Le bâtiment de la Cour de cassation © DXR Wikimedia

Jacques Fesch : une réhabilitation rejetée

Tout condamné, eût-il commis le plus grave des forfaits passibles, en un certain temps, de l’échafaud, a droit au rétablissement de son honneur après sa mort s’il justifie de gages d’amendement suffisants. Tel n’est pas le cas de Jacques Fesch selon la Cour de cassation qui a rejeté, dans sa décision du 15 octobre 2024, la requête en réhabilitation judiciaire initiée par son fils.
Jacques Fesch avait été condamné à mort par la Cour d’assises de la Seine le 6 avril 1957 pour avoir, le 25 février 1954, tué par arme à feu un agent de police qui lui avait fait sommation de s’arrêter alors qu’il venait de commettre un vol à main armée, et blessé dans sa fuite un passant qui tentait de l’arrêter après avoir fait usage de son arme à plusieurs reprises.
Arrêté et placé en détention provisoire le jour même des faits, Jacques Fesch fut exécuté le 1er octobre 1957 après le rejet de son pourvoi en cassation et de son recours en grâce. Ces trois années et demie de privation de liberté furent l’occasion d’un amendement personnel et d’un cheminement spirituel remarquables avant que la vie ne lui soit ôtée, conduisant son fils à déposer en 2018 une requête en réhabilitation judiciaire.
La réhabilitation n’a pas vocation à réviser l’histoire du crime, mais à amender la mémoire du criminel en raison du temps écoulé depuis sa condamnation et de son comportement. Elle ne répare pas une erreur judiciaire, n’efface pas une culpabilité acquise et n’atténue pas une peine (1).
La loi ne permettant toutefois pas la réhabilitation d’un condamné à mort dont la peine avait été exécutée, Éric Dupont-Moretti (2), avocat du fils de Jacques Fesch, entreprit de la faire évoluer, ce qui fut chose faite en 2020 sur invitation du Conseil constitutionnel.

Des gages insuffisants

La Cour de cassation put dès lors examiner le cas de Jacques Fesch. Elle a estimé que :
– sa conduite irréprochable et exemplaire à l’égard du personnel pénitentiaire et de ses codétenus constituait un gage d’amendement indéniable ;
– les regrets de ses agissements et du mal causé aux victimes et à sa famille étaient réels, mais ambivalents à certains égards car d’autres éléments (des écrits du condamné) pouvaient laisser penser que la commission des faits s’apparentait à une forme de fatalité ou de dessein supérieur dont il n’aurait été que l’instrument ; en un sens, cette appréciation traduit aussi une certaine difficulté des juges à comprendre les ressorts mystiques de ce repentir si singulier ;
– aucune preuve de l’indemnisation des victimes, pourtant essentielle au titre des gages d’amendements, n’était apportée ;
– si le caractère exemplaire et l’utilité sociale de son cheminement personnel, marqué par la découverte de la foi, ont constitué la source de son propre amendement et continuent d’apporter un message d’espoir aux personnes emprisonnées, cette « démarche religieuse ne saurait s’analyser en elle-même comme un gage d’amendement ».

Quant aux nombreux écrits à ce sujet, « [leur] large diffusion […] et l’intérêt qu’ils ont suscité ne sont pas davantage de nature à constituer un tel gage, étant postérieurs à son décès et indépendants de sa propre volonté ».
La Cour de cassation a ainsi jugé que les gages d’amendements de Jacques Fesch n’étaient pas suffisants par rapport à la gravité et à la multiplicité des crimes commis.
Si la conversion religieuse d’un condamné est donc légitimement jugée indifférente en elle-même à la réhabilitation que la justice républicaine est susceptible d’accorder, il y avait là néanmoins une occasion historique de réhabiliter la mémoire d’un condamné à mort à la conduite exemplaire à bien des égards, qui ne se représentera probablement pas.

Guilhem Le Gars
Avocat à la Cour

  • (1) Elle est « une mesure de bienveillance instituée par la loi en faveur des individus qui, après avoir été condamnés et avoir subi leur peine se sont rendus dignes, par des gages d’amendement qu’ils ont donné pendant le délai d’épreuve, d’être replacés dans l’intégrité de leur état ancien ».
  • (2) Éric Dupont-Moretti a écrit : « Notre loi interdit, actuellement, une telle réhabilitation : qu’à cela ne tienne, nous attaquons la loi, soutenant qu’elle n’est pas conforme à la Constitution. La peine capitale est une telle ignominie que, même abolie, elle exige qu’on la combatte. Quand nous aurons gagné, son fils pourra, enfin, offrir à l’âme de Jacques Fesch, criminel de circonstances repenti au cachot, une forme de repos laïc, au nom du peuple français. »

© LA NEF n° 376 Janvier 2025