JO de Paris 2024 © Anne Jea-Wikimedia

Quand art et olympisme instrumentalisent histoire et religion

Tout commença par une affiche, un dessin des sites parisiens des jeux olympiques avec l’Église des Invalides décapitée de sa croix. Tollé et justification du comité olympique : « nous sommes non confessionnels[1], pas de symboles religieux pour être le plus iréniste possible ». Admettons. Or dès le début de la cérémonie d’ouverture des J.O. on assiste à un Djamel Debbouze en extase devant Zidane et s’écriant « Zizou-Christ ! ». La blague n’a rien de méchant mais elle signifie que les organisateurs ne s’appliquent pas à eux-mêmes les règles qu’ils édictent pour les autres. C’est pourquoi ces très laïcs décideurs ont accepté l’installation, en face du Stade de France, d’un centre de l’Église de Scientologie, la secte accueillant le public durant tous les jeux, offrant des boissons contre des coordonnées afin de recruter. N’est-ce pas Tom Cruise, scientologue de haut niveau et star hollywoodienne, qui clôtura les Jeux en descendant en rappel le Stade de France ?

Tout n’est pas à critiquer dans le programme très fourni de la cérémonie d’ouverture : les délégations sportives étaient visiblement heureuses de défiler sur la Seine ; Lady Gaga composa une Zizi crédible (même si Jeanmaire reste inimitable) ; bonne idée cet hommage aux ouvriers de Notre-Dame, ou ce voleur de feu bondissant sur les toits, même s’il tient plus d’Assassin’s Creed[2] que d’Arsène Lupin. Il y eut aussi ces acrobates perchés sur des tiges, oscillant avec grâce, rappelant la poésie du spectacle de Découflé lors des J.O. de 1992 et la jeune soprano, drapée en tricolore, chantant la Marseillaise du haut du Grand Palais. In fine, la vasque enflammée s’éleva dans les airs, telle une utopie de Ledoux ou l’œil montgolfière d’Odilon Redon : une prouesse technique où lampes Led et brumisateurs produisaient l’illusion du feu. En apothéose, Céline Dion, poignante et puissante, reprit l’hymne à l’amour de Piaf. Le tout dans une liesse et un dynamisme qui forcent l’admiration puisque sous une pluie battante. Mais, les organisateurs l’avaient annoncé, en lutte contre le « roman national », casser les codes était un but de leur guerre culturelle. Et, comme l’art dit contemporain nous y a habitués, provoc et transgressions allaient s’infiltrer habilement.

Mémoire courte

Un fil rouge traverse la cérémonie : l’aspect crépusculaire, avec la traversée des égouts et des catacombes en préambule, ou à la fin, le cheval d’argent montée par une cavalière porteuse du drapeau olympique, séquence esthétique un peu longuette mais à la teneur apocalyptique indéniable. Cette atmosphère eschatologique, qui sera au centre de l’ennuyeuse cérémonie de clôture[3], vient des jeux vidéo ou des concerts de la musique métal. Certains s’en inquiètent, d’autres considèrent qu’il s’agit d’un code générationnel. De fait, l’absence de visage du voleur de feu, voire de la cavalière au cheval mécanique, est un poncif de la « diversité » : pour que tous puissent se reconnaître, l’anonymat règne ; on ne « casse des codes » que pour mieux en imposer d’autres. Le drapeau olympique hissé devant les officiels, fort protocolairement mais à l’envers, va s’avérer un symbole involontaire mais signifiant.

L’éloge du « trouple », du « plan à trois » comme le revendiqua une ex-ministre, a lieu en costumes dont le style ressemble à du mauvais Castelbajac, on pense à Oscar Wilde à propos d’un livre licencieux : « il est pire qu’immoral, il est mal écrit » ! Aya Nakamura fut choisie car représentative des jeunes qui l’adorent, mais elle chante surtout sa propre chanson ; à cette autopromotion ni Lady Gaga, ni Céline Dion, ni Juliette Armanet ne se sont abaissées. Que les paroles soient vulgaires n’est pas un problème, puisque les jeunes qui les comprennent ne s’en offusquent pas et que ceux qui pourraient s’en offusquer les saisissent difficilement : donc même devant l’Académie française, sur un malentendu, la prestation peut passer. Mais la palpation insistante de son bas-ventre a gêné jusqu’au cameraman qui remonta l’objectif, décadrant la main baladeuse. Son pas de danse avec la Garde républicaine, de bon enfant, prend alors un tout autre sens : l’uniforme cautionne ces attouchements que, depuis #MeToo, les femmes reprochent aux hommes mais sont exhibés fièrement ici. Est-ce la nouvelle fierté promue, mimer Michael Jackson ?

À la conciergerie, dans la décapitée qui chante « Ça ira », difficile de reconnaître une reine, qui plus est Marie-Antoinette : que la Révolution fasse partie de notre ADN est une chose mais de là à célébrer la Terreur… et un 26 juillet, alors qu’il y a 8 ans, le 26 juillet 2016, le Père Hamel était quasi décapité par des terroristes ! Le bon goût fit partie de notre identité mais M. Boucheron, historien co-auteur de la cérémonie, la récuse, avec toute l’histoire de France d’avant 1793. C’est énorme et, encore plus incroyable, passé quasi inaperçu : des siècles d’histoire mis à la poubelle et jusqu’aux droits de l’homme, avec l’abolition de l’esclavage également, qui n’ont pas eu droit de cité. « Seul le présent est susceptible d’éclairer le passé » est le mot d’ordre univoque de « l’histoire en mouvement ». Moralité, ayez la mémoire courte… et sélective : la célébration de la sororité ne s’ajoute pas à mais remplace la fraternité (exit les mâles blancs), le public a vu alors surgir des inconnues mais pas la figure reconnaissable et aimée de Joséphine Baker. Elle n’a pas été retenue par cette cérémonie déclarée « populaire » ; Baker aimait la France et le chantait : serait-ce un défaut impardonnable ?

Autres invisibilisés de cette cérémonie inclusive pour mieux exclure, les musiciens classiques ayant investi temps, énergie, en répétitions, enregistrements, consignes sécuritaires, maquillages, et travaillé toute une scénographie… La pluie menaçant leurs précieux instruments, l’Orchestre de Paris prêta en urgence à l’orchestre national de France des instruments bas de gamme lors d’un périple rocambolesque… tout cela pour ne pas apparaître à l’image ! Au moment du direct, plus de caméra, quasiment plus de trace visuelle ! Les musiciens sont amers : « Cela montre la place de la musique classique dans notre société ».[4]

Le festin des jeux

Arrivons au plus fâcheux : que viendrait faire, dans un spectacle sur Paris et les J.O, une parodie de la religieuse Cène eucharistique ? Manière de dire que la grand-messe des J.O. est le nouveau culte d’aujourd’hui ? Ce ne serait pas faux, vu la dévotion entourant la flamme mais à l’origine, il y aurait un tableau ancien du musée Manguin, œuvre de Bijlert, « Le festin des Dieux » assure le metteur en scène qui nia s’être inspiré de la Cène de Léonard de Vinci. Or le peintre du XVIIème dépeint une orgie des Olympiens mais avec la Cène eucharistique en tête, donc les deux dispositifs fusionnent visuellement. Un homme de scène tel que Thomas Jolly aurait dû prévoir que cette ambiguïté visuelle portait à polémique (à moins qu’il n’en jouât secrètement), surtout avec une Drag queen barbue qui a des allures du « mademoiselle Jésus » de Jean Luc Verna. Un spectacle qui se veut inclusif suppose l’attention aux codes culturels d’autrui, un minimum d’empathie. La Cène a été mille fois caricaturée mais là, en représentation officielle, financée par les contribuables donc les moqués potentiels, la coupe était pleine et déborda avec un Ph. Katerine, nu, en Schtroumpf-Dionysos : quel rapport avec le sport ? Allusion à la nudité olympique grecque : cette nudité antique excluait les femmes des stades, pas de quoi en être fier ou nostalgique. Pourquoi Dionysos ? Ce serait le père de Sequana, le fleuve Seine, nous dit le metteur en scène. Qu’un dieu grec enfantât une déesse d’origine celtique… ne doit être connu que de quelques bobos parisiens. Serait-ce un métissage archéologique rétrospectif, inventé par « l’Histoire en mouvement » ? Katerine en bleu, pourquoi ? Le bleu d’Auvergne paraît-il, Philippe Katerine semblant offrir son corps en nourriture aux convives d’une bacchanale : parodie eucharistique ? Certainement une œuvre de la pensée tu-yau-de-poil, quand le calembour visuel ou sonore tient lieu de raisonnement : l’idée de la Cène sort probablement de la Seine, tout bêtement[5]. Certains ont noté la présence d’un(e) enfant au milieu de l’orgie, mais les grands médias n’ont pas relevé, aucun intérêt.

Ce qu’un auteur dans un livre, un film, ou un humoriste dans son spectacle, peut s’autoriser, y compris rapprochements douteux et blasphèmes, l’État, dans ce type de cérémonie doit se l’interdire ou alors, il n’est plus laïc car qui dit laïcité dit neutralité : si l’État décidait de rire d’une minorité religieuse (les catholiques le sont aujourd’hui) il devrait, pour ne pas discriminer, chambrer « en même temps », et l’Islam, et le Judaïsme, et le Bouddhisme etc. Sinon le message passé aux catholiques est : aucun respect tant que vous serez non-violents ! Désinvolture pousse au crime. La Drag queen barbue s’est justifiée en disant « on a juste voulu s’amuser ! ». L’État paye donc des gens pour s’amuser au moment où il affronte une dette abyssale ?

Rôle capital de l’État

Un concepteur de spectacle ou un metteur en scène sont parfaitement libres d’avoir un projet politique, subversif etc., de le monter à tel endroit, avec tels mécènes et d’essayer de trouver du public qui finance et décide ou non de venir : c’est la liberté d’expression. Mais ici, on a un public mondial captif et un mécène obligé, les contribuables français (il ne semble pas que Tony Estanguet l’ait remercié dans son discours) : un défilé de J.O n’est donc pas un spectacle comme un autre. C’est en outre une opération de « soft power » où un pays met en scène son image à l’international ; il est évident que le spectacle devrait, en démocratie, refléter une volonté populaire un minimum consensuelle et non permettre à des happy few d’imposer leurs lubies, détournant le sport, le travail et les talents d’autrui. Car il en est des transgressions comme du vinaigre dans le lait : quelques gouttes suffisent à tout gâter. Or les déplorations s’en prirent aux exécutants et non au donneur d’ordres et seul responsable, l’État. D’où leur inefficacité à convaincre. Car c’est le ministère de la Culture qu’il faut mettre sur la sellette, avec la manière dont sont faits les choix culturels en France depuis des décennies où règne l’entre-soi [6]: qui (des noms !) a décidé du metteur en scène et du contenu du spectacle, sur quels critères ? Normalement la République organise un concours avec mise en concurrence de projets et tout devrait finir par être rendu public y compris les salaires et le coût final. Or ici, nulle transparence et comme accoutumé dans l’Art dit contemporain, le copinage est maître du jeu.

De dérapages en projet

Les artistes d’Art dit contemporain sont là pour rééduquer la population aux normes du jour : ils la provoquent pour son bien, pour la faire réfléchir. C’est pourquoi (entre autres) un tweet de France TV, diffuseur officiel de la cérémonie, (donc avec des éléments de langage travaillés en amont) revendique une « Mise en Cène LE-GEN-DAIRE » ; la militante et DJ auréolée telle une Madonne, publie sur Instagram, une photo du spectacle au-dessus de La Cène de Vinci avec ce commentaire : « Oh Oui, Oh Oui, le nouveau testament gay » sic. Mais devant le hourvari mondial : rétropédalage[7], comme les artistes d’Art très contemporain le font régulièrement ; tous jurent alors, la main sur le cœur, n’avoir pas cherché à choquer. Ou, comme Philippe Katerine, en appellent mielleusement au pardon chrétien. Ce déni de réalité est aussi typique de la classe dirigeante : vous avez eu un sentiment d’insécurité, vous aurez un sentiment de parodie ! Toutes ces stratégies de légitimation et de manipulations[8] reposent sur la conviction qu’aujourd’hui, être cultivé c’est apprécier la transgression : donc si vous êtes choqués, c’est que vous n’avez pas compris ! Les excuses de la communicante des J.O. n’en furent pas : si vous êtes scandalisé, au fond, c’est de votre faute. La classe politique se sert régulièrement des sujets sociétaux pour faire diversion, que ceux-ci fracturent la société importe peu : c’est le fameux diviser pour régner qui permet de désigner les bons qui suivent et les mauvais qui renâclent. Une manière aussi de mesurer la souplesse des échines.

Ce qui acheva de semer la confusion fut la gaîté générale, celle de l’homo festivus du regretté Ph. Muray. C’est connu : si c’est gai, ce n’est pas grave ! Erreur : « Ça ira » est une chanson très entraînante or elle incite à pendre aux réverbères, ce que l’on fit. Contrairement à une lourde et ennuyeuse cérémonie soviétique, l’étrange pâté d’alouette que fut celle-ci est difficilement critiquable : alternant le meilleur avec des tranches de fallacieux, pétries d’idéologie sournoise… Ainsi, impressionné par la débauche de moyens qui en met plein la vue, le bon public ne réalise pas qu’on fait chanter à la Grande Céline une chanson de Piaf qui clame à la fois « Dieu réunit ceux qui s’aiment » et « Je renierais ma patrie/ Je renierais mes amis/ Si tu me le demandais. (Apparemment le régime diversitaire le demande) et encore « On peut bien rire de moi / Je ferais n’importe quoi …» . Ce qui fut !

Ces malencontreux dérapages, aux yeux des naïfs, sont un projet pour les plus avisés : pour dissoudre les identités nationales, rien de mieux que l’hilarité, la blague, l’humour corrosif qui sidère, chagrine ou culpabilise ; l’Empire européen est-il à ce prix ? Le désaveu planétaire ne gêna guère cette utopie idéologique nombriliste, il la renforça : si on nous critique, si ça fait réagir, c’est que l’on a raison ! Le comique est que cette « histoire en mouvement » revient à une ancienne conception de Paris. Car le Paris de la cérémonie des J.O 2024 est essentiellement, c’est appuyé, sexuel : Paris est une ville coquine, c’est vrai mais pas que. Les seuls auparavant à avoir réduit la Capitale au « Gai Paris » furent les nazis, sous l’Occupation : Paris ne devait être qu’une cité de plaisirs où cabarets, cinémas, lupanars etc. servaient au repos des guerriers, aujourd’hui remplacés par les bobos… Certains historiens veulent faire l’histoire mais ne savent pas l’histoire qu’ils font !

Christine Sourgins


[1]« Imagine » de John Lennon (1971) est un titre phare des cérémonies d’ouverture, chanté à Paris par J. Armanet : « Imagine qu’il n’y a aucun Paradis, (…) Aucun enfer en-dessous de nous,
Au dessus de nous, seulement le ciel, (…) Imagine qu’il n’y a aucun pays, (…) Aucune cause pour laquelle tuer ou mourir, Aucune religion non plus… ». La Charte Olympique demande explicitement que ne soit pas exprimée d’opinion politique, idéologique ou religieuse.

[2] Assassin’s Creed (le Credo des assassins) une célèbre série de jeux vidéo développé par l’entreprise française Ubisoft.

[3] Un Voyageur doré, insecte humanoïde, tombe du ciel sur une terre désolée, croise l’Assassin’s Creed et la cavalière de la précédente cérémonie. D’autres humanoïdes sans visage se prosternent devant lui (tiens, un geste religieux !) tirent les anneaux olympiques des cendres et les reconstruisent. Un hommage quasi cultuel est rendu à une Victoire de Samothrace… toujours sans visage, évidemment. L’Hymne d’Apollon mis en musique par Gabriel Fauré est cependant magnifiquement chanté par un ténor.

[4] M-A Roux, « Aux JO, pianos, violons, altos… sous la pluie et sous escorte policière ». Le Monde, 1er Août 2024, p.15.

[5] L’association Dionysos/ Seine pourrait bien venir du vocable savant Séquanodionysiens inventé pour désigner la population de la Seine-Saint-Denis (où se déroula une partie des Jeux), laissant choir le « saint » au passage. Une idée typique de bobo parisien quand les habitants, eux, parlent de Neuf-Troisiens…

[6] Ou le caprice présidentiel comme l’affaire du remplacement des vitraux rescapés de l’incendie de Notre-Dame par des créations contemporaines le souligne (et ce après l’avis défavorable à l’unanimité de la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture).

[7] France TV retire son tweet, le replay n’est plus disponible, le comité d’organisation des Jeux se déclare « désolé » etc.

[8] Analysées dans Ch. Sourgins, « Les mirages de l’Art contemporain », Eyrolles, poche, 2023.


© LA NEF exclusivité internet, mis en ligne le 27 septembre 2024