Lectures Avril 2025

LE POUVOIR DANS L’ÉGLISE, ON EN PARLE ?
10 questions d’histoire et d’actualité
MARTIN PINET
Cerf, 2025, 226 pages, 22 €

Dans une époque de remise en question de l’autorité dans la société et d’assombrissement de la figure du prêtre dans l’Église, l’abbé Martin Pinet, prêtre du diocèse de Beauvais et au service de la diplomatie du Saint-Siège, souhaite, dans son ouvrage, dépasser la lecture sociologique qui compare trop souvent l’Église à une entreprise ou à un État. Ainsi, il retrouve pour nous les fondements théologiques de l’autorité dans l’Église et parcourt les siècles d’histoire du peuple d’Israël et de l’Église, afin de nuancer et d’enrichir la question du pouvoir dans cette très singulière institution humano-divine.
L’étude est sérieuse et l’approche franche, directe et contemporaine. Elle pose des questions telles que : Jésus est-il charismatique ou manipulateur ? La synodalité est-elle démocratique ? Le pouvoir s’exerce-t-il en coulisse dans l’Église ? Avec le pape François, l’Église est-elle devenue une monarchie populiste ?
Nous comprenons bien des choses sur l’Église du Moyen Âge, avec ses abbesses et ses archidiacres, au sujet de la lutte des papes pour être indépendants du pouvoir séculier, ou sur la réflexion des deux derniers conciles pour articuler le pouvoir du pape et celui des évêques.
Le pouvoir dans l’Église apparaît ainsi complexe, multiforme dans l’histoire, soumis à une révélation venue d’en haut plus qu’à un avis majoritaire. Mais ce pouvoir se révèle, aussi et surtout, intimement lié au sacrement de l’ordre, avec la subtile distinction – mais non séparation totale – entre le pouvoir d’ordre et le pouvoir de juridiction, ou la remise en valeur, avec Vatican II, de la tria munera : la triple charge d’enseigner, sanctifier et gouverner. Ce travail consistant remet en perspective la question du pouvoir et, dans la crise actuelle, donne finalement plutôt confiance en cette vielle et mystérieuse institution.

Abbé Étienne Masquelier

MÉTROPOLIA ET PÉRIPHÉRIA
CHRISTOPHE GUILLUY
Flammarion, 2025, 224 pages, 21 €

Il n’est plus besoin de présenter l’œuvre de Christophe Guilluy, qui a opéré un putsch magistral dans le débat public avec La France périphérique en 2014. Depuis, dans la veine de Lasch, Orwell et Michéa, il ne cesse de réfléchir au schisme socio-culturel qui sépare la France périphérique, dépossédée sur les plans politiques, économiques et culturels, des élites métropolitaines acquises à la modernité individualiste, néolibérale et mondialiste. Dans Métropolia et Périphéria, plutôt que d’user encore de chiffres ou de graphiques pour convaincre, Guilluy met littéralement en scène sa thèse, dans une fable orwellienne (dans laquelle il est question d’une innocente planète périphérique victime du fanatisme exterminateur de la planète métropolienne) ou encore dans une pièce de théâtre satirique (qui rejoue un procès de Valladolid pour juger de la présence ou non d’une âme chez les gens ordinaires). On le voit, le propos est assez manichéen, sans les nuances que lui permettait d’introduire le procédé littéraire, de sorte que sa thèse, au lieu d’être rendue sensible par sa texture existentielle, en ressort figée dans les glaces de l’idéologie et dénuée de force démonstrative – quand bien même on est plutôt acquis à sa cause.
Seule la deuxième partie, plus autobiographique, qui décrit de l’intérieur la violence de la gentrification pour les gentrifiés, puis son parcours de géographe contestataire dans « le salon » qui cumule un emploi manuel avec sa carrière intellectuelle pour rester pleinement indépendant, fait mouche. Au fond, Guilluy décline le thème du « bon sauvage » rousseauiste, dont la « simplicité », si elle nous paraît un peu courte pour appréhender les mystères de la vie, vaudrait mieux que toutes les avancées de la culture, des arts ou de la religion – au point qu’il paraît souhaiter une forme d’apartheid. Sans trace de péché originel, tout serait radicalement bon chez les gens ordinaires – ainsi ne répond-il jamais aux travaux de Fourquet, qui témoignent plutôt d’une désagrégation sociale, culturelle et morale à tous les étages. Si Guilluy a raison de s’attaquer au monde moderne par son versant moral comme l’ont fait les penseurs communautariens, la « décence ordinaire » qu’il revendique avec un peu de facilité, sur fond de discours antireligieux, n’est jamais fondée métaphysiquement – est-ce une morale naturelle, le fruit d’une tradition, voire l’héritage du surmoi chrétien ?

Rémi Carlu

UNE RÉSISTANCE JUIVE D’HIER À AUJOURD’HUI
Commentaire du livre des Maccabées
CHRISTOPHE EOCHE-DUVAL

Via Romana, 2025, 232 pages, 25 €

Si tous les livres de l’Écriture sont également inspirés par l’Esprit, tous n’ont pas également l’oreille des fidèles. C’est sans doute le cas du second livre des Maccabées, surtout depuis que la lecture de la Messe d’anniversaire des défunts n’est plus systématiquement issue de ce livre : « Si l’on n’avait pas espéré que ceux qui avaient succombé ressusciteraient, la prière pour les morts aurait été superflue et absurde » (2 M 12, 44). « 2 Maccabées », en effet, n’est pas que la chronique d’une révolte un peu oubliée, celle de 168 av. J.-C. : c’est surtout un livre théologique, qui exprime la quintessence de l’esprit de la Révélation quelques décennies avant l’avènement du Christ.
Christophe Eoche-Duval, dans un ouvrage de haute vulgarisation, se fait le champion de ce livre biblique trop peu mis à l’honneur, après s’être déjà affronté au monde de la Bible par la réalisation de plusieurs spectacles dont le succès doit beaucoup à leur documentation précise et soignée. Modestement, l’auteur proteste n’être ni helléniste ni hébraïsant ; ce qui ne l’empêche nullement de citer abondamment ces deux langues, avec une exactitude rarement prise en défaut.
S’il se permet ci et là une hypothèse hardie, c’est peut-être justement le rôle de l’amateur éclairé que de proposer des pistes hors des sentiers battus. Ces audaces sont peut-être ce qui recommande le mieux l’ouvrage auprès du lecteur non spécialiste : l’auteur ne commet pas l’erreur de suivre pas à pas les méandres d’une composition hellénistique, déroutante pour l’esprit moderne. En bon vulgarisateur, il va droit aux points qui peuvent éveiller l’intérêt du lecteur, que ce soit le curieux du monde juif hellénisé, ou le chrétien soucieux de comprendre comment l’Ancien Testament prépare et éclaire le récit évangélique, voire de trouver une voix biblique éclairant le discernement sur des enjeux contemporains.
Avec ce précieux guide en main, gageons que maint lecteur se sentira enhardi à s’engager dans la jungle touffue d’un livre où il aurait auparavant hésité à aventurer ses pas.

Père Charles-Antoine Fogielman

LA FEMME EST UN ISLAMISTE COMME LES AUTRES
LOUISE EL YAFI

Cerf, 2024, 304 pages, 22 €

Dans l’imaginaire habituel, du moins en Occident, l’islamisme est souvent perçu comme une caractéristique masculine, dans sa dimension idéologique et dans son application concrète, y compris le recours à la violence. « La femme ne peut pas être jihadiste, elle ne peut être que femme de djhadiste », entend-on dire pour montrer que la décision ne lui appartient pas et qu’elle en est innocente. Tel est le constat qui a conduit Louise El Yafi, avocate franco-libanaise, à entreprendre l’enquête approfondie dont elle livre le résultat dans cet ouvrage novateur qui révèle « la face cachée de la radicalisation féminine ».
Le regard habituel découlerait du statut anthropologique et juridique de soumission à l’homme que le Coran impose à la femme, note l’auteur. Mais, tout en confirmant cette réalité, elle explique qu’elle ne doit pas conduire à certaines ignorances relatives à la vocation de la musulmane. Ainsi, en tant qu’épouse, mère et « gardienne du dogme », elle est invitée, par ordre divin, à « enfanter l’Oumma » (la Communauté des croyants) dans l’univers et ceci par tous les moyens mis à sa disposition, y compris des prescriptions contraignantes comme le port du voile ou l’acceptation de la polygamie.
Outre les méthodes de radicalisation féminine en Orient, l’auteur s’attarde sur les moyens utilisés en Occident dans la même intention « vertueuse » (associations et écoles musulmanes, revues militantes, réseaux sociaux, surveillances). Et puis, la femme trouve dans le djihad, y compris par l’attentat-suicide, le moyen de venger son infériorité. « Non seulement la femme peut tuer comme un homme mais elle peut tout autant que lui accéder au paradis. »
Autre constat : l’aveuglement de la police et de la justice françaises concernant la responsabilité de musulmanes ayant commis des actes criminels est désormais remplacé par la lucidité comme l’exprime cette remarque recueillie par Louise El Yafi : « On est passés de la femme de djihadiste à la femme djihadiste ». Ce livre d’une grande pertinence est un remède contre nos aveuglements.

Annie Laurent

LES GRANDS MINISTRES QUI ONT FAIT LA France
JEAN-CHRISTIAN PETITFILS (dir.)

Perrin, 2024, 390 pages, 23 €

Voici un ouvrage collectif qui nous présente, dans autant de chapitres, 22 courtes biographies de ministres qui jouèrent un rôle important dans l’histoire de France. À part une ou deux exceptions (fallait-il retenir Guillaume Dubois, conseiller du Régent, dans cette sélection ?), ce sont tous des personnalités de premier plan, allant de Suger à Pompidou en passant par Sully, Richelieu, Mazarin, Colbert, Choiseul, Thiers, Blum, Clemenceau et bien d’autres. Ces biographies, d’une vingtaine de pages chacune, délaissent presque entièrement la vie privée de ces grands hommes pour se concentrer sur leur rôle politique.
Ce sont dans l’ensemble de bonnes synthèses, très claires, qui disent l’essentiel, mais qui virent souvent au panégyrique : à croire que les grands ministres ne font jamais d’erreur, ni que leurs politiques n’aient pu avoir des conséquences néfastes pour la France. Jean-Christian Petitfils s’est réservé personnellement la rédaction des biographies de Richelieu et de Colbert, où il se révèle toujours aussi agréable à lire. Significativement, le dernier ministre traité est Pompidou : cela voudrait-il dire qu’après lui, il n’y en a plus qui mérite l’appellation de grand ministre ?
Un excellent ouvrage pour ceux souhaitant se faire une idée rapide de l’action politique de ces personnalités sans avoir à lire 22 biographies de 500 pages chacune !

Bruno Massy de La Chesneraye

GIOVANNI FALCONE
ROBERTO SAVIANO

Gallimard, 2025, 608 pages, 25 €

L’écrivain italien le plus connu au monde, Roberto Saviano, n’est pas en odeur de sainteté chez lui en Italie. La mafia veut sa peau depuis la publication de son premier roman Gomorra en 2006 ; Giorgia Meloni ne le porte pas dans son cœur depuis qu’il l’a insultée à la télévision. Mais en France, Roberto Saviano a eu tout le loisir de faire la promotion de son dernier ouvrage Giovanni Falcone (Solo e’ il coraggio pour le titre original) : ses démêlés avec le pouvoir le rendent intéressant, son sujet nous fascine et sa méthode est implacable. Son sujet, c’est celui du pool anti-mafia de Palerme où les juges foncent tête baissée vers la mort dans ce qui ressemble à une tragique course de relais qu’il faut mener à plusieurs pour ne pas perdre le fil, pour que la mort de l’un ne marque pas la fin d’une instruction qui doit conduire au maxi-procès : 1829 heures de débats, 475 accusés, 1265 tomes de procédure. Sa méthode, c’est celle du roman-enquête captivant où chaque chapitre rigoureusement sourcé donne à voir une facette de la vie plus ou moins intime de ces hommes d’un courage édifiant. À l’heure où l’Assemblée nationale doit voter sur la création d’un parquet national anticriminalité organisé sur le modèle de celui imaginé par Falcone et sur un nouvel arsenal contre le narcotrafic inspiré de la législation italienne, il peut être bon de faire la connaissance de Giovanni Falcone assassiné à Capaci le 23 mai 1992 avec sa femme et son escorte dans un déluge de pierres et de feu.

Arthur de Dieuleveult

OSEZ L’ESPERANCE !
Anti-manuel de résilience 
MATTHIEU DAUCHEZ
Artège, 2025, 178 pages, 17,90 €

C’est le titre du nouveau livre du P. Matthieu Dauchez, prêtre français qui œuvre auprès des enfants des rues de Manille. Anti-manuel de résilience ? Le titre est volontairement provocateur, la résilience trop souvent galvaudée. Le cheminement du récit parsemé de bouleversants témoignages, tel une montée spirituelle, veut prouver qu’au-delà des horreurs et atrocités subies par ces enfants, la résilience ne peut se passer de l’espérance. À la passivité de la résilience s’offre l’exigence du pardon et de l’espérance dans le mystère de la croix.

Anne-Françoise Thès

LE MYSTÈRE DE LA FOI
JON FOSSE – Entretiens avec Eskil Skjeldal
Artège, 2024, 174 pages, 18,90 €

Prix Nobel de Littérature de 2023, le Norvégien Jon Fosse est un dramaturge contemporain mondialement connu. Gnostique puis quaker, il est profondément inspiré par la mystique de Maitre Eckhart. Il se convertit au catholicisme en 2013, après une période tourmentée par l’alcoolisme et la dépression. Il se prête ici au jeu des questions posées par Eskil Skjeldal, journaliste et théologien, lui-même converti au catholicisme. Pudique, son itinéraire spirituel se dévoile peu à peu. La discussion à bâtons rompus est passionnante, sur l’art, la littérature, mais aussi hautement théologique. Ce qui frappe alors est la très grande humilité de cet artiste qui respecte le mystère de la foi que l’Église lui a offerte, même et surtout lorsque les questions posées se veulent quelque peu provocatrices.

Anne-Françoise Thès

CE QUE NOUS DEVONS AUX MEROVINGIENS
MICHEL FAUQUIER

Armand Colin, 2024, 304 pages, 24,90 €

Sous ce titre, se cache une suite d’études érudites portant sur la dynastie mérovingienne – les descendants de Clovis – et la civilisation associée. Ces études présentent l’intérêt de citer abondamment les sources d’époque – en version bilingue : latin / français ! Le choix de l’auteur de citer les noms propres dans leur forme latinisée courante peut désorienter le lecteur non averti (Clovis, par exemple, est nommé systématiquement Chlodouech). L’ouvrage n’est donc pas destiné à un lecteur cherchant une première initiation à la civilisation mérovingienne.
Les thèmes sont variés : la constitution du territoire du royaume franc ; le rôle croissant de Paris au sein du royaume franc ; le baptême de Clovis, son importance et sa date exacte ; l’analyse d’œuvres littéraires de l’époque peu connues. Certaines de ces études méritent le détour. Prenons deux exemples. Un chapitre analyse et montre que l’aristocratie de l’époque a cherché, face à la réputation de sainteté populaire de saint Martin, de promouvoir un modèle de sainteté supérieure, incarné notamment par saint Germain d’Auxerre, un saint issu de ses rangs. Un autre chapitre revient sur le développement des origines mythiques de la royauté franque où les traditions purement franques se trouvent progressivement remplacées par la légende de l’origine troyenne de la dynastie des Mérovingiens.

Bruno Massy de La Chesneraye

HEUREUX COMME DIEU
Le bonheur selon saint Thomas d’Aquin
ISOLDE CAMBOURNAC
Desclée de Brouwer, 2025, 196 pages, 18,90 €

Spécialiste et passionnée de saint Thomas d’Aquin, l’auteur, docteur en théologie, nous livre ici une remarquable introduction à l’œuvre du Docteur Angélique. Très finement, elle l’aborde avec le concept de bonheur, fin ultime de tout être humain. Qu’est-ce que le bonheur, qu’est ce qui nous rend véritablement heureux ? Quels sont les ingrédients à la béatitude que Dieu veut nous faire partager ? Autant de questions qui trouvent chez saint Thomas une réponse précise et I. Cambournac nous aide, avec parfois beaucoup d’humour, à dérouler le fil de sa réflexion philosophique. Les dernières pages vous livreront quelques précieux remèdes à la tristesse.
Et si vous souhaitez en savoir plus sur saint Thomas d’Aquin, vous pouvez notamment suivre les vidéos Youtube d’I. Cambournac : Un café avec Isolde www.youtube.com/@isoldec

Anne-Françoise Thès

Roman à signaler

L’ÉPICERIE DU PARADIS SUR TERRE
JAMES McBRIDE
Gallmeister, 2025, 512 pages, 25,90 €

Dans les années 70, à Pottstown, en Pennsylvanie, nous suivons la vie d’un quartier pauvre, Chiken Hill, où se côtoient Juifs et Noirs, autour de Moshe et Chona qui tient l’épicerie du Paradis sur Terre, cœur de ce quartier. Cette chronique est pimentée par la découverte d’un squelette vieux d’un demi-siècle. Mais l’intérêt majeur de ce beau roman, ce qui émerge chez McBride, c’est l’humanité de ses personnages, l’absence totale de ressentiment ou d’aigreur malgré l’adversité et la pauvreté. C’est au contraire la force de l’amour qui lève les obstacles. Bref, une belle vision de l’humanité.

Simon Walter

© La Nef n° 379 Avril 2025