Après des décennies d’idéologie verte, nombre de chrétiens ont contracté une allergie au mot « écologie », suspecté de traiter l’humanité en ennemie. D’autant qu’ils ont pu entendre que le christianisme était responsable de la « crise écologique », à cause d’une interprétation du verset biblique où Dieu confie la Création à Adam et Ève : « Soyez féconds, remplissez la terre et dominez-la » (Gn 1, 28). Le père Cédric de la Serre a répliqué aux thèses accusant le christianisme de crime contre la planète. Son essai Les chrétiens sont-ils responsables de la crise écologique ? (Salvator, 2020) démontre que christianisme et écologie font bon ménage, à condition que l’écologie et le christianisme soient bien pensés. Le problème est ailleurs.
D’abord, nous avons tous tendance à prendre la couleur de l’eau dans laquelle nous baignons. C’est notre culture individualiste, hédoniste et consumériste qui porte atteinte à la nature. Ensuite, nous avons aussi tous tendance à résister au changement. Prendre une communauté à rebrousse-poil n’est d’ailleurs pas le meilleur moyen de l’aider à évoluer.
Reconnaissons plutôt en quoi le christianisme favorise l’écologie. N’avons-nous pas été élevés dans le respect de la Création ? N’avons-nous pas appris à ne pas gâcher la nourriture, à réparer au lieu de jeter, à renoncer à l’opulence, et même à jeûner pour nous déprendre de nos addictions ? Nos modèles se contentent de peu : les saints sont frugaux, parfois très pauvres… Ils ne servent pas à la fois Dieu et l’argent, n’amassent pas les biens de ce monde. Nous savons que nous n’emporterons rien au Ciel, que les richesses font même obstacle à son accès, qu’il est bon de donner généreusement aux pauvres. Du fait de la destination universelle des biens, ce n’est que justice.
Les principes sont posés. Il reste à les mettre en pratique. À ce titre, le scoutisme devient une école d’écologie intégrale : il arrache les jeunes au monde hyper-digital pour leur apprendre à s’entraider pour vivre simplement dans la Création et à s’en émerveiller. Mais le chrétien tient une position d’équilibre : en ne sacralisant pas la nature mais la vie humaine, en raison de sa dignité inaliénable, il sauve l’écologie de ses dérives. Alors que l’antispécisme ne distingue plus l’homme de l’animal, le Catéchisme de l’Église catholique précise qu’« il est contraire à la dignité humaine [c’est moi qui souligne] de faire souffrir inutilement les animaux et de gaspiller leurs vies. Il est également indigne de dépenser pour eux des sommes qui devraient en priorité soulager la misère des hommes » (n. 2418). Le pape François a fait sur ce sujet une sortie remarquée contre la tendance occidentale à remplacer les enfants par des chiens ou des chats… Une forme de hiérarchie est ainsi exposée. Elle ne revient aucunement à mépriser les animaux, pas plus que l’incontestable supériorité de Dieu ne nous rabaisse.
La joie chrétienne
Pour autant, il serait insensé de nier l’effondrement accéléré de la biodiversité. Pour tout amoureux de la nature, la chute des insectes ou des passereaux est dramatique. Nos modes de vie doivent changer, la jeune génération nous le rappelle volontiers. Mais ce sont les valeurs du monde qui résistent – en nous – à cet appel du christianisme. Justement, nous avons – nous autres chrétiens – cet atout à valoriser : notre Seigneur nous appelle à changer, sans cesse, à nous perfectionner, sans jamais penser avoir touché le but. Cette humble conviction que nos cœurs et nos mœurs doivent changer est un puissant levier pour cette conversion écologique. Atout dans l’atout : la joie chrétienne ! La conscience du chemin à parcourir ne saurait nous désespérer. Désenchantés, parce que leurs alertes sont vaines, nombre de leaders écologistes attendent de l’Église le supplément d’âme qui éveillera les consciences au bien commun. Ils ont raison : seul l’amour est une motivation à la hauteur de l’enjeu.
À un catholique critique du pape François qui négligeait son encyclique Laudato si’, taxée d’« écolo », j’ai cité l’une des phrases les plus poignantes de ce texte. Elle fait référence aux destructions infligées à la nature : « Si le regard parcourt les régions de notre planète, assurément, l’humanité a déçu l’attente divine » (n. 61). C’est une citation… de saint Jean-Paul II, tirée d’une catéchèse de janvier 2001 dont le titre est : « L’engagement pour éviter une catastrophe écologique majeure » ! Au-delà de la continuité patente entre les papes, une conviction s’impose : on ne sauvera pas l’écologie sans le Sauveur.
Tugdual Derville
- Tugdual Derville est porte-parole d’Alliance VITA, co-initiateur du Courant pour une écologie humaine et auteur de nombreux ouvrages dont le dernier s’intitule Nouvelles recettes de bonheur, 71 actions d’écologie humaine (Éditions Emmanuel, 2020), grand prix Laudato Si’ du Salon du livre et des médias chrétiens de Dijon.
© LA NEF n° 376 Janvier 2025