Yassir Eric ©Wikimedia

Yassir Eric : un islamiste soudanais devient évêque anglican

Récit d’une conversion hors du commun.

Le monde des musulmans convertis au christianisme recèle souvent des surprises invraisemblables, voire époustouflantes. Le périple inhabituel et bouleversant d’un Soudanais islamiste devenu évêque anglican en est la preuve.
Un an avant sa promotion à l’épiscopat, il publie en 2023 en Allemagne un livre intitulé Hass gelernt, Liebe erfahren. Vom Islamisten zum Bruckenbauer (J’ai appris la haine, j’ai découvert l’amour. De l’islamiste au bâtisseur de ponts).
Cette autobiographie permet de découvrir l’histoire émouvante de ce musulman qui s’est radicalisé dans sa jeunesse en devenant un islamiste extrémiste. Cependant, des circonstances l’ont conduit à connaître plus tard le Christ, à fuir son pays, à devenir missionnaire et à présider Communio Messianica. En mars 2024, cet homme est consacré par l’Église anglicane évêque de Kigali, capitale du Rwanda.

Voici le parcours tumultueux mais passionnant de la conversion au Christ de cet homme hors norme.

Milieu familial islamiste

Yassir a vu le jour en 1972 dans une famille aisée et bien connue au Soudan, Al Tourabi. Son père lui a choisi ce prénom en souvenir de l’admiration qu’il éprouvait pour Yassir Arafat.
Chef de clan important dans la capitale Khartoum et officier militaire de haut rang, son père voulait que Yassir, son fils unique, suive ses traces et assume plus tard un rôle de premier plan dans son clan. Pour cette raison, et dès son plus jeune âge, il l’emmenait souvent avec lui aux réunions politiques comme dans les déplacements professionnels.
À l’âge de 8 ans, Yassir est placé par son père dans une école coranique située à 1000 km au nord de Khartoum. Il y reste deux ans pour apprendre le Coran par cœur sans avoir d’explications, sans poser de questions, ni formuler des réflexions critiques.
De retour dans sa famille, il apprend très tôt que les personnes d’autres religions, les femmes et les musulmans qui pratiquent un islam différent, sont considérés comme inférieurs, et qu’il faut même haïr les juifs et les chrétiens.

L’exécution de Mahmoud Mohammad Taha

Durant sa scolarité, le jeune Yassir est témoin de certains faits marquants, notamment de l’exécution de Mahmoud Mohamad Taha (1909-1985). Ce musulman libéral qui réclamait une nouvelle interprétation du Coran et rejetait la violence, l’intolérance et l’oppression au nom de l’islam, fut jugé et condamné à mort pour apostasie. Le grand-père et le père de Yassir célèbrent avec enthousiasme sa condamnation comme une victoire de l’islam sur un hérétique. En revanche, sa mère en était profondément triste parce que Taha revendiquait l’instauration de l’égalité entre hommes et femmes comme condition indispensable pour édifier une société moderne, juste et respectueuse de la dignité humaine.

Un camarade chrétien à abattre

Yassir, élevé dans la haine des juifs et des chrétiens, était convaincu que tuer un de ces « infidèles » c’est faire la volonté d’Allah.
Au lycée, il côtoie dans sa classe un élève chrétien qui s’appelle Zakaria. En raison de son rejet des chrétiens, il ne lui parle pas mais il l’observe de très près et constate qu’il est premier de sa classe dans toutes les matières. Il n’accepte pas qu’un incroyant destiné à l’enfer réussisse mieux à l’école que les musulmans orthodoxes. Donc il faut trouver une occasion pour se débarrasser de lui.
Au cours de la guerre entre le nord et le sud du Soudan, les lycéens devaient interrompre les cours une ou deux semaines, et à plusieurs reprises durant l’année scolaire, pour suivre un entraînement militaire. Pendant ces sessions, il arrivait parfois que des lycéens soient tués ou blessés. Yassir trouve alors ces conditions idéales pour son projet, car un meurtre pourrait être beaucoup plus facilement dissimulé dans le camp qu’au lycée. Il élabore alors un plan avec ses camarades à cet effet.
Lors d’une de ces sessions, Zakaria devait assurer la garde de nuit dans le camp. Déguisés, Yassir et ses camarades se cachent dans un arbre. Au moment où Zakaria passe à côté pour rejoindre son poste, ils l’attaquent violemment et le poignardent jusqu’à ce qu’il cesse de bouger. Devoir accompli, les jeunes s’enfuient et rentrent au camp avant le lever du soleil. Au lycée, personne ne sait comment Zakaria a disparu.

Sa conversion au christianisme

L’un de ses oncles, Khaled, était un officier supérieur des renseignements. Il était la figure masculine la plus importante pour Yassir et comptait pour lui comme un deuxième père. Cet oncle détestait l’Occident et le christianisme et utilisait sa position pour persécuter les chrétiens dans le nord du Soudan. Lors d’une conférence chrétienne soupçonnée d’être conspirationniste, il se faufile au sein du public. Il entend le pasteur parler de Saül et de la façon dont il pensait servir Dieu en persécutant les chrétiens autour de lui. Khaled, qui ignore Saül, se reconnaît dans cette histoire. Il croit que le pasteur est au courant de sa présence dans l’assemblée et qu’il parle délibérément de lui pour le dénoncer. Enragé, Khaled envisage de le tuer une fois l’événement terminé.
Quand ils se trouvent enfin seuls, Khaled menace le pasteur. Celui-ci lui parle avec peur de Saül de Tarse. Khaled se rend enfin compte que ce Saül a réellement existé. Il discute avec le pasteur jusqu’au soir et le laisse parler de la conversion de Paul qui est une source d’espérance pour tous, susceptible d’atteindre même les cœurs les plus durs et les situations les plus sombres.
Khaled, devenu curieux, retourne voir le pasteur à plusieurs reprises. Au cours de leurs conversations, il a été particulièrement touché par le fait que Dieu était miséricordieux envers Saül et l’acceptait, même si, comme lui, il avait persécuté les chrétiens. Et parce qu’il sent que Dieu lui parle personnellement, il décide peu après de devenir chrétien. À l’annonce de sa nouvelle foi, la famille le condamne et les autorités politiques l’incarcèrent.
Pour Yassir qui était alors étudiant à l’Université, le monde s’effondre à cause de la décision de son oncle. Le manque d’amour et la dureté qu’éprouve la famille à son égard le perturbent encore profondément. Il ne comprend pas la consternation qu’il vient de provoquer au sein de sa famille. Outre les insultes et les malédictions, elle ne lui souhaite que de finir ses jours en enfer.
Pour tenter de reconquérir son oncle à l’islam, Yassir s’adonne à des recherches dans le Coran. Il est ébloui d’apprendre que Jésus y est décrit « sans péché », « Parole et Esprit de Dieu ». Il y découvre également que Dieu a élevé Jésus au ciel et pas Mahomet. Il plonge alors dans le doute et se demande si les chrétiens n’ont finalement pas raison.
Le tournant décisif dans sa vie arrive deux ans plus tard. Les enfants de Khaled vivaient depuis la conversion de leur père dans la famille de Yassir. Un jour, Fouad, le fils aîné de Khaled, tombe gravement malade et plonge dans un coma profond. Restant au chevet de son cousin à l’hôpital, Yassir voit un jour deux chrétiens qui connaissaient son oncle Khaled entrer dans la chambre. Ils lui disent qu’ils sont venus prier pour son cousin Fouad. Par politesse, Yassir leur permet de le faire. Les deux se tiennent à côté du lit du malade et commencent à prier aussi intimement comme s’ils parlaient à un ami. « De grâce Seigneur ! Guéris-le ! Seigneur Jésus ! Aïe pitié de lui ! » répètent-ils plusieurs fois.

« Ibrahim, l’un des deux, écrit Yassir, a posé sa main sur la tête de Fouad en signe de bénédiction, l’autre lui a tenu la main. J’ai été impressionné par l’amour et la détermination avec lesquels ils ont prié pour lui. D’un autre côté, j’ai trouvé présomptueuse la façon dont ils traitaient Dieu. Quand je demandais moi-même quelque chose à Allah, je récitais toujours un verset coranique mémorisé et je n’osais pas dicter les actions du Tout-Puissant. Le fait que ces chrétiens prient au nom de Jésus m’a aussi dérangé. J’ai également été étonné qu’ils prient pour la guérison d’un garçon musulman. Quand je priais moi-même pour les chrétiens, c’était pour leur destruction. »

Un miracle se produit et le garçon en phase terminale revient à la vie après la prière. Fouad se réveille et Yassir est choqué. Comment une telle chose peut-elle se produire après la prière de ces deux chrétiens, alors que ses prières à lui restaient toujours sans effet ? Il parle à l’un des deux visiteurs de leur foi. Ce dernier lui explique que les gens sont pécheurs et donc séparés de Dieu. Le « péché » signifie se rebeller contre Dieu, se méfier de Lui et faire des choses qui sont contraires à Sa volonté. Afin que les gens n’aient pas à mourir en punition de leurs péchés, Dieu lui-même est venu dans le monde en Jésus qui a pris les péchés de tous lorsqu’il est mort sur la croix. Par conséquent, quiconque croit en Jésus-Christ peut être avec Dieu après sa mort.
La conversion de cet oncle bien-aimé et la guérison de son cousin après la prière des chrétiens à son intention déclenchent encore davantage de questions et de doutes chez Yassir. Il se rend vite chez un autre oncle qui était imam et lui pose des questions mais il ne reçoit de lui que des réponses insatisfaisantes, voire évasives. Sa longue recherche de la vérité le conduit à comparer l’islam avec le christianisme. Yassir se met à lire la Bible en secret tous les jours et essaie de plus en plus de rester à l’écart des réunions familiales afin d’éviter les questions désagréables. Il finit par mettre l’islam en question et change de foi en faveur du christianisme.
Très vite, sa famille apprend qu’il est désormais chrétien. La colère monte. Son père le bannit officiellement en 1991 et lui organise un enterrement symbolique. Un cercueil vide portant son nom est transporté dans les rues. Il voit même sa nécrologie dans la presse.
Par la suite, il se réfugie chez des amis ou chez des collègues à l’université. Il est même accueilli par un couple de Suédois qui travaillait dans l’aide au développement. Il ne pouvait pas y rester longtemps, car les services de renseignement le poursuivaient en permanence et le harcelaient. La seule issue qui lui restait c’était de fuir le Soudan.
Il réussit à quitter le pays pour le Kenya. Là, il commence à étudier la théologie et à suivre une formation technique. Une famille de chrétiens européens l’accueille et le prend dans son cœur. Ne pouvant pas obtenir de son pays les documents nécessaires pour renouveler son passeport au consulat, Yassir prend alors le nom de sa « famille de substitution » : ERIC.

Installation en Allemagne

Au cours de ses activités avec des organisations humanitaires sur place, il fait la connaissance de Maren, une jeune femme allemande. Grâce à elle, il réussit en 1998 à quitter le Kenya pour l’Allemagne. Ils se marient et fondent une famille dans le sud du pays d’où il prend un nouveau départ dans sa mission.
À Stuttgart, il rencontre dans une paroisse évangélique arabophone de nombreux convertis comme lui ayant vécu un parcours similaire au sien et subi également des persécutions à cause de leur conversion.
Yassir poursuit également ses études théologiques. Il obtient une Maîtrise en missiologie et un Doctorat en théologie de l’Université protestante de Wuppertal. Ordonné pasteur dans l’Église évangélique pour les migrants, il prêche dans divers lieux et aide les jeunes migrants de sa région à s’intégrer. À cette fin, il fonde en Allemagne l’Institut européen pour la migration, l’intégration et les questions islamiques (EIMI).
Sa connaissance des cultures, des religions et des langues africaines et arabes facilite sa mission comme pasteur et son action pour construire des ponts et favoriser la paix et la coexistence respectueuse entre les cultures.

Communio Messianica

Il a présidé Communio Messianica (CM) de 2016 à 2024. Cette structure autonome regroupe des millions de convertis de l’islam au christianisme dans environ 80 pays. Elle est reconnue par d’autres grandes Églises, notamment par l’Église anglicane, et peut dorénavant travailler sous son toit mais toujours de manière indépendante. Yassir est également ordonné prêtre anglican et peut baptiser et délivrer des certificats de baptême au nom de cette Église. En sa qualité de président du CM, il s’est rendu à plusieurs reprises dans les pays du Proche-Orient et de l’Afrique du Nord pour y soutenir et encourager les nouveaux chrétiens.
Le 10 mars 2024, il est promu évêque anglican de Kigali au Rwanda. Depuis lors, il se consacre pleinement à sa nouvelle charge.
Après ces quelques repères du parcours de cet homme exceptionnel, voici l’épilogue de son livre dans lequel il décrit la retrouvaille surprenante, 19 ans plus tard, avec le camarade de lycée que lui et ses copains ont attaqué et apparemment laissé pour mort.

Maurice Saliba

« Parce que tu me détestais si profondément, j’ai toujours prié pour toi. »  En 2008, j’assistais à une conférence pour les pasteurs du Proche-Orient au Caire. J’y ai rencontré de nombreux amis d’Égypte, de Syrie et de Jordanie. Le responsable de la conférence m’a demandé de clôturer par une prière le soir du premier jour. Alors que je me tenais devant le pupitre, j’ai remarqué dans la salle trois pasteurs soudanais que je ne connaissais pas. Après le programme de la soirée, je me suis dirigé vers ma chambre. En traversant la cour pour aller à la maison d’hôtes, j’ai remarqué un Soudanais venir vers moi. Il boitait légèrement car une de ses jambes était plus courte que l’autre. On aurait dit qu’il m’attendait. « Tu viens aussi du Soudan, n’est-ce pas ? » L’homme mince et timide aux cheveux gris a commencé la conversation. « Où exactement ? » « De Khartoum », répondis-je. « Dans quelle école es-tu allé ? De quelle famille viens-tu ? », voulait-il savoir. Personne ne m’avait posé ces questions depuis mon départ du Soudan, mais j’y ai répondu spontanément. Quand j’ai prononcé mon ancien nom de famille, des larmes ont coulé sur le visage sombre de l’homme. Il a dû remarquer mon irritation. « Tu ne te souviens pas de moi ? », m’a-t-il demandé en essuyant les larmes de ses yeux. La pupille de son œil droit ne bougeait pas ; il semblait aveugle de cet œil. J’ai également une bonne mémoire qui me permet de reconnaître les gens. Une fois que je rencontre quelqu’un, je l’identifie, même si je ne me souviens plus de son nom. Surtout si, comme ce Soudanais, il a une blessure de guerre. Mais là, j’étais absolument sûr de n’avoir jamais rencontré cet homme auparavant. Quand je l’ai regardé d’un air interrogateur, il a pris une profonde inspiration et a dit : « Je m’appelle Zakaria ». La force de ces mots m’a bouleversé. Après une brève période sous le choc, mes genoux ont commencé à trembler et les pensées ont traversé mon esprit à une vitesse record. J’ai immédiatement eu en tête toutes les images que j’avais refoulées pendant 19 ans : le harcèlement en classe, nos prières pour sa disparition, mes coups sur son corps, ses appels à l’aide dans la forêt la nuit. J’ai regardé l’homme devant moi : son œil aveugle, son pied boiteux, sa main infirme, c’étaient autant de marques que ma haine avait laissées sur son corps. Un sentiment de honte et de culpabilité m’envahit. Je me sentais dénoncé, comme si j’avais été pris en flagrant délit. Je n’oublierai jamais ce moment. Cette nuit-là, j’étais fier de ce que j’avais fait et certain d’avoir agi au nom de Dieu. Maintenant, la honte et la douleur me donnaient envie d’être invisible ou de m’enfuir. La culpabilité que je m’étais imposée cette nuit-là et que j’avais refoulée pendant des décennies m’avait rattrapé, elle me regardait, elle avait un visage et un nom. Et elle a vécu ! Zakaria. Je ne m’attendais plus à lui faire face à nouveau. Ma bouche était si sèche que je ne pouvais plus rien avaler. J’étais sans voix. Zakaria a supporté le silence. Le temps semblait s’être arrêté. Alors je me suis demandé : qu’est-ce qui vient ensuite ? Comment va-t-il réagir ? Zakaria aurait eu le droit de m’insulter, de me lancer des accusations, d’énumérer tous mes crimes. J’aurais accepté n’importe quoi de sa part, même s’il s’était vengé de moi. Non seulement je l’aurais compris, mais j’aurais dit : « Oui, je le mérite ! » Il commença à parler lentement, la voix brisée. « Yassir », dit-il en faisant une pause. Sa voix était paisible, presque heureuse, comme s’il rencontrait à nouveau, non pas son ennemi mais son ami. Puis, il a prononcé une seule phrase qui m’étonne encore aujourd’hui : « Parce que tu me détestais si profondément, j’ai toujours prié pour toi. » De sa main infirme, il ouvrit son sac et en sortit sa Bible. Ses doigts tremblèrent alors qu’il ouvrait la couverture du livre usé et en lambeaux. Il m’a montré la première page. Il y avait une liste de prières sur laquelle il avait écrit les noms les uns en dessous des autres. J’ai lu mon nom en haut. En dessous se trouve le nom de notre école. Je reculai d’un pas et le regardai avec admiration. J’avais détesté Zakaria et j’avais prié avec mes amis pour son élimination chaque jour après les prières du déjeuner. Zakaria, de son côté, m’a pardonné et a prié pour mon changement. Son comportement m’a montré l’amour de Dieu dans toute sa grandeur. Parce que répondre à la haine par la haine est humain, mais rencontrer la haine par l’amour est divin. Et cela nous ne pouvons pas le faire uniquement seuls.

© La Nef, exclusivité internet, mis en ligne le 20 mai 2025