les manifestations se multiplient depuis le 5 juin réclamant la démission du président Ibrahim Boubacas Keïta (IBK).
Pour soutenir ses armées affaiblies, le Burkina Faso a, quant à lui, décidé en janvier dernier de favoriser le recrutement de « volontaires pour la défense de la patrie », autrement dit, d’armer la population. Cette résistance populaire, une notion bien ancrée au Sahel, a certes déjà permis de sauver plusieurs villages d’attaques terroristes. Mais armer la population comporte toujours un risque de violences gratuites, voire de guerre civile.
Les États du Sahel ont par ailleurs mis en place plusieurs forces conjointes avec le soutien de leurs alliés comme la Force Barkhane française comprenant 5100 hommes (cf. encadré p. 8), le G5 Sahel, la Minusma avec les Nations unies, la FMM (Force Mixte Multinationale)… Ces nations du Sahel « consacrent ainsi 20 % de leur budget dans la lutte contre le terrorisme, rappelle Mgr Ambroise Ouédraogo, évêque de Maradi au Niger, ce qui n’est pas sans conséquence sur les secteurs sociaux de base à savoir : l’éducation, la santé, l’accès à l’eau potable et même les produits de consommations familiales (pain, mil, maïs, viande…) ».

Le travail de l’Église
L’Église de son côté fournit un travail titanesque sur le terrain malgré le danger ; plusieurs prêtres ont été assassinés ces dernières années. Elle offre notamment un soutien scolaire aux enfants déplacés car, sans école, ils sont une proie facile pour les djihadistes. L’Église s’attelle aussi à former les religieux sur le terrorisme, à offrir un soutien psychologique aux personnes traumatisées par des attaques. Et surtout, elle ne cesse de sensibiliser les fidèles au dialogue interreligieux et interethnique pour stopper toute montée de violence qui stigmatiserait une communauté ou une ethnie. En s’appuyant sur la bonne coexistence qui régnait avant ces attaques, elle évite ainsi le jeu des représailles et les bains de sang. « Dans notre situation, le dialogue est une nécessité, explique Mgr Traoré Augustin, évêque de Ségou, au Mali. Car quand il est pratiqué avec un engagement sincère de part et d’autre, il peut produire des fruits de paix et de cohésion sociale. »
L’Église s’applique aussi à tout faire pour que les élections soient maintenues et que tous puissent voter, y compris les personnes déplacées. Car une élection non reconnue engendre des manifestations souvent violentes. À ce titre, la Conférence des évêques du Burkina surveille avec attention les prochaines élections couplées législative et présidentielle qui doivent se tenir le 22 novembre prochain.
Enfin et surtout, les chrétiens du Sahel prient chaque jour pour implorer la paix et la justice dans leur région. « Notre kalachnikov c’est la prière », ne cesse de répéter le cardinal Philippe Ouédraogo, archevêque de Ouagadougou au Burkina Faso, qui a mis en place une chaîne de prière d’une année pour la paix dans son diocèse. L’Église du Sahel se réjouit aussi de voir que dans les tribulations, les chrétiens non seulement restent fidèles mais que leur nombre ne cesse de croître. Malgré la peur, les vocations fleurissent et les églises ne désemplissent pas. Peter, séminariste burkinabé dont les parents ont dû fuir pour éviter d’être tués, réaffirmait récemment : « Je n’ai pas peur. J’ai demandé à Dieu de m’éclairer sur ma vocation. Je veux servir l’Église tout entière et surtout la zone du Sahel avec les Peuls, pour leur annoncer la Bonne Nouvelle et les convertir. »

Amélie de La Hougue*

*Responsable information de l’AED et rédactrice en chef de L’Église dans le monde.

BALISES
Burkina Faso :

chrétiens : 23,9 %
musulmans : 54,2 %
Cameroun :
chrétiens : 59,4 %
musulmans : 20,2 %
Mali :
chrétiens : 2,2 %
musulmans : 87,9 %
Niger :
chrétiens : 0,4 %
musulmans : 95,7 %
Nigeria :
chrétiens : 46,3 %
musulmans : 46 %
Tchad :
chrétiens : 35,2 %
musulmans : 56,7 %

Le chrétien face au djihadisme
« Chaque jour qui passe, la presse nous relate son lot d’attaques, de représailles, de familles déplacées et de morts. Aujourd’hui, personne dans le monde ne peut nier l’existence du terrorisme et du djihadisme. Comme chrétiens, nous devons prendre conscience qu’au nom de notre foi chrétienne en Jésus-Christ, nous pouvons être confrontés au “risque du martyre”. Chaque jour, nous devons nous laisser interpeller par les paroles du Christ : “Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive » (Mt 16, 24)”. »
Mgr Ambroise Ouédraogo, évêque de Maradi, Niger

Nécessaire soutien de la France
« Dans les cinq prochaines années, je crains que l’expansion territoriale des GAT (groupes armés terroristes) se poursuive. Après avoir étendu leur emprise sur le Sahara musulman, les lieux où cohabitent chrétiens et musulmans sont les prochaines cibles. Les États africains auront toujours besoin du soutien de la France pour empêcher la catastrophe. Sans l’opération Barkhane, le Mali serait d’ores et déjà coupé en deux. Et une tentative de coup d’État au Tchad aurait peut-être abouti en 2013. Cela nourrit la propagande des djihadistes, qui jouent sur le ressentiment anti-français, mais il n’y a pas d’autres solutions pour empêcher que la situation ne dégénère encore plus gravement. »
Olivier Hanne
Islamologue et chercheur-associé à l’université d’Aix-Marseille

Pour aider les chrétiens du Sahel : pour un don, contactez l’Aide à l’Église en détresse (AED) : 29 rue du Louvre, 78750 Mareil-Marly. Tél. : 01 39 17 30 10. Site : https://www.aed-france.org/

© LA NEF n°328 Septembre 2020