Pascale Morinière - 2024 ©AFC

Entretien avec la présidente des AFC : défendre la famille

Créées en 1905 par le chanoine Tournier, les Associations familiales catholiques (AFC) sont depuis plus d’un siècle au service de la famille et des familles. Entretien avec Pascale Morinière, présidente des AFC depuis 2019.

La Nef – Que sont les AFC ? Comment s’insèrent-elles dans le paysage français ? Avez-vous des exemples d’actions concrètes ?

Pascale Morinière – Les AFC, ce sont des associations familiales, c’est-à-dire des familles qui s’unissent pour promouvoir la famille, la représenter et s’entraider. En 1945, le général de Gaulle a reconstruit les institutions de la France et organisé la représentation institutionnelle de la famille. Les associations familiales, dont les AFC, ont alors été fédérées au sein de l’UNAF, l’Union Nationale des Associations Familiales. Le gouvernement se trouve désormais obligé de consulter l’UNAF avant de légiférer en matière de politique familiale.
Avec 20 000 familles et 276 associations locales, les AFC sont le second mouvement de l’UNAF. Nous « pesons » à la mesure de notre nombre d’adhérents. Une famille qui adhère aux AFC n’a rien à « faire » en plus, mais elle aide à influencer les décisions et à avoir davantage de représentations. Nous sommes ainsi présents au CESE, à la Caisse Nationale des Allocations Familiales, au Conseil d’Orientation des Retraites, au Comité Consultatif National d’Éthique… Localement, les AFC sont présentes dans les UDAF, les CAF, les CCAS, etc. Nous nous efforçons de promouvoir la famille au sens de la doctrine sociale de l’Église : « Communauté de vie et d’amour fondée sur le mariage entre un homme et une femme, ouverte à la vie, cellule de base de la société. » Enfin, nous apportons de nombreux services à travers les Chantiers-Education, notre association de consommateurs, nos parcours d’éducation à l’amour « Grandir et Aimer », nos conférences… Actuellement, nous sommes engagés dans la campagne pour les législatives et diffusons 15 urgences pour la famille auprès des candidats.

Comment expliquez-vous le paradoxe touchant la famille : plébiscitée par les Français, elle est ignorée des décideurs politiques sauf quand il faut compenser leurs propres carences ?

Un sondage publié en 2023 pour Le Parisien montrait que 83 % des Français plaçaient la famille en tête de leurs valeurs. Mais lors du débat de l’entre-deux tours des dernières présidentielles, en deux heures et demie de débat, la famille n’a été citée que pour traiter des difficultés des familles monoparentales. La famille ne semble évoquée que lorsqu’elle dysfonctionne.
L’une des raisons est, peut-être, que la famille ne se nomme plus qu’au pluriel : « les familles ». Ce pluriel exprime le manque de vision partagée sur ce qu’elle est. Alors, plutôt que de risquer un impair, on éviterait d’en parler. De plus, la famille tend à être présentée comme une valeur de droite, voire d’extrême droite. Une journaliste de France Inter affirmait fin mai dans une interview, que la famille « cellule de base de la société » était une vision pétainiste !
Enfin, une autre explication est que la famille est considérée comme un choix privé qui serait sans lien avec la vie de la société.

Nous assistons à une rupture anthropologique sans précédent, au point que les notions mêmes d’hommes et de femmes deviennent relatives : quelles sont les conséquences de cette rupture pour la famille, pour le sens et la dignité de toute vie ?

J’irais même jusqu’à parler d’hérésie anthropologique avec un obscurcissement de la vérité sur l’homme et la femme, le sens de la sexuation, leur vocation à la communion. Nous peinons à nous situer entre le modèle animal – l’homme ne serait qu’un animal comme les autres – et le modèle technique – il ne serait qu’une machine réparable à l’envi. Plus que les conséquences, il nous faut regarder la cause qui est la perte du sens de l’homme à l’image de Dieu : nous sommes ainsi perdus dans un monde dépourvu de sens autre que celui du plaisir et de la consommation. Dans ce contexte, les familles peinent à se former et à durer dans la fidélité, à accueillir la vie et à l’accompagner dans sa fragilité et sa vulnérabilité. Il y a une urgence à transmettre une anthropologie de l’altérité et de la dignité, une écologie de l’homme au sein de la Création et à témoigner que nous sommes issus d’un dessein bienveillant et signifiant.

Comment analysez-vous les politiques actuelles et les annonces faites par le gouvernement en matière de politique familiale ? Pour votre part, quelles seraient vos recommandations les plus urgentes ?

L’exécutif peine à prendre conscience du lien entre la natalité et la politique familiale. Le « congé de naissance » de trois mois pour chaque parent ne répond pas aux besoins des parents qui ne souhaitent pas ou qui ont des difficultés à faire garder leur enfant. Le maintien de la possibilité d’un congé long, jusqu’à l’entrée en maternelle, est indispensable. Le congé de naissance ne permettra pas le « réarmement démographique » souhaité, pas plus que ne le fera l’augmentation de la possibilité de recourir à la PMA ou la proposition d’un bilan de fécondité à 20 ans. Soyons réalistes : le pic de fécondité se situe entre 18 et 30 ans pour les femmes ; il faut aider les jeunes qui le souhaitent à avoir des enfants plus tôt avec des mesures financières, des propositions de logement et de garde d’enfants adéquates.

La démographie française connaît un inquiétant déclin : peut-on la redresser sans encourager la famille ? À cet égard, toutes les visions de la famille se valent-elles ? Le politique peut-il encourager la stabilité des couples, et, si oui, est-ce à lui de le faire ?

Les Français souhaitent chacun 2,27 enfants alors qu’ils n’en ont accueillis que 1,68 en 2023. Autrement dit, les jeunes foyers n’ont pas les moyens d’accueillir les enfants qu’ils souhaitent. L’écart croissant entre ces deux chiffres témoigne de l’insuffisance des politiques pour la famille. Les premières raisons pour lesquelles les Français ne réalisent pas leur désir d’enfant sont l’insuffisance de leurs ressources financières et les difficultés pour concilier vie familiale et vie professionnelle, selon un sondage que nous avons réalisé avec l’IFOP en juillet 2023. La troisième raison de ne pas avoir d’enfant est la solitude : 1 Français sur 6 vit seul.
D’après l’INSEE, en 2020, 66 % des enfants mineurs vivaient avec leurs parents de naissance, 9 % dans une famille recomposée et 25 % dans une famille avec un seul parent, leur mère le plus souvent. L’incapacité à s’engager, les ruptures conjugales et, donc, la solitude sont un frein important pour la constitution des familles. Par ailleurs, le Haut Conseil à la Famille, l’Enfance et l’Age (HCFEA), en 2021, dénombrait 26 000 mineurs, vivant dans un foyer dit « homoparental ». Soit un peu moins de 0,2 % des 14,1 millions de mineurs vivant en famille, c’est-à-dire une infime minorité. On ne peut pas dire qu’il y a « différentes façons de faire famille », mais un modèle de famille unie et des échecs à ce modèle. Lorsqu’un quart des enfants vit avec un seul parent, il serait temps de développer des politiques de soutien à la stabilité conjugale et non des « parcours de séparation », comme les dénomme le HCFEA. Il serait nécessaire de différencier et favoriser nettement le mariage par rapport au PACS et à l’union libre, de préparer à la conjugalité, de faciliter le conseil conjugal ou de développer des incitations fiscales.

Face à une Éducation nationale qui investit et idéologise énormément les questions d’« éducation sexuelle », quels sont pour vous les enjeux prioritaires et les actions les plus urgentes ?

En ce domaine, il faut s’opposer autant que possible et dénoncer les dérives à propos du genre et de l’idéologie transsexuelle qui en dérive et amène à des mutilations et à une stérilité pour les jeunes qui y recourent. Il faut également s’opposer à la dissociation de la sexualité et de la procréation comme à la dissociation de la procréation et de la relation d’amour. Nous l’avons dit lorsque nous avons été auditionnés par le Conseil Supérieur des Programmes pour le futur programme d’éducation à la sexualité. S’opposer est indispensable. Mais c’est aussi insuffisant.
Les jeunes générations ont fortement besoin d’entendre une bonne nouvelle sur la vie, sur l’amour, sur le sens du corps sexué, sur la dignité de la personne. Si les chrétiens ne s’y engagent pas, ce seront d’autres discours qui seront portés. Nous qui avons reçu le trésor de l’anthropologie chrétienne, nous nous devons de le transmettre à notre tour. Apprendre que le corps est pour la relation et le don de soi avant d’être pour la consommation réciproque est essentiel pour construire sa future vie de couple et de foyer ! On attend des hommes et des femmes de bonne volonté pour porter cette éducation à l’amour.

Propos recueillis par Christophe et Élisabeth Geffroy

© LA NEF n°371 Juillet-Août 2024