Charette dans Vaincre ou mourir © Puy du Fou Films

« Vaincre ou mourir » : les Blancs sur grand écran

En ce début d’année, vient de sortir la première production cinématographique du Puy du fou, Vaincre ou mourir. Qu’avons-nous entendu parmi les critiques ! Film d’extrême droite, intégriste, réactionnaire, antirépublicain (horresco referens), haineux et idéologique. La France moisie, le fond du croupissement de l’eau pourrie du bénitier. La critique acharnée de Libération ajoute tellement d’acide au vinaigre sur de la méchanceté qu’elle passe pour être drôle. Ces pisse-copies accomplissent leur vile commande mue par une haine de la religion catholique et une idéologie de gauche progressiste des plus rétrécies. Leur agitation fielleuse et persifleuse semblait figurer comme un diable jeté dans le bénitier ou un vampire se rétractant face à de l’ail. C’est donc un plaisir de voir ce film, pour le divertissement, certes, mais aussi pour faire un doigt d’honneur à ce parti de l’ordre du bon goût et des opinions.

Si ce film dérange la faune et la flore médiatique et culturelle, c’est surtout parce qu’il tranche radicalement avec la production actuelle. Bouillis sur pellicule, indigence sur écran, la longue agonie d’un cinéma français, machine à sous pour la petite lucarne, subventionné, petit bourgeois et alimentaire, n’en finit pas de proposer des films pénibles, usant des mêmes idées et de la même idéologie. Rien que pendant les bandes-annonces, deux films, avant la séance, m’ont scié les jambes. Le premier, Léo et moi, de Victoria Bedos, raconte comment une adolescente, amoureuse du petit nouveau dans sa classe, va essayer de l’approcher lors d’une soirée en se travestissant en garçon. Léo va devenir ami avec l’adolescente travestie et bien plus, puisqu’il en tombe amoureux. Question de genre, choix de sa sexualité, confusion des sentiments et des identités sont de la partie. Et puis, Un Homme heureux, où Luchini, apprend que sa femme, Catherine Frot, vient de changer de sexe pour devenir un homme. Voilà.

On ne sait pas quoi faire non plus avec les Têtes givrées, où Clovis Cornillac joue un prof qui va sauver un glacier avec ses élèves pour lutter contre le réchauffement climatique – le ministère de la transition écologique valide – et le dernier Astérix, divertissement pour sous-doués végétatifs gorgés d’inculture crasse et de coca-cola tiède, au lourd budget de 65 millions d’euros.

Entre tout cela, il y a Vaincre ou mourir. Ce film, sans grand budget, sans promotion massive, est un bon divertissement et une belle propagande. Pendant une partie du film, quelque chose pourtant semblait clocher : pas de folles dingues hystériques misandres, d’hommes-sojas en salopette, de noirs transsexuels unijambistes et de non-binaires interlopes folâtres. Au contraire, les femmes sont aussi élégantes et belles que viriles et guerrières ; les gaillards de la Vendée, courageux et costauds, ont les orchidées bien en place.

Il est bon de voir un film sur la période 1793-1796, de l’autre côté. On s’est trop souvent laissés formater par La Révolution française de 1989 et abreuver par les grandes idées reçues sur l’égalité, la liberté, le peuple, les pauvres contre les riches, la méchante, très méchante noblesse, l’invincible République et le triomphe de la démocratie sur la tyrannie, le tout résumé en une espèce d’histoire pour françaouis moyens à la sauce Jack Lang. Le film des Villiers a le mérite de parler à un large public de choses tellement éloignées de la France actuelle, si confidentielles pour notre société mais si profondes, pourtant, dans notre histoire commune : le roi et la foi catholique.

Dans ce film, que voyons-nous ? Des hommes qui ne veulent ni s’éteindre ni se rendre. Ils ont un idéal : un ordre catholique et royal. Ils iront jusqu’à la mort, avec bravoure ; convoquent les grandes vertus romaines ; suivent le Christ ; vont de fête à confesse, de la galanterie à l’artillerie, tantôt avec panache, tantôt avec obstination. Une phrase dite par Charette est marquante : « ils sont le nouveau monde mais ils sont déjà anciens, nous sommes la jeunesse et la lumière du monde. » Cette lueur dans la lanterne que tient un des fidèles du roi de la Vendée dans la nuit, alors qu’ils sont traqués, illustre l’espérance de tout combat, la foi dans l’idéal, à la suite du Seigneur mort pour la vérité. On voit tout au long du film des drapeaux blancs, des prêtres et une messe ad orientem, un gros plan sur une hostie élevée. « Pour Dieu et pour le roi » et d’autres slogans que l’on n’entendait guère que dans des réunions de l’Action française entre jeunes louveteaux full of testosterone parviennent aux oreilles du spectateur.

Ce film, bien rythmé, alternant des scènes de batailles captivantes, et des scènes, sans longueur, informatives, dresse les Blancs contre les Bleus, les Vendéens royalistes et les Républicains, dans des guerres changées en boucherie où les combats rangés laissent place à des massacres et des villages ravagés ; où l’art de la guerre devient un projet d’extermination de la race vendéenne et a pour répondant la défense de sa terre, le culte des morts, le don pour sa famille, la fidélité au Roi et l’amour de Dieu, et oscille entre la défaite et la victoire, l’espoir et l’amertume, le nombre des hommes et la solitude du héros. Un souffle héroïque participe au film. Charette, allant à la mort et à la gloire, devient le héros romantique des causes perdues et des ruines. Il n’y a pas de concession, la paix est avortée à cause de la mort du roi Louis XVII, il faut donc soit vaincre, soit mourir. Si l’on ne vainc pas, on meurt. Belle radicalité.

Si Hugo Becker en Charette a semblé, au début, à côté de son rôle, sans doute effrayé lui-même, il finit sur le peloton d’exécution en martyr, montant jusqu’aux cieux, seul et usé, pénétrant. Le jeu de Rod Paradot, en chien fou, ressemble à la hardiesse des gars de ma paroisse et complète le jeu de Gilles Cohen, force tranquille. Les actrices qui jouent Céleste Bulkeley et Marie-Adélaïde de La Rochefoucauld sont des perles de femmes. Les dialogues quelquefois manquent d’assurance, certaines répliques sont creuses, quelques idées sont escamotées, des débuts d’intrigue se débinent mais l’ensemble, à défaut de soixante millions d’euros supplémentaires, demeure bon, prenant, bien réalisé.

Tout Alsacien que je suis, loin de Cholet et des deux Sèvres, l’amour des Vendéens et l’horreur des expéditions militaires de Kléber, un compatriote, me touchent comme si j’étais lié à ces morts, Français, massacrés en haine de la religion et de l’ancien monde remplacé par un nouveau. Plus nous nous éloignons de la Révolution, plus nous mesurons, en France, ses effets terribles et profonds, la violence des idées et du régime instauré, autoritaire sous couvert de neutralité. Ce cœur vendéen, devenu un souvenir, convoque tout une ribambelle de noms, les viri illustres de notre France, et rappelle toujours, que l’on soit du Nord, du sud, de l’est, le sang de ces catholiques que l’on a conduit au génocide.

Et le terme, lancé comme un boulet dans le débat public, éclatant avec toute sa poudre, ne laisse pas de détonner et de diviser, autant les partisans qui voient la volonté mécanique de la République de détruire l’âme du Français et de la France, avec Reynald Secher ou Leroy Ladurie et Jean Tulard, que les historiens plus mesurés, comme Jean-Clément Martin, prudent quant au terme de génocide mais sûr des massacres abominables.

Le film, bien que partisan, présente de nombreuses nuances. Du côté des Républicains, on trouve autant les petits hommes gris et haineux, petits caporaux, à la psychologie de Manuel Valls, formés par une vision fasciste et raciste de l’ennemi, que ceux qui, par opportunisme ou marche de l’histoire, ont pris parti pour la République par affaire ou par hasard. Il y a eu Kléber ou Axo, terreurs sur pattes, et Travot, vu comme homme juste, alliant catholicisme et république, assumant tout ; mais également Albert Ruelle, ce genre de député cynique au sourire de commerçant matois. Chez les Blancs, le Comte d’Artois n’est pas en peine et confirme son obésité mentale, sa lâcheté et sa suffisance. À l’intrépidité de Prudence Hervouët de La Robrie, répondent les négociations de paix et les volontés de cesser le combat de certains, qui empêchent de faire des Vendéens des fanatiques totaux. Le héros lui-même, Charette, éclatant, charismatique, brave et bon, est pris au piège de sa radicalité, finissant isolé, répondant œil pour œil, usé, au bord de la folie.

Le film parvient à être complexe et se détache d’une thèse à défendre en posant un problème majeur : le meneur d’hommes doit-il aller jusqu’au bout, quitte à courir au massacre et à sa perte, au nom d’un idéal, somme toute romantique, malgré le sens de l’histoire, à rebours des données politiques, ou doit-il se soucier, surtout, de l’intérêt commun et des siens, chercher la paix et le compromis, sinon la survie, sans pour autant finir tiède, au centre, ou lâche aux yeux de l’histoire ?

C’est là toute la difficulté de celui qui se sacrifie et met sa peau sur la table quand d’autres racontent leurs tourments à propos de leurs hémorroïdes dans leur maison de campagne du Lubéron, entre deux rendez-vous chez la psychologue, comme on le voit souvent, encore, au cinéma sur d’autres toiles.

Nicolas Kinosky

© LA NEF le 8 février 2023, exclusivité internet