Ville de Pau, théâtre de l'affaire récente qui a abouti à la suspension d'un directeur d'école catholique.

Affaire de Pau : Requiem pour l’enseignement libre ?

La sanction inouïe (1) prise par le rectorat de Bordeaux à l’encontre du directeur d’une école catholique de Pau pose un dangereux jalon et entraîne la jubilation des ennemis de l’école libre. Cette situation inédite qui dépasse largement le cadre local pose un problème qui doit concerner et faire réagir tous les croyants attachés à la liberté d’éducation et à l’enseignement catholique, ainsi que les têtes de l’Eglise de France.

Peu sont ceux qui pouvaient imaginer, il y a seulement un an de cela, le déchaînement médiatique et administratif dont font aujourd’hui objet l’enseignement libre et les écoles catholiques, partiellement révélé par le cas du directeur de l’Immaculée Conception de Pau. Et pourtant, le dossier produit dans La Nef en octobre 2023 aurait dû alerter l’opinion des catholiques : de fragile, le cadre de l’enseignement libre était en passe d’être fragilisé et menacé. 
François-Xavier Clément commentait dans ces colonnes que la protection « spongieuse » du « caractère propre », qualifiant dans la loi Debré de 1959 la particularité des écoles libres sous contrat d’association avec l’État, avait été progressivement grignotée par de nombreuses étapes législatives et règlementaires. Le récent épisode palois jette la lumière sur une autre facette du problème : l’influence des mouvements syndicaux. 

L’influence des mouvements syndicaux

C’est finalement pris entre le marteau du militantisme d’extrême-gauche et l’enclume (consentante) du rectorat que le directeur de Pau s’est trouvé mis au pilori et condamné à la stupéfaction générale, pour avoir assumé sa mission de chef d’un établissement catholique. Au regard des griefs avancés, le glissement se révèle dans toute sa brutalité : on qualifie aujourd’hui comme des atteintes à la laïcité et à la liberté de conscience des particularités de l’enseignement libre qui n’auraient pas fait lever le moindre sourcil il y a seulement quelques années. N’est-il pas fondamentalement normal qu’un enseignement religieux soit dispensé dans un tel établissement ? Que la vie de l’école soit rythmée par le calendrier chrétien ? Que des prêtres, voire un évêque, puissent y adresser la parole aux élèves ? Ce que la sanction administrative prise à l’encontre du directeur de l’Immaculée Conception révèle, c’est la vision restrictive et antireligieuse du cadre de l’enseignement libre que tentent d’imposer certains idéologues influents, jouant à merveille des vieilles logiques syndicales et de leurs techniques d’agit-prop, relayées avec une violence rare par la presse de gauche. 
Quel est l’agenda que l’on tente d’imposer aujourd’hui à l’enseignement catholique ? Furieux du succès insolent de certains établissements (l’Immaculée de Pau était classée 10ème lycée de France en 2024 ; Saint-Jean-de-Passy, Stanislas : les autres cibles récentes ne sont pas moins brillantes) et plutôt que de tirer les leçons des réussites du privé, une frange tente par tous les moyens de lui arracher ce qui lui reste de propre : son caractère chrétien. Les lycées catholiques tiennent le haut du pavé ? Qu’à cela ne tienne, ils deviendront comme les autres, tant il paraît insupportable que l’excellence soit du côté de la religion. 

Quelles leçons tirer ?

Quelles leçons les catholiques de France et leurs évêques doivent-ils tirer de cet épisode ? Il ne s’agit pas seulement d’un événement local ou d’un règlement de comptes à la béarnaise. L’ampleur prise par l’affaire, menée depuis le début par des organes nationaux, manifeste la profondeur des enjeux. Plutôt que de tenter une attaque frontale, façon 1984, les adversaires de la liberté d’enseignement ont choisi la vieille technique « du salami » : un grignotage progressif et accéléré de toutes les couches de l’école catholique. Avis aux récalcitrants : ceux qui tenteraient de s’opposer à cet inexorable progrès s’exposent à être lynchés en place publique, voire mis à la retraite prématurément. Intimidation, jurisprudence… les résultats sont immédiats. En seulement quelques mois, depuis « l’affaire Stanislas », de nombreux établissements catholiques ont discrètement revu à la baisse la voilure de leur proposition pastorale : plus d’enseignement religieux, de prière, de temps forts, sinon pour quelques volontaires ; sur les sites internet, l’aspect catholique du projet éducatif est prudemment tenu sous silence ; dans les locaux de certains syndicats, on jubile et se congratule. 

Un combat à mener

Peut-on se résoudre à cet inéluctable grignotage ? La question mérite d’être posée autrement, et devrait tourmenter jusqu’aux têtes de l’Église de France : l’enseignement catholique mérite-t-il d’exister s’il ne peut plus être catholique ? Faudrait-il alors se replier massivement sur le hors-contrat, dernier bastion de liberté et de catholicité de l’école ? Non, résolument non. D’abord pragmatiquement, parce que le calme s’y serait que provisoire, et que la guerre scolaire finirait bientôt par s’attaquer au hors-contrat. Ensuite parce que l’Église exerce, à travers l’enseignement catholique, une grande part de sa mission d’annonce de la foi à des nouvelles générations si éloignées du spirituel (20% environ des élèves scolarisés en France le sont dans un établissement catholique). Abandonner le caractère propre, ou même réserver la proposition pastorale aux seuls volontaires, c’est abandonner – trahir, même à leur insu – les nombreux enfants et familles qui pourraient bénéficier dans ce cadre des richesses infinies de la foi. C’est parce que nous ne pouvons et ne devons pas nous y résoudre qu’il est grand temps que les catholiques de France prennent conscience de l’enjeu et se lèvent, fassent entendre leur voix, pour que cette minorité anticléricale radicalisée n’impose pas enfin ce qu’elle cherche à imposer depuis plusieurs décennies déjà : le requiem de l’enseignement libre. 

Paul Millet

(1) Christian Espeso, directeur de l’Immaculée conception, ensemble scolaire privé sous contrat de Pau, vient d’être suspendu par le rectorat de Bordeaux pour une durée de 3 ans. Lui sont notamment reprochées des atteintes à la laïcité, notamment des cours de catéchisme obligatoires, et des atteintes à la liberté pédagogique, avec la censure de certains ouvrages.

© LA NEF, exclusivité internet, mis en ligne le 17 septembre 2024 (à paraître également dans le numéro 373 Octobre 2024).