Saint Martial, photo prise à partir de la couverture du livre Saint Martial, l'apôtre des Gaules, d'Arnaud Boüan © DR

Saint Martial, l’apôtre des Gaules

Par qui, quand et comment l’Évangile est-il arrivé en Gaule pour la première fois ? De la réponse à cette question dépend l’origine historique de notre foi. Pour la plupart de nos contemporains, il faudrait attendre le IIIème siècle pour voir fleurir nos premiers évêques, les saints Martial de Limoges, saint Denis de Paris, saint Saturnin de Toulouse etc… En effet, c’est bien la version « officielle » de notre histoire telle qu’elle se trouve un peu partout aujourd’hui dans les livres récents et sur internet. Or il n’en fut pas toujours ainsi. Jadis, nos pères croyaient à ce qu’on appelait alors « l’apostolicité de l’Église de France », à savoir que la Gaule fut évangélisée du temps des Apôtres, par un certain nombre de leurs disciples, dont bon nombre furent témoins oculaires de Jésus-Christ. Ainsi les saints Martial, Denis, Saturnin et tous les autres, ne seraient pas du IIIème mais bien du Ier siècle. Voici un petit aperçu de la vie de l’un d’eux : saint Martial, l’apôtre des Gaules, selon la foi de nos pères…

Né à Rama (1), non loin de Jérusalem, le jeune Martial est issu de la tribu de Benjamin. Il a quinze ans lors du baptême du Christ. Âme bien disposée, l’adolescent écoute la prédication du Seigneur qui ordonne à saint Pierre de le baptiser. Dès lors, il s’attache à suivre les pas de Jésus-Christ : c’est lui qui apporte les cinq pains et les deux poissons le grand jour de la multiplication des pains (2). C’est encore lui qui sera donné en exemple aux douze Apôtres, quand Jésus leur dira : « Quiconque se rendra humble comme cet enfant sera le plus grand dans le Royaume des Cieux. » (Mat 18,4). Disant cela, le Seigneur posa sa main sur sa tête pour le bénir (3). S’attachant particulièrement à saint Pierre, il le suivit à Antioche puis à Rome, où il fonda un oratoire qu’il consacrera à la Sainte Vierge, et que l’on peut toujours visiter dans la crypte de l’église Santa Maria in via Lata.
Deux ans plus tard, vers l’an 44, il est envoyé par saint Pierre dans les Gaules, comme son vicaire ou son représentant, origine apostolique de nos légats pontificaux. C’est ainsi que saint Martial se présentera aux habitants de Toulouse : « Moi, Martial-Képhas, serviteur de Dieu, apôtre de Jésus-Christ, etc.… » (4) Il partit avec deux compagnons, Alpinien et Austriclinien. À Colle, en Toscane, Austriclinien tombe malade et meurt. Saint Martial repart alors à Rome chercher consolation auprès du prince des apôtres. Il en reçoit l’assurance que son disciple ressuscitera, s’il lui applique avec foi son propre bâton (5), ce qui arriva, quarante jours plus tard (6). La petite troupe apostolique repartit sur la voie romaine Julia Augusta, aborda la Provence (7), retrouva les saints de Provence… et poussa plus loin l’Évangile, en montant plein nord. C’est ainsi qu’il allait se montrer le véritable « apôtre des Gaules », en fondant pas moins de quatorze cathédrales (8) !

Il faudrait évoquer maintenant son œuvre à Limoges, car c’est en ce lieu qu’il établit le cœur de son ministère. Augustoritum était alors une capitale d’Aquitaine, et le lieu de résidence de la duchesse Suzanne, dont l’époux Léocade avait été le duc des Gaules, qui s’était converti, et qui était mort lors de la campagne militaire de Bretagne. Elle vivait avec sa fille Valérie, promise au duc Silanus, destiné à devenir le successeur de Léocade, à condition d’épouser la fille de Léocade. Cela ne fit aucune difficulté, car elle resplendissait de beauté et de vertus. Les fiançailles furent donc célébrées à Limoges, mais les affaires de l’empire réclamèrent le départ du jeune duc pour achever la pacification de la rude Bretagne. Il partit… et saint Martial entra, ayant eu la révélation que c’était le moment favorable. Il reçut l’hospitalité dans le palais de Suzanne, qui se convertit ainsi que Valérie. Cette dernière fut si fervente qu’elle voua sa virginité au Christ, et reçut du saint le voile des vierges. Lorsque Silanus revint de sa campagne militaire, il entra en fureur dès qu’il apprit la résolution de sa promise, et ordonna de lui trancher la tête. Sainte Valérie offrit ainsi sa vie, mais elle se releva, ramassa sa tête et alla la porter à saint Martial, qui célébrait la messe pour elle dans l’oratoire qu’il avait fondé en l’honneur de saint Etienne, et dont une chapelle de la cathédrale conserve le souvenir de l’emplacement (9). Finalement, Silanus se convertit à son tour, certainement par l’intercession de sa fiancée, et devint le meilleur auxiliaire de saint Martial pour établir dans toute l’Aquitaine, la foi de Jésus-Christ. Trois siècles avant Constantin, et cinq avant Clovis, le duc Etienne est une figure annonciatrice de la conversion de la Gaule, qui donnera naissance à la France.

À Rocamadour, nous retrouvons la trace de son passage, sur les bas-reliefs de l’autel de la Vierge. Nous voyons la scène de la consécration de l’autel par saint Martial, assisté de saint Amadour, qui ne serait autre que le Zachée de l’Évangile (10). Le château de Salignac, au nord de Rocamadour, possède une tour dite de Saint-Martial, car, écrit le père Bonaventure « saint Martial prêchant par l’Aquitaine, passait quelquefois par la très illustre maison de Salignac, où il était bien accueilli ; ce que sachant, saint Amadour […] y allait visiter saint Martial, lequel à la pareille, l’allait voir et consoler dans le trou de son rocher. » (11)
Après avoir parcouru l’Aquitaine en tous sens, être allé jusqu’à Paris et Trèves, saint Martial revint au milieu de sa chère Église de Limoges, où il mourut le 30 juin de l’an 74. Il fut enseveli hors de la ville, auprès de sainte Valérie, sur le lieu de la célèbre abbaye Saint-Martial de Limoges, et dont le culte, depuis, n’a plus jamais cessé. 

Jusqu’au XVIIème siècle, il n’y eut aucune contestation officielle de ces traditions. Seuls les protestants remirent en cause cette évangélisation liée à saint Pierre, donc à Rome et au pape. Le clergé janséniste quoiqu’officiellement catholique, servit à influencer l’Église en ce sens. Le docteur Jean de Launoy (1603-1678), appelé le dénicheur des saints, fut le chantre de cette histoire critique… et fit école au XVIIIème, au sein du clergé lié aux philosophes des « Lumières ». Petit à petit, nos racines s’estompèrent, la foi diminua et ce fut très probablement l’une des causes méconnues de la Révolution, d’autant plus dangereuse qu’elle fut insidieuse et intellectuelle.
C’est tout l’enjeu de cette étude et de ce livre, de restaurer cette tradition qui lie de manière inséparable la Gaule et déjà la France, à la Sainte Église romaine. A l’heure où la fidélité devient héroïque, il nous a paru important de célébrer l’apôtre principal par lequel l’Aquitaine et la Gaule se donnèrent au Christ.

Arnaud Boüan,
auteur du livre Saint Martial, l’Apôtre des Gaules

Saint Martial, l’Apôtre des Gaules, décembre 2024, 295 pages, 20 euros. Disponible sur le site www.tresorsdenosperes.fr

(1) Une église fut restaurée par Charlemagne à Rama, sur le lieu de naissance de saint Martial.
(2) Cette scène est représentée à Limoges de multiples manières, mais aussi à Bordeaux et Avignon, dans la magnifique chapelle Saint-Martial du Palais des papes (1344).
(3) Pierre de la Palu, dominicain, patriarche de Jérusalem (+1342), dit que les vestiges des doigts du Sauveur se voyaient sur le chef de saint Martial.
(4) Cette épître authentique fut retrouvée cachée dans un sépulcre de Limoges en 1106.
(5) La tradition indique que depuis ce temps-là, les papes ne portent plus de crosse mais la croix.
(6) Une église fut construite à Colle di Val d’Elsa sur le tombeau vide d’Austriclinien, et la fête de saint Martial y est toujours grandement honorée.
(7) On trouve sa trace à Tourette, près de Fayence, dans l’église de Saint-Martial.
(8) Les Églises de Mendes, Rodez, Le Puy, Clermont, Limoges, Bordeaux, Bazas, Agen, Cahors, Toulouse, Poitiers, Angoulême, Saintes et Tulles, revendiquent l’honneur d’avoir été fondées par saint Martial.
(9) Sainte Valérie a l’honneur d’être la première vierge et martyre des Gaules, en l’année 46 selon la tradition de Limoges. Sa chemise tâchée de son sang fut longtemps vénérée à la cathédrale, ainsi que sa ceinture de soie avec un fermoir d’argent blasonné. Il serait bon de savoir si ces reliques existent toujours au trésor de la cathédrale.
(10) Pour cette identification, voir les Actes de saint Amadour, cité dans Michel Bourrières, saint Amadour et sainte Véronique, 1895, p. 575, et l’étude magistrale du RP bonaventure, Histoire de saint Martial, 1680, p. 517.
(11) RP bonaventure, Histoire de saint Martial, 1680, p.517.

© La NEF, exclusivité internet, mis en ligne le 11 mars 2025.