L’abbé Cyril Gordien, prêtre du diocèse de Paris, est mort ce mardi 14 mars, à l’âge de 48 ans, terrassé par un cancer. Il était un prêtre exceptionnel. Nous tenions à écrire quelques mots sur cet ami qui nous était si cher, et qui nous manque déjà tant.
« Mon cher, cher Joseph ! »
« Cher Médéric ! »
« Chère Pia ! »
C’est toujours ainsi que l’abbé Gordien nous accueillait quand on le retrouvait, à la sortie d’une messe, à l’issue d’un baptême, à la table du petit-déjeuner d’une journée de pèlerinage, au départ d’un camp scout. Nous étions ses « chers, chers » enfants. Son sourire d’enfant joyeux accompagnait invariablement ces mots tant de fois prononcés, il en révélait aussi toute la mesure et la sincérité. Nulle politesse de façade, nulle facilité de formule dans ces « chers » distribués à la volée, non, juste une immense affection et une joie profonde. De celles qui n’ont guère besoin de retenue : elles sont tellement vraies et ajustées qu’elles peuvent se montrer telles qu’elles sont, dans toute leur lumière et dans leur filiation à l’amour divin.
Il faut dire que peu de choses chez l’abbé Gordien ne semblaient pas venir directement de Dieu ! Il n’était pas difficile de croire en la promesse de Jésus nous faisant cadeau de son Esprit saint quand on l’entendait prêcher. Il ne fallait pas faire un gros effort d’imagination pour toucher du doigt l’amour qui devait unir Jésus à Marie quand on voyait la dévotion de l’abbé Gordien pour « notre bonne mère du Ciel » comme il l’appelait. Les mots de saint Paul nous appelant à déplacer les montagnes prenaient tout leur sens devant sa foi brûlante. Son bonheur dans le sacerdoce, sa joie si évidente d’être prêtre, en disaient plus que tous les grands discours sur la beauté de la vocation religieuse. Son extraordinaire charisme auprès des jeunes – qui le lui rendaient bien – n’était pas sans rappeler la tendresse du Christ pour les enfants. Son sens de l’humour devait susciter des rires jusque dans le Ciel. Même si les pèlerins, eux, riaient moins quand il leur faisait croire que le dîner n’aurait lieu qu’à 23h30, une fois terminé un topo de 2h sur le rite maronite – topo qui, rassurez-vous, n’eut jamais lieu !
On a appris à se réjouir de savoir que Jésus avait des affinités toutes spéciales et qu’il aimait tout particulièrement saint Jean ; de la même façon, on a pu s’émerveiller de voir l’abbé Gordien si évidemment aimé et proche de son Seigneur, au point de lui emprunter un peu de sa lumière.
Et comme tous les amis que Dieu se choisit, il a connu l’épreuve. Il est certaines épreuves qui appartiennent à l’intimité de son coeur et dont il ne nous revient pas de parler – une chose est sûre, quand on a vu l’abbé Gordien rabrouer Air France qui pensait le séduire à peu de frais en lui proposant un (faux) surclassement, on ne voudrait pas être à la place de l’ange mauvais chargé d’amadouer notre cher abbé ! Il est d’autres épreuves qui appartiennent à l’espace public et dont nous avons su quelques bribes. Ainsi, quand l’abbé Gordien a dû affronter, bien seul hélas, la vindicte médiatique dans ce qui est devenu « l’affaire Gerson » – pour avoir défendu la position de l’Église sur la vie. Ainsi, quand il lui a été vertement reproché d’avoir célébré la messe en présence de paroissiens durant le confinement – à lui, le prêtre, à lui, le tout donné à Dieu, à lui, le ministre du Christ, à lui, le fervent adorateur de la présence réelle, qui voulait tellement offrir le Christ aux âmes qu’il lui était impossible de priver de messe ceux qui lui avaient été confiés !
Ainsi, la lumière qu’il portait en lui n’était pas une évidence facile, et pas seulement une grâce immense héritée du Ciel : il a dû, à plusieurs reprises, la reconquérir de haute lutte dans la bataille du pardon donné à ceux qui l’ont durement blessé. Et elle me faisait penser à ces flammes de bougies que nous tentions de maintenir en vie quand, lors des JMJ de Madrid, la tempête s’est abattue sur nous, à l’aéroport de Cuatro Vientos, et que nous étions rassemblés autour du pape Benoît. Pape que l’abbé Gordien aimait tant – et qui devait être si heureux de le voir arriver à son tour au Ciel. D’ailleurs, ne discutent-ils pas tous les deux à bâtons rompus depuis hier soir ?
Dans la vie quotidienne, ça ne fait pas beaucoup de bruit, un prêtre comme l’abbé Gordien. Il se lève tôt tous les matins pour travailler à la vigne du Seigneur, et il se couche tard tous les soirs, après avoir donné toutes ses forces à la mission. Très humblement, très ordinairement, très discrètement. Très joyeusement aussi. Alors certes, il attire beaucoup de monde en pèlerinage, certains ne s’y trompent pas – et d’ailleurs tant de jeunes étaient prêts à traverser tout Paris pour nourrir leur âme à l’écoute de ses paroles. Mais il ne fait pas couler beaucoup d’encre, il n’attire pas les projecteurs. Il encaisse même parfois quelques dures attaques. Et puis il meurt, un jour, dans une petite chambre d’hôpital, entouré du Christ et des siens. Ce jour-là, sans que personne n’ait besoin de l’énoncer, la vérité s’impose d’elle-même : qu’il était grand ce petit curé de paroisse !
C’est un bien triste monde que cette terre désormais privée de sa présence ! Il va nous falloir continuer le combat sans lui à nos côtés, fine silhouette en soutane, sans son espérance et sa foi pour raviver nos forces et nous montrer le cap. Nous en sommes capables : car nous sommes forts de tout ce qu’il nous a appris et déjà donné.
Cher, cher abbé Gordien, notre prière ne se fatiguera pas, nous vous le promettons, mais nous vous en supplions, continuez de nous montrer le chemin, aidez-nous à être « ces veilleurs dont le monde a besoin »… et continuez à nous faire rire de là-haut !
Elisabeth Geffroy
© LA NEF, mis en ligne le 15 mars 2023, exclusivité internet