LE PRIVÉ N’EST PAS POLITIQUE
CLAUDE HABIB
Gallimard/Le Débat, 2024, 208 pages, 18 €
Claude Habib ouvre son livre par une citation de Michael Walzer qui contient tout un programme : « défendre en même temps la justice et les vertus de l’intimité est la tâche de la prochaine génération de théoriciens politiques. » Défi relevé : son ouvrage apporte une solide et belle pierre à l’édifice de cette double défense. Dans une très belle langue, Claude Habib nous fait entrer à pas de velours dans le monde du privé, du foyer, elle explore les ressorts et les traits fondamentaux de notre aspiration à l’intimité, à la solitude, au secret, de notre besoin de « fermer la porte aux duretés du monde » ; elle affine et approfondit nos définitions de toutes ces réalités qui sont au cœur de nos existences, et pourtant rarement objets de littérature d’idées. Esprit très libre, franchement courageux, Claude Habib ose peindre certains grands caractères masculins et féminins et affronter l’asymétrie des sexes dans certains domaines (« la maison est l’œuvre des femmes », explique-t-elle, par exemple), et il y a quelque chose de doux et original à la fois à lire sous sa plume subtile et élégante des généralités très finement appréhendées (« généralités » au sens noble d’un discours qui ne s’épuise pas dans le particulier ou dans l’anecdotique).
Au gré de ces pages si agréables, qui constituent davantage une promenade argumentative qu’une démonstration sèche, C. Habib livre une réfutation très puissante des dérives du féminisme, esquissant en creux une vision bien plus riche du commerce des sexes, répondant aux mantras et aux méthodes des féministes actuelles (« charge mentale », « culture du viol », négation de la différence des sexes, la vindicte promue au rang de lucidité, la famille comme lieu d’exploitation des femmes et de violence ordinaire…), ayant l’œil vif pour repérer certains paradoxes de l’époque : « ce qui est condamné par les féministes, c’est aussi le choix de vie qui demeure le plus courant. » Aux tentatives des féministes de détruire la clôture du privé, de faire du couple et de la famille un espace de domination et de lutte, de politiser ainsi intégralement chaque recoin de nos vies, ce livre est un antidote salutaire.
Élisabeth Geffroy
LA FAMILLE AU CŒUR DE L’ÉCONOMIE
JEAN-DIDIER LECAILLON
Salvator, 2024, 260 pages, 22 €
Ainsi s’exprime Gary Becker (Prix Nobel 1992) : « Nous, économistes (en particulier les néo-malthusiens parmi nous), nous sommes concentrés sur quelques effets potentiellement néfastes de la croissance démographique sur l’économie, et avons ignoré ce qui est souvent plus important et positif. La croissance démographique a des effets positifs […]. Malheureusement, ils n’ont pas fait l’objet d’une attention suffisante de la part des universitaires, et cette lacune doit être corrigée. » Corriger cette lacune exorbitante : c’est précisément à cette tâche urgente que s’attelle l’ouvrage de J.-D. Lecaillon. Il affronte cette question tellement centrale et imposante : quelle est l’importance de la famille en matière économique ? Ainsi que la question immédiatement corrélée : comment permettre aux familles de jouer pleinement leur rôle social ? Et, raisonnements économiques à l’appui, il montre en quoi la croissance démographique n’est pas un piège mais un atout pour la croissance économique, en quoi la famille est créatrice de grandes richesses qui bénéficient à l’ensemble de la société, en quoi elle mérite d’être vue comme un investissement ; bref il entend réhabiliter la famille comme un objet pertinent pour la réflexion économique, et nous convainc pleinement de la chose.
Elisabeth Geffroy
NAÎTRE OU LE NÉANT
Pourquoi faire des enfants en temps d’effondrement ?
MARIANNE DURANO
Desclée de Brouwer, 2024, 240 pages, 18,90 €
Marianne Durano tient les deux bouts ! D’une part, fonder et faire grandir une famille, mettre au monde une jolie fratrie, d’autre part avoir le souci écologique chevillé au corps, mettre en œuvre et promouvoir une écologie intégrale. C’est tout l’objet de ce livre, qui montre brillamment qu’aucune contradiction n’existe tapie dans l’ombre : bien au contraire, il y a une grande cohérence de vision, mieux, une synergie totale, à défendre à la fois nos enfants et l’avenir de notre Terre. M. Durano se présente d’entrée de jeu comme une mère, elle ancre la naissance de son questionnement et la nécessité d’y répondre dans son expérience de mère, mais c’est bel et bien en philosophe qu’elle construit son propos.
Avec elle, nous retrouvons la fréquentation de grands noms de l’histoire des idées. Avec Marx, elle fait un sort aux malthusiens et au concept même de « surpopulation », expliquant en quoi « c’est bien la surproduction qui crée la surpopulation, et non la surpopulation qui crée la pauvreté ». Avec Aristote, elle remet les choses à leur place – rappelant qu’un enfant est un être nouveau qu’on accueille, et non un projet qu’on bâtit –, et affronte cette question si désarçonnante qu’on pourrait en avoir la voix coupée : « à quoi bon vivre ? » Avec Hannah Arendt et Hegel, elle montre en quoi avoir un enfant est « un engagement pour l’avenir de tous », une condition et un appel pressant à l’action, une sortie de la morale subjective, et non un repli sur soi. Avec Hans Jonas, elle explique en quoi l’enfant est celui qui nous place face à une responsabilité dont nous ne pouvons nous dégager, celui qui fait barrage à nos égoïsmes. Avec Épicure, elle remet à l’honneur une conception du bonheur que nos sociétés consuméristes et déprimées gagneraient à se réapproprier. Avec Rousseau, elle apporte un peu d’apaisement à « la panique existentielle des parents » sommés d’éduquer des enfants dans un monde tissé d’incertitudes et leur apprend à renouer avec le présent qui est la temporalité première de l’éducation et à retrouver la simplicité de la condition enfantine. Avec Foucault, elle opère un détour et en revient à la doctrine sociale de l’Église.
Elle réussit parfaitement à nous faire regarder en face notre triste « monde qui imagine plus volontiers un avenir sans enfants que sans supermarchés », et nous livre les réponses métaphysiques et philosophiques qui peuvent aider nos contemporains à retrouver le sens et la joie de vivre. La grande clarté de pensée de Marianne Durano, la précision de ses concepts, la rigueur et la solide construction de ses raisonnements, la force de son argumentation, son sens pédagogique inimitable en font un ouvrage puissant, solide, qui peut jouer le rôle de pierre de fondation pour tous les débats présents et à venir sur le phénomène « childfree ».
Elisabeth Geffroy
L’ENFANT EST L’AVENIR DE L’HOMME
AZILIZ LE CORRE
Albin Michel, 2024, 256 pages, 19,90 €
Aziliz Le Corre fait paraître son premier livre, un essai revigorant qui construit avec aplomb un bel éloge de la maternité. Une maternité heureuse et authentique, loin des filtres instagram pailletés et loin de la mauvaise humeur d’une époque irascible qui a comme perdu l’habitude d’intégrer les enfants à la vie commune. La grossesse, le privilège des femmes qui portent la vie, l’accouchement, les premiers instants de vie et les premiers pas d’une mère, l’apprentissage de la maternité et de la paternité, l’épaisseur que ces rôles confèrent, la place que notre société attribue aux enfants et à leurs parents, les mentalités qui dominent les discours et les comportements ambiants : cet ouvrage saisit tous ces thèmes à bras-le-corps et avec une jolie délicatesse. A. Le Corre ne se cantonne pas à un domaine pour appréhender son sujet, elle préfère faire appel aux forces combinées de la philosophie, de la littérature, de l’anthropologie, de la tradition chrétienne, de la statistique, et autres disciplines, pour mettre en lumière toutes les facettes du refus moderne de l’engendrement et, à l’autre bout du spectre, de la beauté de la maternité. C’est un ouvrage touffu, dans lequel sont invitées de multiples références et citations : poèmes, aphorismes, littérature d’idées, les rencontres sont nombreuses et très diverses. Dans des chapitres très courts, nerveux, au fil de pages qu’on tourne très vite et avec plaisir, elle n’hésite pas à livrer un peu d’elle-même, de son récit personnel, pour ancrer son propos dans une expérience très incarnée, et manie aussi bien ce ton plus confidentiel que le registre argumentatif, dans lequel elle sait s’installer avec la clarté et l’efficacité d’une journaliste rompue à l’exercice. A. Le Corre a les pieds résolument sur terre, une culture vaste, une pensée structurée, un regard fin. Autant de qualités qui lui permettent d’être une jeune mère et une jeune plume qui ne s’en laissent pas conter : non, tous les tabous n’ont pas à être brisés, non, le ressentiment et la conflictualité ne sont pas nécessairement le lot des femmes et des mères, non, nous n’avons pas à être dupes des discours moralisateurs de la jeune génération, non, le consumérisme n’a pas à avoir le dernier mot dans nos existences, oui, la gratitude et l’émerveillement ont encore une place dans nos vies quotidiennes.
Elisabeth Geffroy
SEULE AVEC DIEU SEUL
Sr. Clare Crockett
Sr. KRISTEN GARDNER SHM
Éditions 3 Cœurs, 2024, 440 pages, 19,90 €
(à commander sur le site www.3coeurs.fr)
Née en 1982 dans une famille catholique peu pratiquante à Derry en Irlande du Nord, Clare est une petite fille vive, facétieuse, au caractère entier et qui n’a pour seul rêve que d’être une actrice célèbre à Hollywood. Elle est douée et un avenir prometteur dans le monde cinématographique se dessine devant elle.
À la suite d’un quiproquo, pensant partir en voyage touristique en Espagne, elle fut touchée par la grâce au cours d’une retraite pendant la Semaine Sainte dans un couvent espagnol des Sœurs Servantes du Foyer de la Mère. Elle comprend qu’elle doit tout quitter pour suivre le Christ, ce qui ne se fera pas sans déchirements. Elle prononcera ses vœux définitifs en 2010, prenant pour devise « Seule avec le Seul ». Son charisme rayonne auprès des enfants et des jeunes. Elle meurt en 2016 pendant un tremblement de terre en Équateur dans l’effondrement de l’école où elle était affectée.
Sa cause en béatification s’ouvrira en Espagne en janvier 2025. Cette biographie alterne ses propres écrits avec les témoignages et photographies de ceux qui l’ont côtoyée et retrace le chemin spirituel et lumineux de cette jeune religieuse qui continue après sa mort à toucher de nombreux cœurs.
Un remarquable documentaire Tout ou Rien, Sœur Clare Crockett réalisé à partir de films d’archives et de nombreux et bouleversants témoignages est disponible sur SAJE+.
Anne-Françoise Thès
SCIENCE, SCIENTISME ET RELIGION
WOLFGANG SMITH
L’Harmattan, 2024, 244 pages, 26 €
Mort le 19 juillet dernier à l’âge de 94 ans, Wolfgang Smith était un physicien, mathématicien et philosophe catholique américain, auteur d’une œuvre importante. Son livre critique sur Teilhard de Chardin recensé dans La Nef (n°366, février 2024) a suscité un débat nourri. Ce dernier ouvrage permet, à travers quatorze études, d’appréhender plusieurs aspects de sa pensée. Son thème central est une critique de la représentation du monde issue de la physique moderne, de Galilée et Descartes à Einstein. Loin d’être objective, elle repose sur une métaphysique fausse, objet de croyances scientistes. L’impasse dans laquelle se trouve la théorie quantique est le signe de ses erreurs. Smith ne s’en prend pas à la science en tant que telle mais à l’idéologie qui l’accompagne : « le scientisme, c’est la propagation, sur la base de fondements faussement qualifiés de scientifiques, d’une Weltanschauung qui est non seulement injurieuse, mais ultimement létale pour notre humanité. » Contre ce néo-gnosticisme, véritable contre-religion, il propose une autre vision du cosmos qui s’inspire de Platon, d’Aristote, de saint Thomas d’Aquin et d’autres traditions sapientielles de l’humanité. Ce livre très riche (et parfois ardu) ouvre des pistes de réflexion et montre que la thèse commune chez les catholiques – la science explique le comment, la foi le pourquoi – mérite une sérieuse rectification.
Denis Sureau
LE NŒUD DÉMOCRATIQUE
Aux origines de la crise néolibérale
MARCEL GAUCHET
Gallimard, 2024, 256 pages, 20 €
On se croyait à l’ère postmoderne et condamné au rabougrissement de nos horizons ; nous entrons tout juste dans la modernité et vivons « l’une des plus grandes ruptures de l’histoire humaine », celle d’un monde désormais fait par les hommes à hauteur d’homme. Voilà en somme la vertigineuse conclusion de Marcel Gauchet dans son magistral ouvrage, Le Nœud démocratique, qui propose de penser à nouveaux frais notre crise politique, par-delà la trop facile explication économiciste (tout serait la faute de la mondialisation), au détour d’une réflexion de grande ampleur sur le déroulé de la politique moderne.
Depuis la nuit des temps, les hommes avaient vécu dans un monde hétéronome – l’ici-bas était structuré par et pour l’au-delà religieux. Mais les Lumières puis la Révolution française ont fait naître le vœu d’un monde purement autonome, où l’homme serait l’auteur autant que la mesure de ses propres lois. En lieu et place de l’ancien nœud sacral naquirent donc les médiations terrestres que sont la politique avec l’État-nation, le droit avec le contrat social et l’histoire avec le progrès, toutes agissant en un sens autonomisant. Mais le vœu était pieux, au pied de la lettre : Gauchet montre bien comment, pendant deux cents ans, de droite à gauche jusqu’aux totalitarismes, nous vécûmes plutôt dans une structuration hybride. On se voulait autonomes, mais l’« Un hétéronome » continuait insidieusement de structurer nos horizons politiques. Le désir d’une totalisation, d’une communion finale et unanime persistait : ce fut l’ère des idéologies.
La nouveauté, c’est que les médiations terrestres ont pleinement fait leur œuvre, de sorte que nous sommes entrés pour de bon dans le monde autonome. Il nous faut tout bâtir, seuls et divisés que nous sommes ! Et c’est ainsi qu’il faut comprendre le clivage opposant néolibéralisme et populisme, qui sont comme les deux versants desdites médiations terrestres. D’un côté, leur versant individualiste qui a travaillé deux siècles durant à l’autonomie, mais qui désormais sape les bases collectives qui l’ont rendu possible (le droit-de-l’hommisme contre la nation). De l’autre, et en réaction, leur versant collectif qui rappelle qu’il n’y a pas d’individus sans peuples, de société civile sans pouvoir, de futur sans passé. C’est dans ce tir croisé humain, trop humain que nous sommes pris, pour Lui avoir tourné le dos. Reste la voie du Fils prodigue.
Rémi Carlu
LE ROI ET L’ARLEQUIN
LAURENT DANDRIEU
Artège, 2024, 208 pages, 17,90 €
Laurent Dandrieu nous dresse les portraits de deux figures de l’époque moderne dont chacune est nécessaire à la destinée de l’autre. Jean-Baptiste Poquelin, alias Molière, a besoin de l’entremise du pouvoir pour donner à sa troupe le succès nécessaire à sa pérennité et une reconnaissance dans tout le royaume. Louis XIV a besoin de Molière pour fixer le cap de sa politique culturelle, indissociable selon lui d’un certain sens du beau dont il veut être le seul juge. La protection qu’il accorde à l’artiste est à la mesure du talent qu’il lui trouve et qui doit être un modèle pour le pays.
« La face du théâtre change », dit Louis XIV, lors de sa prise de pouvoir personnel à partir de 1661. Politique et spectacle sont désormais liés. Le roi est aussi un passionné de danse. Il participe parfois aux mises en scène de l’arlequin, au point de danser sur scène. Une telle implication permet de mesurer l’état des relations entre les deux hommes.
Cette protection offre à Molière une grande liberté de ton qui lui vaut de nombreuses inimitiés, notamment le parti dévot. Ce dernier se dressera contre lui au moment de la parution du Tartuffe et contraindra le roi à censurer la pièce. Laurent Dandrieu montre qu’à chaque obstacle, Louis XIV agit souvent dans un souci d’apaisement politique sans pour autant déconsidérer le travail de l’artiste. Ce dernier saura faire valoir à travers son œuvre la relation qu’il entretient avec le roi. L’Impromptu de Versailles trahit, par exemple, « une atmosphère de confiance entre l’auteur et son commanditaire qui va bien au-delà de la relation entre l’artiste et le mécène, et qu’il faut bien qualifier de complicité ». Laurent Dandrieu la met en évidence avec beaucoup de finesse tout au long du livre.
Pierre Mayrant
ISRAËL, DE LA CRISE À LA TRAGÉDIE
SAUL FRIEDLÄNDER
Grasset, 2024, 380 pages, 24 €
Né à Prague en 1932, Saul Friedländer, réfugié en France pour fuir le nazisme, a perdu ses parents à Auschwitz avant d’émigrer en Israël en 1948, dès la fondation de l’État hébreu. Il y a enseigné à l’Université de Jérusalem et de Tel Aviv avant de s’installer en Californie où il réside toujours. Malgré l’éloignement géographique, il suit de près les événements qui secouent son pays, auxquels il a consacré plusieurs ouvrages. Dans le dernier, rédigé sous la forme d’un journal couvrant la période du 17 janvier au 11 décembre 2023, il livre au jour le jour, avec une lucidité qu’il convient de saluer, ses réflexions sur la situation politique avant et après le déclenchement de la guerre qui oppose Israël à Gaza depuis le 7 octobre 2023.
De nombreux passages concernent les excès du gouvernement actuel présidé par Benyamin Netanyahou qui, avec ses alliés idéologiques, a mis en place « un régime messianique typique, un mélange de nationalisme extrême et de religiosité extrême, auxquels s’ajoutent des intérêts claniques et personnels ». Tel est le contexte qui a vu émerger le projet de réforme de la Cour suprême ayant pour but de doter le gouvernement de pouvoirs illimités. L’auteur critique vivement le caractère antidémocratique de ce plan qui entraînera l’instauration d’une forme de théocratie autoritaire assortie d’un apartheid source de graves injustices envers les citoyens arabes d’Israël. Il dénonce aussi l’accroissement de la colonisation de la Cisjordanie ainsi que l’acharnement des dirigeants israéliens à refuser toute solution apte à résoudre la question palestinienne. Il est d’ailleurs un partisan convaincu d’une solution à deux États qui pourrait prendre la forme d’une fédération démilitarisée et protégée par une force internationale de contrôle.
Friedländer dénonce ensuite l’erreur stratégique de Netanyahou concernant les objectifs du Hamas (tuer les juifs, détruire Israël, libérer la Palestine). Voilà pourquoi le Premier ministre israélien « a encouragé les subventions du Qatar à Gaza afin de préserver la tranquillité de l’enclave et de créer un contrepoids à l’Autorité palestinienne en Cisjordanie, c’est-à-dire pour entraver toute possibilité d’un État palestinien ». Cet aveuglement permet de comprendre l’impréparation des services israéliens (armée, renseignements) face à la menace d’attaque qui couvait depuis longtemps.
Le « journal » de Friedländer s’arrête avant l’irruption massive du Hezbollah et de l’Iran dans cette guerre mais il présente l’avantage de fournir des éléments essentiels à la compréhension d’un conflit dont l’issue semble impossible, comme il le souligne en conclusion : « Que nous réserve donc la prochaine décennie, et probablement toute une génération ? Elle sera faite de trêves qui pourront durer quelques années, avec la certitude de nouvelles explosions. »
Annie Laurent
SAINT AUGUSTIN AUTREMENT
JULIETTE DE DIEULEVEUT
Parole et Silence, 2024, 192 pages, 17 €
C’est une très belle introduction à la personne et à l’œuvre de saint Augustin qui nous est proposée ici. Si les grandes étapes de sa biographie, notamment de sa conversion, sont relativement connues, l’auteur nous fait découvrir des textes souvent ignorés et pourtant tellement révélateurs de sa personnalité et de son humanité. Élève intelligent, professeur brillant, saint Augustin a produit des textes sur la figure tutélaire du maître, les vacances, le divertissement, l’amitié, le deuil, l’amour filial, la liturgie pascale… autant de pistes pour découvrir ou redécouvrir cet immense penseur et théologien.
Anne-Françoise Thès
THÉRÈSE DE LISIEUX ET VOUS
PRÉNOM MARLÈNE
Marie de Nazareth, 2024, 118 pages, 9,90 €
Vous connaissez peut-être la série « Bonne Nouvelle ! » sur KTO, où la comédienne, Prénom Marlène, s’emploie à annoncer la Bonne Nouvelle avec un talent et un humour consommés. Dans ce livret publié par l’association Marie de Nazareth, elle nous entraîne avec sa vivacité inimitable en pèlerinage sur les pas de sainte Thérèse de Lisieux : un vrai pèlerinage pour découvrir et prier celle qui souhaite être notre sœur et notre amie. Il offre une première approche fondamentale à ceux qui ne connaissent pas la spiritualité de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, mais se lira aussi avec grand plaisir par ceux qui la côtoient plus longuement et qui auront, une fois encore, l’occasion de s’émerveiller comme des enfants sur les grâces promises et reçues.
A.-F. T.
Roman à signaler
ET SI DEMAIN TOUT S’INVERSAIT
SONIA MABROUK
Fayard, 2024, 314 pages, 21,90 €.
« Entre témoignage intime et pamphlet sur nos sociétés désenchantées, mon objectif est d’inviter le lecteur à concevoir l’inconcevable qui pourrait advenir demain. Bien qu’il s’agisse d’une fiction dans laquelle j’ai laissé s’évader mon inspiration, cette histoire n’est pas que le fruit de mon imagination. Dans un monde instable, elle est parfaitement vraisemblable. » Tels sont les mots choisis par Sonia Mabrouk en guise de prologue à son dernier ouvrage où cette journaliste entend poursuivre son combat pour la défense de la culture et de l’identité françaises, acquises successivement à l’école dans sa jeunesse en Tunisie, sa terre d’origine, puis lors de sa naturalisation dans l’Hexagone. Après plusieurs essais remarqués, elle a choisi cette fois la forme du roman.
Consciente des motifs qui rendent aujourd’hui le Vieux Continent impuissant à relever les défis inhérents à l’immigration (déclin culturel et moral, épuisement civilisationnel, aveuglement idéologique, relativisme religieux, déformation du concept d’assimilation, vitalité de l’islam), l’auteur inverse la situation en imaginant un flux migratoire massif de populations européennes vers un pays d’Afrique du Nord où la nationalité se confond avec la religion – musulmane – de l’État et du peuple. Selon les exigences du gouvernement local, nul étranger ne peut bénéficier du statut de réfugié et des droits afférents s’il ne renonce pas à sa religion (chrétienne ou juive) ou à son athéisme pour professer l’islam. Car lui seul est capable de sauver l’Occident de ses maux. C’est l’histoire troublante de deux familles françaises qui constitue la trame de ce roman riche d’enseignements et invite à de sérieuses réflexions.
Annie Laurent
© LA NEF n° 376 Janvier 2025