Le père Louis est le prieur de l’abbaye Sainte-Madeleine du Barroux. Il nous parle de son nouveau livre, un essai remarquable pour réaccorder notre cœur.
La Nef – Qu’entendez-vous par les quatre cordes du cœur ?
Père Louis – Tout homme a un cœur de fils, de frère, d’époux et de père, comme toute femme a un cœur de fille, de sœur, d’épouse et de mère. Il s’agit des quatre principales dimensions de l’amour : l’amour filial, l’amour fraternel, l’amour sponsal, et l’amour paternel ou maternel, c’est-à-dire, l’amour qui reçoit, qui partage, qui se donne et qui porte du fruit.
Ces quatre cordes du cœur s’enracinent-elles dans la Sainte Écriture ?
Deux fils rouges traversent toute la Bible : celui de la relation entre père et fils et celui de l’alliance entre époux, nous révélant que Dieu est Père et qu’il nous appelle à devenir ses fils adoptifs en formant ensemble une épouse unie à son Fils : l’Église.
Quel est le lien entre ces quatre cordes du cœur et la théologie du corps de Jean-Paul II que vous citez presque 200 fois ?
Les quatre cordes du cœur transparaissent sur notre corps : mon corps me dit que j’ai reçu la vie par mes parents, que je suis lié à des frères, que je suis fait pour un don total de moi-même et pour être fécond. Si Jean-Paul II a longuement développé les significations sponsales et procréatrice du corps, Benoît XVI a rappelé la primauté de sa signification filiale et le pape François insiste sur sa signification fraternelle.
Quels sont les points que vous développez le plus dans votre livre ?
La priorité de la dimension filiale qui nous dispose à recevoir docilement la création telle que notre Père l’a voulue, et l’exigeante beauté de la chasteté conjugale qui en découle. Ce livre aborde ainsi la noblesse de la sexualité et les difficultés inhérentes à l’ouverture à la vie, mais aussi toutes les souffrances concrètes concernant ces quatre cordes : une rupture avec un enfant, une mésentente à l’intérieur de la fratrie, une crise conjugale, un couple sans enfant, un célibat non choisi ou des difficultés avec sa belle-famille.
Quelle est l’importance de ces quatre cordes dans le contexte actuel ?
La société contemporaine pousse l’homme à s’affranchir de ces quatre cordes :
– Affranchis-toi de tes parents, de ta famille, de ta patrie ; libère-toi de tes racines, qu’elles soient familiales, historiques ou religieuses.
– Sois le plus fort, tant pis pour le voisin ! Tous les moyens sont bons pour devenir le premier !
– Ne t’enferme pas dans le mariage, car en prenant un engagement tu perds ton autonomie et ta liberté !
– Et surtout, évite à tout prix d’avoir un enfant : c’est un fil à la patte dont on ne peut plus se défaire !
La banalisation du divorce et les idéologies actuelles du mariage pour tous et du gender défigurent ce qui dans la nature humaine nous parle le mieux de Dieu et de son amour pour nous : la paternité et la filiation, ainsi que l’alliance conjugale entre l’homme et la femme. « Quand une civilisation saccage l’amour, torture la notion d’amour au simple plan naturel, quand elle tue la piété conjugale et la piété filiale, l’amour humain vidé de sa propre substance rend impossible l’expression de son analogue supérieur », écrivait Dom Gérard (1).
En tant que moine contemplatif, comment avez-vous été amené à parler des quatre cordes du cœur ?
En méditant sur les quatre cordes du cœur humain, nous découvrons un magnifique chemin de contemplation :
– L’amour filial est celui dont le Cœur de Jésus est rempli envers son Père, et aussi celui que l’Esprit Saint veut répandre dans notre cœur.
– L’amour fraternel est l’ultime message du Christ (Jn 13, 34), et il sera là-haut le seul des quatre amours à subsister entre les hommes : Dieu sera le seul Père, Marie la seule mère, le Christ et l’Église les seuls époux… et nous serons tous frères et sœurs !
– L’amour sponsal est la plus éloquente manifestation du projet fou de Dieu d’épouser sa créature : c’est le mystère de l’Alliance.
– Enfin, admirer la fécondité de l’amour nous fait contempler la mystérieuse fécondité de l’Esprit Saint : « Il est Seigneur et il donne la vie. »
Pour conclure, comment un moine fait-il vibrer les quatre cordes de son cœur ?
Les moines renoncent à beaucoup de choses mais sûrement pas à l’amour. Ils réapprennent chaque jour à devenir toujours plus fils, à l’imitation de Jésus, le Fils du Père et l’enfant de Marie. Cela se réalise surtout par le vœu d’obéissance. Cette corde filiale est mise en évidence dès les premiers mots de la règle saint Benoît : « Écoute, ô mon fils, les enseignements d’un si bon père. » La vie commune et le vœu de pauvreté nous apprennent à tout partager et font vibrer la corde fraternelle. La corde sponsale résonnera grâce au vœu de chasteté par lequel le moine se livre à Jésus dans un don total de soi par amour, et la fécondité de cette union au Christ fera vibrer sa corde paternelle en enfantant des âmes à Dieu.
Propos recueillis par Christophe Geffroy
– Père Louis, Après le mariage. Les quatre cordes du cœur pour faire croître le lien conjugal, Artège, 2025, 300 pages, 17,90 €.
– Le Père Louis avait précédemment écrit Avant le mariage. Sexualité, affectivité, prière, Artège, 2016, nouvelle édition parue en mars 2025.
(1) Dom Gérard, Benedictus, Écrits spirituels, Tome I, Éditions Sainte-Madeleine, 2009, p. 64.
© LA NEF n° 379 Avril 2025