L’abbé Cyril Gordien a été enterré ce matin, 20 mars, en la fête de saint Joseph reportée à ce jour, en présence de 220 prêtres et plus de 2 000 fidèles dans l’église Saint-Pierre de Montrouge pleine à craquer. Mgr Ulrich, archevêque de Paris, présidait la cérémonie et le Père Guillaume de Menthière a prononcé une homélie forte et bouleversante. Le testament spirituel de l’abbé Gordien était distribué aux fidèles à l’entrée de l’église – on peut aussi se le procurer en version papier à la paroisse Saint-Dominique. Nous le publions ici intégralement avec l’aimable autorisation de la famille.
« Comment rendrais-je au Seigneur tout le bien qu’il m’a fait ? J’élèverai la coupe du salut, j’invoquerai le nom du Seigneur » (Ps 115, 12).
Chaque jour, en célébrant la sainte Messe, j’élève la coupe du précieux Sang de notre Sauveur, et je lui rends grâce pour cet immense don qu’il m’a fait : être prêtre de Jésus- Christ, moi, son indigne serviteur.
ITINÉRAIRE SPIRITUEL
C’est par une immense action de grâce lancée à notre Seigneur que je voudrais débuter ces quelques lignes de méditation. Oui, je rends grâce à mon Dieu pour la foi que j’ai reçue dans mon enfance, une foi solide et pure, une foi qui n’a jamais failli malgré les nombreuses épreuves de la vie, une foi que mes chers parents m’ont transmise dans la fidélité et l’amour vrai de l’Église. Je rends grâce au Seigneur pour la famille unie dans laquelle je suis né, et pour tout l’amour que mes parents et mes frères m’ont prodigué. J’ai eu une enfance très heureuse, marquée par l’exemple que donnait mon père, exemple de don de soi dans son métier de chirurgien et de fidélité dans la pratique religieuse.
Mon père m’a transmis le sens de l’effort, le dégoût pour la mollesse et la paresse, la rigueur dans le travail bien fait, et la force pour combattre. Il a toujours fait preuve d’un grand courage pour défendre la vie et la foi, à travers de multiples engagements, que ce soit pour toutes les questions bioéthiques, avec son expertise de chirurgien, ou que ce soit pour défendre l’école libre.
Ma mère m’a transmis sa douceur et sa joie de vivre, son sens du beau et son bon sens, sa piété fidèle et sa finesse dans les relations. Elle aussi, a toujours fait preuve d’un immense courage pour soutenir mon père à la fin de sa vie, et pour affronter ensuite sa nouvelle vie de veuve, si jeune, avec ses enfants à charge. Elle n’a jamais baissé les bras, animée d’une foi indéfectible. Aujourd’hui encore, elle affronte ma maladie en m’apportant son caractère optimiste et joyeux pour avancer.
Je rends grâce au Seigneur pour m’avoir appelé au sacerdoce, moi, son indigne serviteur. Lorsque j’ai ressenti cet appel au fond de mon cœur, il m’a rempli d’une joie indicible, et simultanément d’une crainte pleine de respect pour le Seigneur : pourquoi moi, qui me sens si indigne et si incapable d’assumer une telle charge et une si grande mission ? Mon chemin vers le sacerdoce, au séminaire, fut à la fois joyeux et douloureux. Joyeux, par les grâces reçues, lesquelles m’ont toujours conforté dans ma vocation, et par tout ce que j’ai reçu à travers la formation ; douloureux, aussi, par des épreuves et souffrances venant de l’Église.
Je n’ai jamais trahi les convictions qui m’animaient, malgré les persécutions inévitables. J’ai toujours résisté, combattu et lutté quand je sentais que les mensonges, la médiocrité, ou la perversité étaient à l’œuvre. Cela m’a valu des coups reçus et des brimades, mais je ne regrette pas ces combats menés avec conviction. Le plus dur est de souffrir par l’Église.
Le Pape saint Jean-Paul II fut le Pape de ma jeunesse. Je l’ai tellement aimé, dans l’exemple de force et de courage qu’il nous donnait. C’est lui qui m’a communiqué l’enthousiasme de la foi et l’ardeur apostolique. Avec lui, j’ai grandi dans l’amour de l’Église et la fidélité au Magistère. Le témoignage de sa vie donnée jusqu’au bout, dans la souffrance acceptée et offerte, dans la célébration de la Messe malgré les douleurs, m’a bouleversé. C’est toujours sur lui que je m’appuie aujourd’hui pour célébrer la messe. Quand les forces me manquent, quand je suis essoufflé, quand mon corps me fait mal, je lui parle et lui demande : « Très saint Père, donnez-moi votre force et votre courage pour célébrer les saints mystères, comme vous l’avez fait jusqu’au bout dans un don total ». Il fut pour moi le témoin de la joie de la foi et de l’attachement au Christ. Il fut pour moi l’exemple d’un bloc de prière au milieu des tribulations de ce monde. Il fut confronté aux forces du mal, affrontant avec courage ces deux totalitarismes du vingtième siècle qui ont fait des millions de morts. Il a résisté, il a combattu, il a fait tomber le mur de Berlin qui écrasait l’humanité. Saint Jean-Paul II est pour moi un géant de la foi, un saint exceptionnel qui continue de me porter. Je n’oublierai jamais ces moments où j’ai eu la joie de le rencontrer. C’est pourquoi j’ai participé, malgré tous les obstacles, à ses funérailles, à sa béatification puis à sa canonisation.
Le Pape Benoît XVI fut le Pape de mon sacerdoce. J’ai été ordonné le 25 juin 2005, deux mois après son élection. Il m’a porté d’une manière extraordinaire dans les débuts de ma vie de prêtre par la profondeur de ses homélies, par ses analyses pertinentes et prophétiques de notre monde, par ses réflexions lumineuses. L’exemple de son humilité et de sa douceur m’ont beaucoup touché. Il fut un vrai serviteur de Dieu, soucieux d’affermir la foi des fidèles pour le salut des âmes. Il a cherché sans cesse à ouvrir aux hommes l’accès à Dieu. Ce fut un homme de prière, enraciné dans la contemplation du Dieu vivant. Pendant près de dix ans, après sa renonciation, il vécut retiré du monde, mais le portant dans sa prière. Depuis son décès, je l’invoque pour notre Église, en proie à une grave crise. Il est pour moi l’exemple d’une vie donnée au service de la vérité, déployant toute sa grande intelligence pour mettre en lumière, de façon limpide, les plus hautes vérités de la foi. Je me plonge toujours dans ses écrits, ses livres, ses homélies, ses discours avec la joie profonde de celui qui apprend et commence à mieux comprendre. La défense et la transmission de la foi, dans la fidélité à la Tradition, furent son combat de chaque jour. Je puis témoigner du fait qu’il m’a affermi dans la foi. Je demeure toujours bouleversé par son cœur de bon Pasteur, en particulier lorsqu’il écrivit une lettre aux évêques du monde entier, suite aux attaques suscitées par son geste de communion en levant l’excommunication qui pesait sur les quatre évêques de la fraternité saint Pie X. Cette lettre est magnifique, c’est son cœur qui parle.
Dans ma vie d’homme et de prêtre, j’ai connu pas mal d’épreuves. La mort d’Ingrid, ma si chère amie de jeunesse, en août 1995, puis celle de mon cher père en mars 1996 furent pour moi une véritable épreuve marquée par une profonde douleur du cœur. Deux êtres qui me sont si proches sont morts la même année à sept mois d’écart. La vie se poursuit, la foi demeure ma force. J’avance dans mes études, et l’appel au sacerdoce s’intensifie. Je rentre au séminaire en 1998 et serai ordonné prêtre le 25 juin 2005.
Ma première mission fut au Liban, pays que j’ai beaucoup aimé, malgré les conditions éprouvantes dans lesquelles j’avais été envoyé. Je remercie les Carmes qui m’ont ouvert les portes de leur couvent et m’ont accueilli comme un frère. J’ai découvert un beau pays, marqué par la foi et l’amour de la France. Puis je fus nommé à la Paroisse sainte Jeanne de Chantal, où j’ai connu la grande joie de servir une communauté et une jeunesse que j’aimais. J’ai passé deux ans dans cette paroisse, heureux avec les paroissiens, et malheureux avec un curé qui n’a pas su me recevoir comme jeune prêtre.
J’ai été nommé au bout de deux ans à la chapelle Notre Dame du Saint Sacrement, rue Cortambert. Mon apostolat s’est entièrement déployé auprès des jeunes, que ce soit dans les lycées où j’étais aumônier ou bien à la chapelle avec toutes les activités proposées. Ce furent des moments heureux et plein de joie au milieu de tous ces jeunes qui avaient soif d’une parole vraie et exigeante. Je n’ai hélas pas toujours rencontré le soutien escompté des responsables locaux (communauté des sœurs, conseil pastoral…), ayant sans cesse à subir des blocages dans les initiatives liturgiques et pastorales. Que de combats à mener !
En septembre 2013, je fus nommé dans une paroisse voisine, Notre Dame de l’Assomption. C’est alors que survint l’affaire Gerson, en avril 2014, sur laquelle je ne m’étendrai pas. Je voudrais simplement confier que cette affaire fut fomentée de toute pièce par des parents d’élèves et des professeurs ne supportant pas l’impulsion religieuse déployée dans l’établissement. Dans ce combat, nous n’avons été soutenus ni par la direction diocésaine, qui alimentait la crise, ni par le diocèse. Je n’ai jamais été consulté pour donner mon avis sur la manière dont je percevais les choses de l’intérieur. Cette crise fut éprouvante, mais nous l’avons surmontée grâce à notre unité et nos convictions. J’ai encore constaté à cette occasion à quel point nos responsables ne prenaient pas soin des prêtres.
Les six années passées à l’Assomption furent des années de grand bonheur : j’étais profondément heureux dans les missions auprès des jeunes, et nous étions très unis avec les prêtres, dans une ambiance joyeuse et fraternelle. Ce furent des années de grâces. Je remercie en particulier le Père de Menthière qui fut pour moi un modèle de curé et un ami. Je tiens ici à dire combien l’amitié sacerdotale est importante dans la vie du prêtre. J’ai de très bons amis prêtres, depuis le séminaire, et nous nous rencontrons régulièrement. La société sacerdotale de la Sainte Croix, dont je fais partie, m’assure aussi du soutien et de l’amitié de nombreux prêtres.
Puis je fus nommé en septembre 2019 curé de la paroisse saint Dominique, dans le XIVe, quartier que je connaissais bien, ayant vécu trois ans chez mon grand-père, porte d’Orléans. Première paroisse comme curé : sa paroisse on l’aime, on s’émerveille, on se donne. Je me suis tout de suite engagé dans l’apostolat auprès des jeunes, qui me semblait quelque peu délaissé. J’ai entrepris peut-être trop vite des changements, notamment liturgiques, qui s’imposaient, sans prendre suffisamment le temps d’expliquer.
Puis la crise du coronavirus est survenue. En mars 2020, six mois à peine après mon arrivée, la vie est paralysée. Je me retrouve totalement seul au presbytère et dans l’église, chacun étant parti se confiner ailleurs. Pour moi, une évidence s’impose : je ne peux pas célébrer la messe pour moi tout seul, en m’enfermant pour me protéger… Je ne suis pas prêtre pour moi, privant les fidèles des sacrements. Je décide de laisser l’église ouverte, toute la journée, et de célébrer la messe dans l’église, en exposant auparavant le Saint-Sacrement, me tenant disponible pour les confessions. Je n’ai prévenu personne, mais les fidèles sont venus d’eux-mêmes. J’assume pleinement ce choix, et ne le regrette en rien. Certains, partis en villégiature à la campagne, me l’ont reproché à distance. D’autres, à leur retour des confinements, m’ont fait de vifs reproches. Il est facile de critiquer quand on passe plusieurs semaines au soleil, en dehors de Paris…
Cette crise révèle un drame de notre époque : on veut protéger son corps pour préserver sa vie, fût-ce au détriment des relations personnelles et de l’amour donné jusqu’au bout. On veut sauver son corps au détriment de son âme. Que vaut une société qui privilégie de manière absolue la santé du corps, laissant des personnes mourir dans une solitude effroyable, les privant de la présence de leurs proches ? Que vaut une société qui en vient à interdire le culte rendu au Seigneur ? Comme l’écrit le cardinal Sarah : « Aucune autorité humaine, gouvernementale ou ecclésiastique, ne peut s’arroger le droit d’empêcher Dieu de rassembler ses enfants, d’empêcher la manifestation de la foi par le culte rendu à Dieu. (…) Tout en prenant les précautions nécessaires contre la contagion, évêques, prêtres et fidèles devraient s’opposer de tout leur pouvoir à des lois de sécurité sanitaire qui ne respectent ni Dieu ni la liberté de culte, car de telles lois sont plus mortelles que le coronavirus » (1).
PRÊTRE DE JÉSUS-CHRIST
Le sacerdoce a été toute ma vie. Je n’ai jamais regretté un seul instant d’avoir répondu oui au Seigneur qui m’a comblé de ses grâces à travers mon ministère. Quel don inestimable que celui d’être prêtre de Jésus- Christ ! Quelle grâce ineffable ! Chaque jour, célébrer la sainte Messe fut un immense bonheur. Je mesure à peine le cadeau que le Seigneur m’a fait de pouvoir tenir dans mes pauvres mains son divin corps, et de lui prêter ma voix et mon humanité blessée afin qu’il puisse se rendre sacramentellement présent. Je vais à la sainte Messe en montant sur le Golgotha, conscient que le drame du salut s’est déroulé sur cette colline. Je recueille dans mon calice le précieux sang qui coule du cœur transpercé, ce sang sauveur qui coulait déjà à Gethsémani. C’est en transpirant des gouttes de sang que notre Seigneur Jésus a prononcé le grand oui à la volonté de son Père et qu’il a accepté d’offrir sa vie en sacrifice pour le salut de tous les hommes.
Je ne suis qu’un petit vase d’argile dans lequel mon être fragile fut transformé par la grâce sacerdotale le jour de mon ordination. Je ne suis plus le même être qu’avant : désormais, le caractère sacerdotal imprègne mon corps et mon âme et me rend capable de donner Dieu aux hommes. Quel mystère et quelle grâce ! Le curé d’Ars disait : « si le prêtre savait ce qu’il est, il mourrait ». Je ne suis pas prêtre pour moi mais pour les âmes, pour leur salut. Quelle charge pèse sur mes épaules : prêtre pour le salut des âmes qui me sont confiées. Je médite avec humilité ces paroles du bon et saint Curé d’Ars. Elles m’aident à saisir la grandeur du sacerdoce qui ne m’appartient pas :
« Si nous n’avions pas le sacrement de l’ordre, nous n’aurions pas Notre Seigneur. Qui est-ce qui l’a mis là, dans le tabernacle ? Le prêtre. Qui est-ce qui a reçu notre âme à son entrée dans la vie ? Le prêtre. Qui la nourrit pour lui donner la force de faire son pèlerinage ? Le prêtre. Qui la préparera à paraitre devant Dieu, en lavant cette âme pour la dernière fois dans le sang de Jésus-Christ ? Le prêtre, toujours le prêtre. Et si cette âme vient à mourir à cause du péché, qui la ressuscitera, qui lui rendra le calme et la paix ? Encore le prêtre. Après Dieu, le prêtre c’est tout. Le prêtre ne se comprendra bien que dans le ciel. »
J’ai conscience que le prêtre doit être à la fois du côté de Dieu et du côté de l’homme. C’est le Pape Benoit XVI qui m’a aidé à mieux comprendre la mission de médiateur du prêtre, lors d’une lectio divina qu’il donna aux prêtres de Rome. Le prêtre est un médiateur qui ouvre aux hommes les portes du chemin vers Dieu. Il est comme un pont qui relie l’homme à Dieu pour lui donner la vraie vie, la vie éternelle et le conduire à la lumière véritable. Le prêtre doit être d’abord et fondamentalement du côté de Dieu. Cela signifie qu’il doit passer du temps en présence du Seigneur pour être avec Lui. Le Seigneur choisit ses douze apôtres pour demeurer avec Lui, et ensuite, pour les envoyer prêcher. Il y a pour le prêtre une priorité absolue à se donner à Dieu en lui consacrant du temps : à travers la messe quotidienne, la prière du bréviaire, la méditation et l’oraison, la prière du chapelet, et tant d’autres dévotions qui nourrissent la vie intérieure. Si un prêtre ne prie plus, il ne peut plus porter de fruits.
Arrivé comme curé dans ma paroisse en septembre 2019, j’ai eu le sentiment que beaucoup de belles choses se vivaient, mais surtout de manière horizontale. Même si une réelle vie de prière était présente, je percevais qu’il manquait une dimension verticale, transcendante, une dimension qui permettrait de tout supporter pour harnacher à Dieu l’ensemble de la vie paroissiale. C’est pourquoi j’ai eu la conviction qu’il fallait se lancer dans l’adoration permanente du Saint Sacrement. Sans l’appui indéfectible d’un fidèle couple de paroissiens dont la foi est un roc et l’engagement sans faille, je n’y serais jamais parvenu.
Lorsque nous avons décidé de lancer l’adoration permanente en novembre 2020, je n’imaginais pas à quel point le démon se déchaînerait pour empêcher la réalisation de ce projet. Les obstacles furent nombreux, entre les contingences matérielles, les doutes, les inquiétudes, la recherche de volontaires engagés, et les contraintes dues à la situation sanitaire. Malgré tout, l’organisation se met en place progressivement, et nous pouvons raisonnablement envisager une adoration sur quatre jours et trois nuits. Les créneaux du soir et de la nuit sont vite comblés, puis viennent progressivement les créneaux du jour. Au bout de deux semaines, tout est prêt, le tableau est bien rempli. Une date est fixée : le mardi 10 novembre. C’est alors que survient comme un couperet l’annonce du couvre-feu… Nous décidons de maintenir malgré tout, en rappelant peu à peu les Adorateurs pour faciliter leur venue, en proposant aux plus jeunes de dormir sur place… Puis vient très vite la nouvelle du deuxième confinement, avec les départs en province de quelques paroissiens… Il nous faut à nouveau rappeler tout le monde, pour s’assurer de leur présence à Paris, de leur motivation, et appeler de nouveaux Adorateurs.
Finalement, après toutes ces péripéties, nous parvenons à débuter l’Adoration comme prévu, le 10 novembre. Du mardi 8h jusqu’au vendredi 18h30, les fidèles se succèdent et se relaient pour adorer le Seigneur Jésus dans son Saint Sacrement. Comme prêtre, j’éprouve une immense joie à venir adorer au cœur de la nuit silencieuse. Je suis profondément heureux de voir les fidèles venir prier à toute heure, et constituer ainsi comme un foyer capable de rayonner de l’amour de Dieu. Je suis émerveillé devant ces jeunes, collégiens, lycéens ou étudiants, qui se sont engagés pour un créneau et qui viennent la nuit, ou bien juste à la sortie de leurs cours, sac au dos. Je suis admiratif devant ces pères de famille qui viennent dans la nuit, ou bien très tôt le matin avant de rejoindre leur lieu de travail, ou encore ces mères de famille qui emmènent leurs petits enfants. Je suis ému devant ces personnes âgées qui tiennent dans la fidélité, aux heures les plus mouvementées de la journée.
Tous, de toute condition et de tout âge, se sont mobilisés pour mettre le Christ au centre de leur vie, l’adorer, le prier, lui confier leurs intentions, et porter leur paroisse. Je suis convaincu que cela est source de nombreuses grâces pour chacun et pour la vie paroissiale, et que cette prière continue est la source de la fécondité des diverses activités pastorales. Avec la sainte Vierge, je m’écrie, le cœur rempli de gratitude : « Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu mon sauveur ! ».
Oui, l’adoration est au cœur de la vie du prêtre. Je dois passer du temps devant le Seigneur, devant le tabernacle. Auprès de Lui, je peux confier mes peines et mes joies, lui ouvrir mon cœur, lui parler comme on parle à un ami cher, tout déposer près de son cœur, en étant certain qu’il est là, qu’il m’écoute, et qu’il parle à mon cœur.
« Je vous dirai, confiait saint Josemaria Escriva, que le tabernacle a toujours été pour moi comme Béthanie, cet endroit tranquille et paisible qu’aimait le Christ, où nous pouvons lui raconter nos préoccupations, nos souffrances, nos espérances et nos joies, avec la simplicité et le naturel avec lesquels lui parlaient ses amis, Marthe, Marie et Lazare (2).
Le saint Pape Jean-Paul II nous a montré l’exemple de la dévotion eucharistique. Je me permets de le citer dans ce qui fut sa dernière encyclique : « Le culte rendu à l’Eucharistie en dehors de la Messe est d’une valeur inestimable dans la vie de l’Église. Ce culte est étroitement uni à la célébration du Sacrifice eucharistique. La présence du Christ sous les saintes espèces conservées après la Messe – présence qui dure tant que subsistent les espèces du pain et du vin – découle de la célébration du Sacrifice et tend à la communion sacramentelle et spirituelle. Il revient aux pasteurs d’encourager, y compris par leur témoignage personnel, le culte eucharistique, particulièrement les expositions du Saint-Sacrement, de même que l’adoration devant le Christ présent sous les espèces eucharistiques » (3).
Dans la Sainte Eucharistie « se trouve le trésor de l’Église, le cœur du monde, le gage du terme auquel aspire tout homme, même inconsciemment. Il est grand ce mystère, assurément il nous dépasse et il met à rude épreuve les possibilités de notre esprit d’aller au-delà des apparences. Ici, nos sens défaillent – « visus, tactus, gustus in te fallitur », est-il dit dans l’hymne Adoro te devote –, mais notre foi seule, enracinée dans la parole du Christ transmise par les Apôtres, nous suffit. (…) Tout engagement vers la sainteté, toute action visant à l’accomplissement de la mission de l’Église, toute mise en œuvre de plans pastoraux, doit puiser dans le mystère eucharistique la force nécessaire et s’orienter vers lui comme vers le sommet. Dans l’Eucharistie, nous avons Jésus, nous avons son sacrifice rédempteur, nous avons sa résurrection, nous avons le don de l’Esprit Saint, nous avons l’adoration, l’obéissance et l’amour envers le Père. Si nous négligions l’Eucharistie, comment pourrions-nous porter remède à notre indigence ? » (4).
Si le prêtre est du côté de Dieu, il doit aussi être du côté de l’homme. Et là je mesure mon indigence et mes grandes faiblesses. Le prêtre doit soutenir, encourager, exhorter, consoler, soigner par les sacrements tous ceux qui lui sont confiés, sans distinction ni préférence. Tout à tous. L’humanité du prêtre, blessée mais restaurée par le Christ, lui donne la capacité de compatir aux souffrances des hommes. Dans la lettre aux Hébreux (5), nous comprenons que la véritable humanité ne consiste pas à s’abstraire des souffrances de ce monde, mais au contraire à être capable de les rejoindre pour les porter dans la compassion. Le prêtre doit être une personne « en mesure de comprendre ceux qui pèchent par ignorance ou par égarement, car il est, lui aussi, rempli de faiblesse » (5, 2), à l’image du Christ qui, « pendant les jours de sa vie mortelle, a présenté, avec un grand cri et dans les larmes, sa prière et sa supplication à Dieu qui pouvait le sauver de la mort; et, parce qu’il s’est soumis en tout, il a été exaucé » (5, 7).
Ainsi, le prêtre est celui qui porte jusque dans son corps la souffrance des hommes pour faire monter vers Dieu leur cri, dans les larmes de la prière, pour porter au cœur de la divinité les peines et les misères humaines. Le prêtre porte la souffrance du monde dans son cœur et il souffre avec le monde. C’est à cette capacité de compassion que se mesure la véritable humanité.
Combien de fois des fidèles m’ont-ils confié leurs déboires, leurs immenses peines, leurs combats et leurs épreuves. Parfois, je ressens ce poids du monde qui souffre, et il n’y a que le Christ qui puisse me soulager, lorsque je dépose à ses pieds ce lourd fardeau après lui avoir fait entendre la complainte des hommes souffrants. Il y a les misères matérielles, tous ces pauvres que nous croisons sur nos routes, et que nous essayons de soulager un peu, par un don, mais surtout par un regard, une parole, par le fait d’entrer en relation ; il existe aussi les misères morales, dues aux péchés, qui font que certaines personnes sont enlisées dans des situations qui semblent inextricables. Et puis nous rencontrons les misères du corps, tous ces malades qui n’en peuvent plus, tous ces blessés de la vie que nous essayons de consoler et de soulager, notamment par le sacrement des malades.
Seigneur Jésus-Christ, combien notre humanité souffre ! Mais tu as présenté, « avec un grand cri et dans les larmes » la clameur de ces souffrances, et tu continues de les présenter à Dieu notre Père qui veille. Dans la foi, nous savons que ces souffrances ne sont pas vaines, mais que, si elles sont offertes dans un acte ultime d’amour, elles recèlent une mystérieuse fécondité.
Je fais mienne cette belle prière de saint Ambroise :
« Puisque Tu m’as donné de travailler pour ton Église, protège toujours les fruits de mon labeur. Tu m’as appelé au sacerdoce, alors que j’étais un enfant perdu ; ne permets pas que je me perde maintenant que je suis prêtre. Mais avant tout, donne-moi la grâce de savoir compatir aux pécheurs du plus profond de mon cœur. Donne-moi d’avoir compassion, chaque fois que je serai témoin de la chute d’un pécheur ; que je ne châtie pas avec arrogance ; mais que je pleure et m’afflige avec lui. Fais qu’en pleurant sur mon prochain, ce soit aussi sur moi-même que je pleure, et que je m’applique la parole « Thamar est plus juste que toi ». Amen. »
Le Curé d’Ars est pour moi un modèle et un guide dans mon sacerdoce. Lorsque j’étais étudiant, et que je réfléchissais à la vocation, j’ai lu avec passion sa biographie écrite par Mgr. Trochu. Cette vie entièrement donnée, dans l’oubli total de soi, pour le salut des âmes, m’a bouleversé. Il fut un apôtre infatigable de la miséricorde de Dieu.
La confession, avec la Messe, est au cœur de la vie du prêtre. Transmettre le Pardon de Dieu à travers le sacrement est une grâce extraordinaire. Qui suis-je, moi, pauvre homme, pour dire à quelqu’un : « et moi je vous pardonne tous vos péchés… ». Quelle immense joie que d’être le témoin de la miséricorde du Seigneur ! Le sacrement du pardon réjouit bien sûr le pénitent : arrivé avec un visage triste, portant le poids de ses péchés, il repart le cœur léger et purifié et la mine réjouie par l’amour de Dieu. Le sacrement suscite aussi la joie du prêtre : quel bonheur de permettre à une personne d’être libérée de ses péchés et de repartir le cœur en paix ! Ce sacrement entraîne aussi la joie du Seigneur, il réjouit le cœur de Dieu ! « Il y a plus de joie dans le Ciel pour un seul pécheur qui se convertit… ».
Le curé d’Ars disait : « Le sacerdoce, c’est l’amour du cœur de Jésus ». Cela signifie que le prêtre puise auprès de notre Seigneur, penché sur sa poitrine dans la prière, comme l’apôtre saint Jean, l’amour qui jaillit de son divin cœur, pour ensuite le transmettre aux hommes par la grâce des sacrements.
Parmi mes grandes joies sacerdotales, il y a la joie de l’apostolat auprès des jeunes. J’ai eu la chance, dans mes divers apostolats, d’avoir à accompagner beaucoup de jeunes : à travers le scoutisme, notamment comme conseiller religieux national des guides et scouts d’Europe ; comme aumônier de collèges et lycées ; comme prêtre de paroisse, en fondant un groupe Even ; en organisant et accompagnant de nombreux pèlerinages, aux JMJ, en Terre Sainte, en France…Je suis l’heureux témoin d’une belle jeunesse, qui a soif d’exigence, qui se confesse, qui désire se former, qui prie, qui progresse sur le chemin de la sainteté. Je voudrais dire à tous ces jeunes qu’il est beau de vivre et d’accueillir la vie comme un don de Dieu ! Il est beau de vouloir bâtir sa vie sur le roc de la foi ! Je voudrais vous encourager à vous engager, à désirer fonder une famille authentiquement chrétienne où la foi est au centre, à oser répondre à l’appel du Seigneur à tout quitter pour le suivre dans le sacerdoce ou la vie consacrée, sans crainte. Seul le Christ est capable de combler les plus hautes aspirations de nos cœurs !
L’ÉPREUVE DE LA MALADIE
Lorsque j’ai appris que j’étais atteint d’un cancer, en mars 2022, cela ne m’a pas vraiment surpris. J’avais l’intuition que quelque chose de grave se produirait et que je mourrai jeune.
Mystère de la souffrance… J’ai eu la confirmation qu’il n’y avait pas de guérison possible pour mon cancer. La médecine peut simplement contenir relativement l’évolution de ce cancer au stade 4. Pour combien de temps ? Combien de mois me reste-t-il à vivre ? Moi qui ai souvent médité sur la mort, accompagné des mourants, célébré des funérailles, exhorté à l’espérance de la vie éternelle, me voici maintenant confronté à ma propre mort, à 48 ans. Je veux me préparer avec foi à cet instant décisif. Je n’ai pas peur de la mort, car je crois de tout mon être en la vie éternelle ; mais je crains mon Seigneur, d’une crainte pleine de respect et d’amour. « Je sais que mon Rédempteur est vivant », comme le professe Job. Je sais que mon Seigneur m’attend. Je sais aussi que je vais comparaître devant le Christ, et je dois me préparer à paraître face à Lui, humblement. Je reconnais mes péchés, mes nombreux péchés. Et j’implore pour moi la grande miséricorde de Dieu. Comme je suis indigne d’avoir été choisi pour devenir prêtre… Ai-je bien rempli ma mission ? Ai-je suffisamment aimé le bon Dieu, et par Lui, ai-je suffisamment aimé mon prochain ? Certainement pas. Ma faiblesse et mes péchés sont autant d’obstacles à l’amour véritable. Je sens la charge qui pèse sur mes épaules comme prêtre de Jésus-Christ. Je ne me suis pas assez donné ni sacrifié pour le salut des âmes. Je n’ai pas assez prié pour mes paroissiens, pour le bien de leur âme et leur salut. Je suis passé trop vite à côté des petits et des humbles, à côté de ceux qui souffrent. Je n’ai pas assez montré le chemin de la sainteté.
Je ne prie pas assez pour ce que je souffre. Personne ne peut imaginer ce que j’endure depuis le mois de mars 2022 où tout a basculé. Comme il est difficile de porter sa croix, chaque jour… Je porte discrètement ces souffrances quotidiennes, ces humiliations cachées, ces blessures du corps qui font mal jusque dans les réalités de la vie quotidienne. J’essaye d’assumer, de ne rien montrer. Je désire accomplir au mieux, autant que je peux, ma mission de curé à travers les tria munera (les trois charges), en particulier dans la célébration quotidienne du sacrifice de la Messe. Je m’unis de tout mon être au Christ qui donne sa vie sur la Croix. En prononçant les saintes paroles, « ceci est mon corps livré pour vous », je pense aussi à mon pauvre corps qui souffre et que je désire livrer pour le salut des âmes.
J’ai dû accepter de nombreux renoncements, et c’est peut-être cela le plus éprouvant. Tel enseignement, tel pèlerinage avec les jeunes que j’avais préparé, tel mariage que je devais célébrer, telle veillée de prière que je devais mener, telle mission ou telle retraite auprès des élèves que je devais assumer… Tout cela, je n’ai pas pu l’accomplir à cause de mes opérations de mai et juin. J’ai dû renoncer, humblement, en apprenant à me reconnaitre malade. Cela m’a rendu si triste, j’ai beaucoup pleuré. Des joies tangibles de ma vie de prêtre m’étaient peu à peu retirées… Je découvrais mon impuissance, mon incapacité à accomplir certaines tâches, moi qui, auparavant, ne mesurais pas ma peine et dépensais toute mon énergie dans la fidélité à la mission confiée. J’ai beaucoup donné, de peine, de temps, de fatigue, dormant peu et prenant trop peu de repos. J’ai appris de mon père le renoncement à soi-même, le sens de l’effort et du sacrifice, la volonté de ne pas s’écouter et d’avancer malgré fatigue et contradictions. Je ne regrette pas cela, c’était ma façon de me donner et de m’oublier.
Aujourd’hui, je souffre de ne pas parvenir à réaliser tout ce que je voudrais. Je suis mortifié par ces renoncements de chaque jour, par cette énergie que je n’ai plus, par cette force physique qui me manque cruellement. C’est sûrement ainsi, dans cette voie du dépouillement, que notre Seigneur désire me conduire désormais. Cela m’apprend le saint abandon, moi qui aimais décider, organiser, et tout planifier, jusque dans les moindres détails. Mes journées s’enchaînaient, rythmées par un programme précis, me tenant en haleine et sans repos, car le sacerdoce n’est pas fait pour les paresseux, les oisifs ou les planqués. Je perçois mieux la portée de cette parole du Christ adressée à saint Pierre, après la résurrection, au bord du lac : « En vérité, en vérité, je te le dis, quand tu étais jeune, tu mettais toi-même ta ceinture, et tu allais où tu voulais ; quand tu seras devenu vieux, tu étendras les mains, un autre te nouera ta ceinture et te mènera où tu ne voudrais pas » (Jn 21, 18).
Dans l’abbatiale de saint-Wandrille, je contemple la Croix du Christ, qui resplendit au milieu des ténèbres. Elle est illuminée tandis que tout est obscur alentour. Notre Seigneur Jésus a choisi librement le chemin de la Passion. Lui, l’Innocent, est mort crucifié sur cette croix effrayante, laquelle est pourtant devenue le signe de notre foi et l’instrument de notre salut. J’essaye de discerner un chemin lumineux au cœur de mes souffrances. Je regarde le Christ qui a donné sa vie pour moi. Suis-je prêt à donner ma vie ? Quel sens ont mes souffrances ? Mes larmes se mêlent à celles de la sainte Vierge, debout, au pied de la croix. C’est ma consolation. Je reçois cette parole de l’Évangile du jour comme une flèche de feu qui perce mon cœur et m’apporte réconfort et espérance : « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos. Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos pour votre âme. Oui, mon joug est facile à porter, et mon fardeau, léger » (Mt 11, 29-30). Oui, Seigneur, je veux venir à toi, m’approcher de toi qui fais tout mon bonheur, et te confier ce fardeau de la souffrance qui pèse lourdement sur mes épaules. Si telle est ta volonté, j’accepte de le porter, mais avec toi, car sans toi, ma vie tombe en ruine. Je désire être chargé de ton joug, c’est-à-dire de ta très douce volonté, pour faire ce que tu veux et devenir ton vrai disciple. Ta sainte volonté est portée par la douceur, car elle ne s’impose jamais de force, mais elle suscite l’adhésion libre et confiante. Ta sainte volonté est portée par l’humilité, car elle s’enracine dans le grand oui adressé à la volonté de Dieu notre Père et scellé dans le sang. Auprès de toi, Seigneur Jésus, mon âme désire se reposer et s’apaiser. Que loin de moi s’enfuient les songes, et les angoisses de la nuit.
Que veux-tu que je fasse, ô mon Dieu ? Je suis prêt à tout, j’accepte tout, du moins je l’exprime dans ma pauvre prière. Si tu le veux, Seigneur, tu peux me guérir, pour ta plus grande gloire. Je te le demande humblement. La médecine ne peut plus rien, seul un miracle peut me guérir. Je ne refuse pas le labeur et la peine, pour le salut des âmes, si tu désires que ma mission sacerdotale se poursuive encore sur cette terre. Mais si tu le veux, Seigneur, je veux aussi me préparer à ma mort, me sanctifier, implorer le pardon de mes fautes, purifier mon âme pour comparaître devant toi. J’accepte de mourir, car peut-être, selon ton désir, serais-je plus utile au Ciel que sur terre.
Ma vie est entre tes mains. Je ne refuse pas le combat pour la vie. Si telle est ta volonté, je veux continuer à me battre, avec les armes de la médecine, vers une issue que Toi seul connais. Depuis le mois de mars, je lutte, je supporte, je souffre. Je suis prêt à poursuivre ce combat pour la vie, même s’il est si rude à travers toutes les chimiothérapies. Je désire me battre pour tous ceux qui comptent sur moi, pour ma famille, mes amis, mes paroissiens et fidèles. Je fais mienne la profession de foi de Marie, sœur de Lazare, à qui Jésus demandait : « Je suis la résurrection. Qui croit en moi, fût-il mort, vivra. Et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? » – et Marie de répondre – « Oui Seigneur, je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, celui qui devait venir en ce monde » (Jn 11, 25-27). Je demande au Seigneur la grâce d’accepter de quitter ce monde quand mon heure sera venue, dans la volonté de Dieu.
Au-delà de la souffrance, je découvre une fécondité nouvelle. Auparavant, la fécondité de mon sacerdoce transparaissait bien souvent à travers des signes visibles : des joies et des grâces tangibles, des jeunes qui répondent à l’appel du Seigneur, des apostolats réussis, des gratitudes exprimées, des victoires obtenues. A présent, la fécondité de mon sacerdoce demeure voilée, mystérieuse, mais réelle. C’est la fécondité de la croix, le grand passage de l’apparent échec au triomphe de la vie.
Nos petites actions, humbles, portées par la prière, possèdent une grande force. Notre Seigneur s’en sert pour toucher les cœurs, avec parfois plus d’efficacité que par une grande action éclatante. J’ai peut- être parfois trop cherché à briller devant les hommes, plutôt que de laisser le Christ briller à travers moi, lui qui est la Lumière du monde. Mon sacerdoce est celui du Christ, pas le mien. « Il faut que Lui grandisse, et que moi, je diminue » criait St Jean-Baptiste, en désignant le Christ, et en s’effaçant devant Lui. Je prends à présent un chemin d’abaissement et d’humiliation qui est celui de la Croix. Chemin d’abaissement, pour renoncer davantage à moi-même, et accepter ce que Dieu veut, en le laissant décider, en le laissant agir, en m’appuyant sur Lui. Chemin d’humiliation, car des humiliations me sont données, elles viennent de la maladie et s’imposent à moi comme des épines bienfaisantes, pour autant que je les accepte et les supporte avec le Christ.
Comme je comprends mieux la portée de cette parole que nous recevons le jour de l’ordination sacerdotale : « Recevez l’offrande du peuple saint pour la présenter à Dieu. Ayez conscience de ce que vous ferez, imitez dans votre vie ce que vous accomplirez par ces rites et conformez-vous au mystère de la croix du Seigneur ». Se conformer au mystère de la croix, c’est toute la vie du prêtre, en particulier dans la célébration des saints mystères. Mes années de sacerdoce m’ont appris la gravité de la Messe. Pour un prêtre, célébrer la sainte Messe signifie s’unir au Christ qui vit sa Passion et s’offre pour le salut du monde en gravissant le Golgotha. Je suis là, avec mes pauvres mains, ma pauvre voix, mes fragilités, au pied de la Croix, à côté de la sainte Vierge. Je suis là au milieu de ce déchaînement de haine, et je contemple la Croix. Je suis là pour accomplir ce que notre Seigneur a confié à ses apôtres puis à tous ses prêtres : rendre présent ce sacrifice chaque jour pour le salut des âmes.
LA PURIFICATION PAR LA SOUFFRANCE
Je vis un chemin de croix quotidien. Notre Seigneur désire certainement me purifier, m’unir à ses souffrances. Je ne comprends pas encore bien pourquoi je dois vivre tout cela. Je crie souvent vers le Seigneur, je pleure aussi, parfois. L’épreuve est lourde. Je ne me rebelle pas contre Dieu, mais j’ose crier, comme les psalmistes. Le cri de l’âme qui souffre est aussi une prière. Notre Seigneur Jésus a crié vers son Père, au moment de mourir : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? ». Il prend sur lui les cris de souffrance de tous les hommes qui traversent les ténèbres, il les dépose auprès de son Père. Je sais dans la foi que mes prières douloureuses sont reçues par le Seigneur, qu’elles sont écoutées, et que le Seigneur répond comme il a répondu à son divin Fils sur la Croix. Réponse mystérieuse, que l’on aimerait plus claire, plus évidente. Mais réponse réelle, car le Seigneur console. Je garde gravée au plus profond de moi cette parole du Christ qui est la source d’une immense espérance : « Voici que je suis avec tous les jours, jusqu’à la fin du monde ». Oui, le Seigneur est avec moi, il est là, il veille, il me soutient.
« Si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal, car ton bâton me guide et me rassure ». J’ai souvent médité sur ce psaume qui m’assure du soutien du Seigneur dans les grands moments d’épreuve. Ces ravins de la mort prennent plusieurs aspects, que ce soit le combat spirituel ou la lutte contre la maladie. Seul, sans le Christ, il est impossible de se battre. Saint Pierre en a fait l’amère expérience, lorsqu’il se mit à couler parce qu’il avançait tout seul. Je saisis volontiers ce bâton du Seigneur, ce bâton qui fendit la Mer Rouge et perça le rocher. Ce bâton, c’est la houlette du Bon Pasteur. Et le pasteur a besoin de ce bâton pour chasser les bêtes sauvages, pour combattre les loups qui veulent s’emparer des brebis.
A l’intérieur de l’Église, des loups se sont introduits. Ce sont des prêtres, et même parfois des évêques, qui ne cherchent pas le bien et le salut des âmes, mais qui désirent d’abord la réalisation de leurs propres intérêts, comme la réussite d’une « pseudo-carrière ». Alors ils sont prêts à tout : céder à la pensée dominante, pactiser aves certains lobbies comme les LGBT, renoncer à la doctrine de la vraie foi pour s’adapter à l’air du temps, mentir pour parvenir à leurs fins. J’ai rencontré ce genre de loups déguisés en bons pasteurs, et j’ai souffert par l’Église. Dans les différentes crises que j’ai traversées, je me suis rendu compte que les autorités ne prenaient pas soin des prêtres et les défendaient rarement, prenant fait et cause pour des récriminations de laïcs progressistes en mal de pouvoir et voulant une liturgie plate dans une auto-célébration de l’assemblée. Comme prêtre, pasteur et guide des brebis qui vous sont confiées, si vous décidez de soigner la liturgie pour honorer notre Seigneur et lui rendre un culte véritable, il est peu probable que vous soyez soutenu en haut lieu face aux laïcs qui se plaignent.
Aujourd’hui, je veux offrir mes souffrances pour l’Église, pour ma paroisse, pour les vocations. Toutes les vocations : sacerdotales, religieuses, maritales. Je demande au Seigneur la force de pardonner à ceux qui m’ont persécuté, et le courage d’avancer en portant ces croix de chaque jour. Comme Zachée, pour voir le Christ, il nous faut monter sur un arbre, l’arbre de la Croix. « Stat crux dum volvitur orbis » – « la croix demeure tandis que le monde tourne » : telle est la devise des Chartreux. Au milieu des changements et des troubles de ce monde, demeure plantée sur notre terre de manière stable, comme le signe de notre foi, la croix de notre Sauveur.
LA FORCE DE LA PRIÈRE
En décembre 1993, j’ai suivi une retraite à l’abbaye Notre-Dame de Maylis, dans les Landes. C’était une école d’oraison, pour apprendre à prier, à l’écoute du Père Caffarel, qui fonda les équipes Notre Dame, mais fut aussi un maître d’oraison. J’ai beaucoup reçu de lui, en particulier à travers son livre : Cent lettres sur la prière. Durant ces jours, notre Seigneur m’a donné la grâce de percevoir son amour pour moi, et m’a fait découvrir la place éminente et vitale de la prière dans la vie chrétienne. Dès cet instant, ma vie a changé, car mes journées sont marquées au fer rouge de l’oraison qui transforme la vie et donne l’amour de Dieu.
La prière est le secret d’une vie chrétienne féconde. Sans la prière, un chrétien ne peut pas tenir, car il ne peut affronter les puissances des ténèbres. Nous ne luttons pas contre de petits adversaires insignifiants, mais contre le démon, le prince des ténèbres, le père du mensonge. Comme nous y exhorte saint Paul : « Revêtez l’équipement de combat donné par Dieu, afin de pouvoir tenir contre les manœuvres du diable. Car nous ne luttons pas contre des êtres de sang et de chair, mais contre les Dominateurs de ce monde de ténèbres, les Principautés, les Souverainetés, les esprits du mal qui sont dans les régions célestes. Pour cela, prenez l’équipement de combat donné par Dieu ; ainsi, vous pourrez résister quand viendra le jour du malheur, et tout mettre en œuvre pour tenir bon. » (Ep 6, 11-13).
Pour résister et tenir bon, nous avons besoin de la puissance de la prière. C’est elle, la force qui en secret, transforme le monde. Si les chrétiens abandonnent la prière, en se laissant séduire par le règne de l’efficacité et de la rentabilité, alors la porte s’ouvre « sur la nuit spirituelle et la barbarie scientifique ». Le Père Caffarel prophétise ainsi : « Ou bien le christianisme fera la conquête du monde en priant, ou bien il périra. Il y a là une question de vie ou de mort pour le christianisme » (cf. Présence à Dieu, Cent lettres sur la prière).
Et saint Jean de la Croix d’affirmer : « Sans l’oraison, tout se réduit à frapper des coups de marteau pour ne produire à peu près rien, ou même absolument rien, et parfois plus de mal que de bien » (6). Et le curé d’Ars : « Vous avez un petit cœur, mais la prière l’élargit et le rend capable d’aimer Dieu. »
Dans la prière quotidienne, dans ce cœur à cœur avec le Seigneur, nous sommes transformés en profondeur. Le bon Dieu agit au fond de notre âme pour nous prodiguer toute sorte de bien. Ce n’est pas d’abord moi qui agis, par mes belles paroles ou médiations, mais c’est Dieu qui agit. Ce temps passé en sa présence est source de grâces, et ce qui compte, c’est la fidélité et la persévérance, chaque jour. Plus nous avons à faire et plus nous devons prier !
Depuis l’annonce de mon cancer, la famille, les amis, les fidèles se sont engagés avec ardeur dans la prière pour demander ma guérison. Je suis émerveillé par toutes ces initiatives prises, des neuvaines aux veillées de prière. Je suis impressionné par ces chaînes de prière qui touchent jusqu’aux abbayes. Cette prière me porte et me soutient. Elle est vraiment efficace. C’est elle qui m’aide à garder confiance et à avancer avec courage. Je voudrais dire à tous ceux qui prient pour moi de continuer, d’être bien persuadés que leurs prières ne sont pas vaines. Comme j’aimerais qu’ils ne se découragent pas de prier et qu’ils voient leurs efforts couronnés, d’une manière ou d’une autre. Je ne veux pas les décevoir, c’est pourquoi je continue de lutter, soulevé comme par un souffle immense qui monte vers notre Seigneur.
LA SAINTE VIERGE MARIE
« Comment ai-je ce bonheur que la Mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? » s’interroge Elizabeth (Lc 1, 43). Et je m’émerveille aussi devant la présence de Marie dans ma vie.
La Vierge Marie a toujours été présente dans ma vie, depuis mon enfance jusqu’à aujourd’hui. C’est elle qui m’a guidé vers le sacerdoce, m’encourageant avec confiance, malgré le sentiment de mon indignité et de mon incapacité. Je me souviens avec émotion de ce moment de grâce où, dans une petite chapelle située sur la colline de Vezelay, Marie m’a comme pris par la main pour me rassurer et me lancer dans le chemin vers le sacerdoce. La sainte Vierge m’a toujours protégé, et consolé. Dans tous les moments d’épreuves que j’ai connus, dans toutes ces situations humaines qui semblaient perdues, je me suis toujours confié à Marie, réfugié sous son manteau blanc immaculé, placé sous sa protection. J’ai toujours éprouvé dans ces moments d’abandon une grâce de consolation, avec la certitude que Marie veillait, qu’elle était là, vigilante et protectrice. Je n’ai jamais été déçu ni abandonné par elle. Je voudrais témoigner combien la prière à Marie est source de grâces. La sainte Vierge ne nous retient pas contre elle, mais elle nous conduit vers son divin Fils, elle nous apprend, comme une mère, à le connaitre et à l’aimer.
Dans ma vie de prêtre, Marie tient une place privilégiée, car c’est elle qui nous a donné le Sauveur, et telle est la mission du prêtre : donner le Seigneur aux hommes. Sans la sainte Vierge, sans un lien particulier et affectueux avec elle, sans une prière constante adressée à notre bonne Mère du Ciel, un prêtre ne pourra pas accomplir pleinement son ministère. Je voudrais citer ici le Cardinal Journet dont je fais miennes ses paroles : « La Vierge Marie est restée, et restera toujours, une joie dans notre vie de prêtre. Les fêtes de la Vierge, ainsi chaque samedi, sont comme un peu de soleil et un printemps dans nos cœurs. Lorsqu’on demeure près d’elle, la peur n’existe plus. Les menaces de la misère et de la médiocrité qui nous enveloppent cessent de nous accabler. Avec elle, nous sommes de l’autre côté parce que nous sommes devenus ses enfants » (7).
C’est Marie qui a sans cesse fortifié ma foi. Je me suis toujours appuyé sur sa foi limpide et indéfectible. C’est avec elle que je désire prononcer mon Fiat au Seigneur, soutenu et entrainé par elle. Mon affection pour notre bonne mère du Ciel est portée par elle dans le cœur de son divin Fils. Grâce à Marie, mon amour pour le Christ s’est accru et affermi. Plus on aime Marie, et plus elle nous fait aimer son Fils. Plus on se confie à elle, plus notre foi grandit. Quel bonheur d’avoir Marie pour mère ! Quelle joie de sentir qu’elle intervient en notre faveur, et qu’elle nous prodigue sa tendresse toute maternelle. Marie nous console, elle sèche nos larmes comme une mère sait le faire. Elle a pleuré, à Nazareth, lorsque son Fils fut incompris, chassé et rejeté. Elle ne veut pas que nous souffrions, elle est à nos côtés pour soulager nos peines et nous aider à les porter.
J’ai fait graver sur mon calice, offert pour mon ordination, une devise que je fais mienne et qui était celle de saint Jean-Paul II : « Totus tuus ». Ces deux mots signifient mon désir de m’en remettre à Marie en toute chose, de passer par elle, de lui livrer et consacrer, en toute soumission et amour – selon la prière de St Louis-Marie Grignon de Montfort – mon corps et mon âme, et tout ce que je dois accomplir. Comme tout est plus simple et efficace lorsqu’on choisit de tout confier à la sainte Vierge ! Le secret, c’est de comprendre que notre Seigneur a voulu passer par Marie pour se donner aux hommes, et qu’il continue de faire ainsi : les grâces passent par la sainte Vierge.
Dans mes pauvres prières de chaque jour, souvent marquées par la faiblesse, par la sécheresse du cœur, par les distractions, je me dis que Marie achève et complète ce que je ne parviens pas à réaliser. C’est elle qui présente à son divin Fils mes pauvres balbutiements de prière. C’est pourquoi, comme l’écrit le Curé d’Ars, « Lorsque nos mains ont touché des aromates, elles embaument tout ce qu’elles touchent. Faisons passer nos prières par les mains de la Sainte Vierge, elle les embaumera. »
Le récit de l’Annonciation est une des plus belles pages des Évangiles, car un double mystère nous est dévoilé : le mystère de l’Immaculée Conception, et celui de la conception virginale du Christ. Ces deux mystères sont reliés par la liberté de Marie qui prononce son Fiat au Seigneur en lui disant oui de tout son être. Ce Oui de Marie, comme l’écrit le Cardinal Charles Journet, « est le plus beau Oui que la terre n’ait jamais dit au Ciel » (8). Et saint Thomas d’Aquin d’affirmer : « elle le prononce au nom de l’humanité tout entière, depuis le soir de la chute jusqu’à la fin du monde » (9).
C’est par Marie, et avec elle, que nous pouvons dire oui au Seigneur et à sa sainte volonté. Son oui n’a pas été marqué par le péché originel et la rébellion contre Dieu. C’est un Oui pur, limpide, total, vrai, sans aucune retenue ni arrière-pensée. Nos « oui » à nous sont toujours marqués par un « mais » caché, par des conditions posées, par des fuites discrètes… « Oui Seigneur, mais… ». Pourtant, le Seigneur nous avertit : « Que votre parole soit oui, si c’est oui, non si c’est non ; ce qui est plus vient du Mauvais » (Mt 5, 37). Avec Marie, nous pouvons enfin dire un vrai oui au Seigneur, elle nous aide à nous abandonner à son divin Fils, elle nous porte dans son Fiat.
À la grotte de Massabielle, où je me suis rendu tant et tant de fois, j’ai demandé à Notre Dame de Lourdes de m’aider à vouloir ce que Dieu veut pour moi. Cette grotte est pour moi un refuge, un lieu saint, un rocher sur lequel s’appuyer pour reprendre des forces. La source d’eau vive qui coule au fond de la grotte est la fontaine de grâces que la sainte Vierge désire nous donner. Je me suis réjoui dans cette grotte, j’y ai rendu grâces, j’y ai déposé de nombreuses intentions de prière ; c’est aussi là que j’ai été guéri par Marie d’une blessure venant de l’Église. Ce lieu béni est pour moi un lieu fondateur de ma foi depuis mon enfance. Là, dans le froid du mois de janvier, je me confie à nouveau avec ardeur à Notre Dame de Lourdes. Je demeure devant la grotte, je prie en silence, je m’abandonne au Seigneur par les bras de Marie, je reprends des forces, je prie mon chapelet. Le froid ne parvient pas à me chasser de ce lieu béni. « La lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée ». Je contemple cette lumière qui émane de la grotte, lumière bienfaisante et salutaire. Merci, Marie, pour ta protection maternelle et ta présence constante à mes côtés. J’entends résonner en moi la voix du psalmiste : « Espère le Seigneur, sois fort et prends courage, espère le Seigneur » (Ps 26, 14). Et je fais mienne la parole du lépreux, dans l’Évangile de ce jour : « Si tu le veux, tu peux me purifier » (Mc 1, 40). Oui Seigneur, si telle est ta sainte volonté, tu peux guérir mon corps blessé. Mais que ta volonté soit faite ! Je confie à Marie cette humble prière.
LE BON COMBAT
Comme j’aimerais, au soir de ma vie, m’écrier comme saint Paul : « J’ai mené le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi » (2 Tm 4, 7). Quel est le bon combat à mener en ce monde ? Beaucoup dépensent de l’énergie pour des luttes qui n’en valent pas la peine, comme cette écologie érigée en nouvelle religion, ou cette défense de la cause animale au détriment des hommes. Voyez toute cette énergie dépensée pour des combats menés avec le diable, comme ceux de la culture de mort, de la théorie du genre, du transhumanisme, du wokisme…. Tout cela détourne les personnes de Dieu et leur fait mener de faux combats qui sont ceux du démon.
Le bon combat est celui de la foi : garder la foi et transmettre la foi, dans la fidélité à la tradition de l’Église. Ma foi, aujourd’hui, est celle des patriarches, des prophètes, des apôtres, des saints et des saintes qui nous précèdent et qui nous ont transmis ce trésor de la foi au vrai Dieu. Au long des siècles de l’histoire de l’Église, que de sang versé, de souffrances subies, de persécutions violentes pour protéger et transmettre la foi !
Le bon combat, c’est celui qui consiste à rester fidèle aux promesses de son baptême, à lutter pour demeurer uni au Seigneur Jésus, à vivre en chrétien, à garder ses convictions. C’est un combat de chaque jour, car le démon ne cesse de tenter de nous détourner de Dieu. Le bon combat, c’est celui de la fidélité au Christ, fidélité qui se gagne chaque jour à travers les devoirs de la vie chrétienne : la prière quotidienne, la messe dominicale, la confession régulière, la lutte contre tel ou tel péché qui revient sans cesse. Il y a des chrétiens héroïques qui se battent chaque jour pour terrasser un péché qui empoisonne leur vie. Ces combats de l’ombre, dans les secrets de la vie, sont autant de petites victoires remportées contre le Prince des ténèbres.
Dans ma vie de prêtre, je mène ce combat avec ardeur, car je porte sur mes épaules la charge des âmes qui me sont confiées. Comment pourrais-je remplir ma mission sans une réelle vie intérieure, sans être uni au Christ par la prière et les sacrements ? Où puiser la force nécessaire pour sanctifier le peuple chrétien si ce n’est en Dieu lui- même ? Je me rends compte combien il est vital pour un prêtre de donner du temps au Seigneur, de lui consacrer un temps précieux, pour être avec Lui, pour l’aimer, pour l’adorer. Un prêtre doit d’abord être proche du Seigneur pour pouvoir donner Dieu aux hommes. La fécondité d’un apostolat ne tient qu’à la puissance de la prière qui le porte. J’ai lutté contre la tentation de l’activisme qui nous fait croire que le temps de la prière est inutile, ou bien impossible dans tel contexte. Celui qui prie ne perd pas son temps, celui qui prie n’est jamais seul. Combien de fois ai-je éprouvé dans ma vie de prêtre la force de la prière ! C’est la prière qui, de manière invisible, me donne la capacité de prêcher, d’enseigner, d’assumer une mission délicate, et surtout de m’effacer pour laisser toute la place au Christ. Sans la prière et l’union intérieure au Christ, notre vie tombe en ruine.
Le bon combat, c’est celui de chaque instant pour bien accomplir son devoir d’état et porter le poids du jour sans récriminer contre Dieu. Les tâches de la vie quotidienne, humbles et souvent cachées, relèvent de ce combat qui nous aide à demeurer uni au Christ.
Le bon combat, c’est celui qui consiste à suivre le Christ, pas à pas. « Celui qui veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix chaque jour et qu’il me suive » (Lc 9, 23). Telle est la condition de celui qui veut être disciple du Christ, en un mot, de celui qui veut être vraiment chrétien. Le chemin du Christ passe par la Croix, et c’est pourquoi le chemin de tout chrétien passe aussi par la croix. On ne choisit pas ses croix, on ne choisit pas ses souffrances. Elles se présentent à nous, sans que nous les ayons demandées. Il existe les petites croix de chaque jour, faites de renoncements, d’humiliations, d’efforts. Le devoir d’état.
Et puis il existe les grandes croix de la vie, celles qui sont plantées dans notre être, corps et âme. Ce sont les souffrances dues à la maladie, les douleurs provoquées par la mort d’un être cher, les épreuves des combats à mener, les persécutions pour la foi. Ces grandes croix ne peuvent être portées qu’avec l’aide de Dieu. Le Christ a porté sa croix, si lourde, et il ne cesse de nous aider à porter les nôtres. Trois fois il est tombé, trois fois il s’est relevé avec la force de Dieu son Père. Il prend sur ses épaules notre fardeau, si nous lui confions, pour nous fortifier et nous soutenir.
« LE MOMENT DE MON DÉPART EST VENU »
« Moi, en effet, je suis déjà offert en sacrifice, le moment de mon départ est venu. J’ai mené le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi. » (2 Tm 4, 6.7)
Voici près d’un an que je combats contre ce cancer. Un an de lutte acharnée, de souffrances quotidiennes, de diverses hospitalisations. Un an de chimiothérapies endurées toutes les deux semaines. Je sens bien que mon corps s’affaiblit, et que le cancer gagne du terrain. « Mais l’on ne se bat pas dans l’espoir du succès, non, non, c’est bien plus beau lorsque c’est inutile ! » (Cyrano de Bergerac). La médecine semble baisser les armes, les chimios ne sont pas assez efficaces. Demeure toujours le combat de l’âme, pour tenir, avancer, garder l’espérance, s’abandonner au Seigneur, se confier à la sainte Vierge, prier sans relâche, encourager ses proches, garder la joie du cœur, et se préparer à la mort. Je veux mener ce dernier combat avec le courage et la force de la foi.
Je me prépare donc à paraître devant mon Seigneur. J’ai confiance, car comme l’écrivait Benoit XVI, le Seigneur est à la fois mon juge et mon avocat : « Bientôt, je serai face au juge ultime de ma vie. Même si, en regardant ma longue vie, j’ai beaucoup de raisons d’avoir peur et d’être effrayé, j’ai néanmoins l’âme joyeuse, car j’ai la ferme conviction que le Seigneur n’est pas seulement le juge juste, mais en même temps l’ami et le frère qui a lui-même souffert de mes défauts et qui, par conséquent, en tant que juge, est également mon avocat. » (Benoît XVI).
Saint Josémaria disait : « La joie chrétienne a ses racines en forme de croix ». Au soir de ma vie, malgré toutes ces souffrances, je garde une joie profonde, la joie de savoir que le Seigneur est avec moi, la joie de savoir que le Seigneur m’attend au Ciel. Si parfois la tristesse apparaît, je demande au Seigneur de la changer en joie. La mort d’un être cher provoque des pleurs, des larmes, des douleurs. Le Christ aussi a pleuré devant la mort de son ami Lazare. Mais que cette douleur du cœur, aussi intense soit-elle, n’éteigne pas la flamme de la foi et de l’espérance.
« Quelle joie quand on m’a dit, nous irons à la maison du Seigneur ; maintenant notre marche prend fin, devant tes portes Jérusalem ».
Oui, ma marche prend fin, dans la joie de paraître bientôt devant le Seigneur. C’est avec la sainte Vierge que je veux franchir cette porte au dernier instant de ma vie, elle qui est la porte du Ciel.
« Serviteur de votre joie », je vous bénis de tout cœur.
Abbé Cyril Gordien +
Prêtre pour l’éternité
(1) Cardinal Sarah, Catéchisme de la vie spirituelle, Fayard, 2022, p. 67.
(2) Saint Josémaria Escriva, Quand le Christ passe, 154.
(3) Saint Jean-Paul II, encyclique Ecclesia de Eucharistia, n.25.
(4) Saint Jean-Paul II, encyclique Ecclesia de Eucharistia, n.59.60.
(5) Cf. Benoit XVI, rencontre avec le clergé de Rome, Lectio divina, 18 février 2010.
(6) Saint Jean de la Croix, le Cantique spirituel, B, strophe 29,3.
(7 Card. Charles Journet, Entretiens sur Marie, p. 37.
(8) Card. Charles Journet, Entretiens sur Marie, p. 22.
(9) Somme théologique, IIIa, q.30.
LA NEF, mis en ligne le lundi 20 mars 2023, en la fête de saint Joseph ; testament spirituel de l’abbé Gordien