La Havane, à Cuba

Cuba : l’exil pour seul horizon

Plus d’un demi-million de Cubains ont fui leur pays en trois ans, pour échapper aux pénuries et à la répression d’un régime toujours plus dur.

Des visages fatigués dans les longues queues, dès le petit matin, devant des vitrines pratiquement vides, pour espérer acheter un peu de poulet, de l’huile ou du savon ; des immeubles délabrés où les familles s’entassent dans des pièces presque toujours protégées de la lumière pour conserver un semblant de fraîcheur, faute de climatisation ; des coupures d’électricité qui durent parfois jusqu’à vingt-quatre heures ; des disputes devant des stations d’essence qui distribuent le carburant au compte-goutte ; des vieillards faméliques dans les boutiques d’approvisionnement par « libreta » (carnet de rationnement)… Le centre de La Havane est loin de la carte postale qu’imaginent la plupart des touristes en débarquant à l’aéroport José Marti. Une réalité que près de 600 000 Cubains ont fui ces trois dernières années, depuis les grandes manifestations des 11 et 12 juillet 2021, sévèrement réprimées par le gouvernement de Miguel Diaz-Canel. Ceux qui restent portent presque tous dans le regard une lueur de désespoir, « y compris les plus jeunes », témoigne le Père Luigi Usubelli : « C’est extrêmement triste de constater que toute une jeunesse est totalement désillusionnée, sans autre perspective que celle de pouvoir, un jour, quitter cette île qui est devenue pour eux comme une prison. » Ce prêtre italien a passé sept ans de sa vie à Baracoa, à l’est de Cuba, où il a créé de petites communautés catholiques en cherchant sans arrêt à aider une population qui survit dans des conditions matérielles misérables. Aujourd’hui, il continue d’entretenir ses relations sur l’île, mais uniquement par Skype ou WhatsApp, car il est devenu persona non grata pour les autorités cubaines.

« Ceux qui dénoncent la corruption sont punis »

Son histoire dit d’ailleurs beaucoup de la façon dont fonctionne ce pays contrôlé par une caste autour de la famille Castro. « Après le passage d’un ouragan qui avait fait beaucoup de dégâts, j’avais organisé l’envoi de conteneurs de marchandises depuis le port de La Spezia, en Italie, à destination de la paroisse de Baracoa », se souvient le Père Usubelli. Le gouvernement cubain accepte alors l’aide, mais à condition que la distribution soit faite par les autorités, c’est-à-dire le parti communiste. « Je leur ai donc donné une liste de cent familles, des paysans particulièrement démunis, pour que ces marchandises leur soient distribuées en priorité. Mais quand je suis ensuite allé voir ces gens, j’ai perçu une gêne, et j’ai demandé à voir les colis qu’ils avaient reçus. J’étais consterné : toutes les marchandises, vêtements, outils et ustensiles neufs avaient été remplacés par de vieux objets, souvent inutilisables. Je suis allé crier ma colère et dénoncer cette corruption aux autorités. » Pour faire bonne figure, quelques responsables provinciaux du parti ont été remplacés, mais la véritable sanction est tombée quelques mois plus tard : le Père Usubelli a été expulsé ! « Cela se passe toujours ainsi à Cuba : ceux qui dénoncent la corruption organisée par le régime sont immédiatement punis. »

Une insécurité grandissante

Depuis, la situation n’a fait qu’empirer. Au centre de La Havane, de plus en plus de jeunes traînent désormais comme des zombies devant le Capitole ou sur le Paseo del Prado, défoncés au « quimico », une puissante drogue de synthèse dont le cachet se vend pour une centaine de pesos (30 centimes d’euros). Et la violence commence à devenir préoccupante dans un pays qui était réputé pour sa sécurité, en tout cas pour les touristes. D’ailleurs, les étrangers se font rares. Dans les hôtels de luxe de la capitale, où deux mojitos coûtent le quart du salaire mensuel d’un médecin, la plupart des clients sont désormais… les Cubains exilés à Miami. Cette diaspora longtemps honnie est aujourd’hui courtisée par le régime castriste, qui y voit une bouée de sauvetage pour une économie à l’agonie (les « remesas », c’est-à-dire l’argent envoyé par les Cubains qui vivent à l’étranger, représente la première source de revenus à Cuba). Évidemment, chacun sait ici depuis longtemps que les États-Unis ne sont plus la cause des malheurs du peuple cubain. Seuls quelques dirigeants font semblant d’y croire pour conserver leurs privilèges et leur parcelle de pouvoir, poussant le cynisme chaque fois un peu plus loin, en échange de quelques barils de pétrole. Jusqu’à devenir aujourd’hui les meilleurs amis de Vladimir Poutine ou des Mollahs iraniens.

Francis Mateo*

*Journaliste et grand reporter, a publié Cuba… la patrie et la vie !, VA Éditions, 2023, 208 pages, 20 €.

© LA NEF n° 372 Septembre 2024