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Israël ne sait pas où il va

Cela fait huit mois que l’offensive à Gaza a débuté. Pourtant Israël n’a pas atteint ses buts stratégiques : la masse des otages n’a pas encore été libérée, l’organisation militaire du Hamas n’est pas détruite.

Pire encore, depuis le début de la guerre, l’économie israélienne tourne au ralenti puisqu’une bonne partie de la population active est mobilisée sous les drapeaux. Israël perd aussi la bataille des images. La guerre médiatique est l’inverse de la guerre classique : il vaut mieux y recevoir qu’y donner la mort. Ces dernières années, le phénomène Daech avait été une aubaine pour Israël, nous faisant oublier la sempiternelle question palestinienne. Mais les événements de Gaza ont scandalisé l’opinion internationale et suscité une immense vague de réprobation qui isole Israël (exception faite de l’allié américain). Tout civil palestinien tué est une victoire pour le Hamas. Les dizaines de milliers de morts gazaouis, le dynamitage du campus al-Israa (dernière université qui était encore debout à Gaza), le bombardement du camp de réfugiés de Rafah au mois de mai… tout cela est du pain béni pour l’organisation terroriste Hamas.

Conséquences néfastes pour Israël

Par sa brutalité, le gouvernement israélien rend impossible le règlement de l’épineuse question palestinienne. Pourtant, face à la bombe démographique palestinienne, Israël serait le premier bénéficiaire d’un tel règlement. La politique de Netanyahu est une immense machine à fabriquer des ennemis pour Israël. Elle ne fait que nourrir la haine, la frustration et la soif de revanche chez les jeunes Palestiniens. En alimentant la spirale infernale de la violence, le Premier ministre israélien semble confirmer la prédiction que faisait le général de Gaulle en 1967 : « Israël organise l’occupation, occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsion. Et se manifeste contre lui la résistance qu’à son tour il qualifie de terrorisme. »

Israël affaiblit également son alliance avec les pays sunnites de la région (même si les Émirats arabes unis et la Jordanie ont aidé Israël face à l’attaque iranienne du 13 avril). En effet, le gouvernement Netanyahu se targue de ses très bonnes relations avec les pétromonarchies sunnites du Golfe. Dans la grande guerre froide entre chiites et sunnites qui déchire le Moyen-Orient, les royaumes sunnites ont choisi de s’allier à Israël contre l’ennemi commun iranien, fer de lance des chiites. Saoudiens et Émiratis, qui considèrent les Frères musulmans comme une organisation terroriste, seraient ravis de voir le Hamas détruit par Tsahal. Mais, si les dirigeants sunnites ne reculent pas devant les froids calculs de la realpolitik et se rapprochent d’Israël, il n’en va pas de même pour leurs populations, qui sont très hostiles à l’État hébreu. Et les images de Gaza rendent explosive cette hostilité des opinions publiques. Les dirigeants du Golfe sont donc tiraillés, devant tenir compte de la rue arabe et jouant un numéro d’équilibriste. Tous savent que les événements de Gaza sont instrumentalisés par la propagande islamiste. Et aucun ne tient à connaître le sort d’Anouar el-Sadate.

Des grands guerres aux opérations de police sans gloire

Comment expliquer que le gouvernement israélien ait commis une telle erreur à Gaza ? Paradoxalement, c’est la disparition des grandes guerres israélo-arabes qui rend plus difficile la pacification du Moyen-Orient. En effet, lorsqu’il vivait sous la menace d’une invasion arabe, l’État hébreu savait qu’il était obligé de lâcher du lest et de faire des concessions. Mais, depuis que les opérations de police sans gloire ont remplacé les grandes batailles de chars, la politique d’apaisement est passée de mode. Dans les guerres israélo-arabes de 1948, 1967 ou 1973, des chefs militaires sauvaient Israël et devenaient des héros nationaux. Puis, ces chefs militaires, forts de leur popularité, se lançaient en politique. Arrivés aux plus hautes responsabilités, ils menaient par réalisme une politique de détente vis-à-vis des Palestiniens et des pays arabes voisins. Ces héros étaient au-dessus de tout soupçon et l’opinion israélienne comprenait que leur politique de détente servait les intérêts nationaux. Mais, aujourd’hui, toute politique de détente est présentée comme une trahison par les membres du Likoud. Comme les partisans de la paix ne sont plus des héros de guerre, ils n’ont plus la légitimité nécessaire pour faire accepter leurs vues.

Surtout, la guerre apparaît comme le seul moyen pour Netanyahu de se maintenir au pouvoir. C’est grâce à la guerre à Gaza que cet habile politique est toujours au pouvoir aujourd’hui, lui dont tout le monde, au lendemain du fiasco sécuritaire du 7 octobre, prédisait la chute imminente. Le principal risque est que Netanyahu considère désormais qu’une nouvelle guerre au Liban soit sa planche de salut politique.

Jean-Loup Bonnamy

© LA NEF n° 371 Juillet-Août 2024