L’enfant, signe de nos contradictions

ÉDITORIAL

L’enfant est devenu le symbole des profondes contradictions de nos sociétés modernes. D’un côté, il est presque idolâtré, on le choit comme jamais, on le gâte et on le surprotège. Nous vivons une époque de « l’enfant roi » qui doit pouvoir faire à peu près tout ce qu’il veut, toute contrainte ou discipline étant rejetée comme dépassée : le principe même d’autorité, et de l’autorité parentale tout particulièrement, est regardé d’un mauvais œil, comme le vestige de temps obscurs heureusement révolus.
L’enfant moderne n’a plus besoin de maîtres, il se construit lui-même ; l’école n’a plus pour fonction de transmettre un savoir, mais d’accompagner la « liberté » du bambin à développer son moi et à acquérir par lui-même les connaissances dont il a besoin. Même en politique, la voix de la jeunesse est sacralisée, il n’est que de voir comment le monde s’est incliné admiratif devant les injonctions féroces d’une gamine de 15 ans fustigeant la terre entière, disant le bien et le mal comme si elle était la sagesse incarnée ! Aujourd’hui, en tout domaine, être jeune est un atout, bien plus que l’expérience de l’âge.

L’ignorance du bien de l’enfant

D’un autre côté, l’enfant n’existe pas, il a été totalement « invisibilisé », devenant le tabou d’une société où l’adulte doit, lui aussi, pouvoir faire tout ce qu’il désire, sa volonté primant in fine le bien de l’enfant. Car le ressort moderne fondamental est l’égoïsme – la publicité nous le répète à l’envi – et l’adulte a encore le pouvoir de décision au détriment de sa progéniture, sacrifié donc aux desiderata des grandes personnes.
Ainsi, l’enfant est-il soumis aux caprices d’hom­mes et de femmes qui peuvent décider de l’éliminer avant qu’il ne voie le jour ou de le « fabriquer » par une manipulation génétique, et même de louer les services d’une « mère porteuse ». On se soucie là fort peu de l’intérêt de l’enfant que l’on chérit et couve de mille soins par ailleurs.
Dans le cas de l’avortement, on se persuade que ce qui gigote dans le ventre de la mère n’est qu’un vulgaire amas de cellules qu’on l’on a aucun scrupule à détruire et évacuer, car il ne peut s’agir d’un petit d’homme, même lorsque, dans l’IMG (interruption médicale de grossesse), l’avortement s’attaque à un bébé à terme, effroyable assassinat et cependant totalement légal qui n’émeut guère les consciences de nos belles âmes adeptes du slogan absurde « Mon corps m’appartient » !
Dans le cas d’une manipulation génétique, PMA ou GPA, quand il ne s’agit pas d’un couple stable (personne seule ou deux de même sexe), on se force à croire qu’un enfant n’a nul besoin d’un père et d’une mère et qu’il se porte aussi bien d’avoir deux pères, deux mères ou un seul parent, homme ou femme, car rien ne doit entraver la volonté moderne de suivre ses désirs, le « droit à l’enfant » ayant évincé le « droit de l’enfant ».
L’incohérence atteint son paroxysme lorsque l’on nous serine le « principe de précaution » qui s’applique aveuglément à certains sujets sensibles comme le climat et qui disparaît totalement de l’horizon lorsqu’il s’agit de l’enfant qui entrave le bon plaisir des adultes. Alors qu’il est impossible de prouver et donc d’avoir la certitude que l’embryon avorté n’est pas un être humain ou que fabriquer des enfants en éprouvette sans père ou sans mère ne lui est pas gravement nuisible, on persiste allègrement en ignorant superbement ces incertitudes alors même qu’elles devraient obliger tout esprit honnête à renoncer à de telles pratiques en raison précisément du « principe de précaution » bien compris.

Le défi démographique

Deux autres sujets graves de l’actualité confirment notre propos : l’immigration et les retraites, dont la réforme maladroite et cependant bien vide de M. Macron déchaîne une opposition qui dépasse largement le cadre de cette loi mal faite. Dans ces deux cas, aucune solution politique ne peut être viable sans un fort redressement de notre natalité. Autrement dit, inciter les Français à avoir plus d’enfants est le préalable indispensable pour envisager l’assimilation des immigrés (tout en diminuant leur nombre) et garantir la pérennité d’un système de retraites par répartition. Or, c’est un sujet tabou que très peu osent aborder dans la classe politico-dirigeante. C’est d’autant plus criminel que la France comme l’Europe – dont la démographie est catastrophique (le taux de natalité dans l’UE est de 1,5 quand le renouvellement des générations n’est assuré qu’au-delà de 2,1) – s’éteignent doucement, avec tout ce que cela signifie en termes de vieillissement des populations et de perte de dynamisme et de créativité.
Si l’on ajoute à cela une certaine idéologie écologiste qui voit dans l’homme un prédateur à combattre et qui préconise à ce titre de ne plus procréer, on a là un tableau complet de nos incohérences qui nous mènent droit dans le mur.
Il est quand même curieux qu’une époque prétende tant aimer les enfants et s’acharne cependant à n’en plus avoir ou à tuer ceux qui pourraient naître !

Christophe Geffroy

© LA NEF n° 358 Mai 2023