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L’Église à l’épreuve du conclave : une charismatique institution

La récente et belle élection du pape Léon XIV nous a réjouis. Nous avons pu constater l’intérêt, et souvent l’enthousiasme, bien au-delà du cercle des catholiques ou même des croyants. Pendant vingt-quatre heures, les caméras du monde entier furent pointées sur une très modeste cheminée. Mais nombre de journalistes avaient besoin de faire des recherches, ou d’être assistés « d’experts », pour décrypter le fonctionnement d’une élection peu fréquente et qui conserve une belle part de mystère. C’est une occasion de réfléchir au fonctionnement institutionnel de notre Église.
En effet, l’Église est très souvent critiquée, en particulier comme institution. Pour certains, cette dernière risque de faire écran au message du Christ. La hiérarchie serait trop éloignée de l’Évangile et le fonctionnement institutionnel aurait peu à peu étouffé l’action du Saint-Esprit. Ainsi, il faudrait être en faveur de la charité, des initiatives personnelles et des charismes dans l’Église, et regretter, par ailleurs, le droit canon, la hiérarchie, la bureaucratie curiale et l’inertie de l’ensemble. L’institution est-elle un adversaire du charisme ?
La séquence que nous avons vécue – mort du pape, neuf jours de deuil, funérailles, congrégations générales, conclave, élection, fumée blanche, choix du nom, premiers discours du nouveau pape – était très cadrée et aussi très sereine. En fait, elle était sereine parce que cadrée. À la mort du pape, les cloches sonnent, mais il n’y a ni affolement, ni précipitation, ni tensions. Chacun sait ce qu’il a à faire. Le processus électoral pour nous donner un chef est inclus dans une liturgie millénaire et dans un cadre traditionnel de prière et de silence.
Cette organisation, venue du fond des âges, qui ose couper toutes les communications avec le monde, se révèle, en fait, particulièrement pertinente pour aujourd’hui. Elle permet une élection paisible, sans candidats déclarés, sans les invectives bien connues de nos démocraties modernes. Ce processus nous donne un élu, sans gagnants, ni perdants, et dans une belle unanimité. Toutes les grilles de lectures du type « conservateurs » ou « progressistes » s’avèrent erronées ou très incomplètes. Et, finalement les éminents vaticanistes de ce monde en sont pour leurs frais.
Dans la personne du cardinal Prevost, nous avons eu une excellente surprise, qui me semble signée. Avoir reçu un candidat aux si grandes compétences, mais relativement imprévu, montre bien que l’Esprit Saint agit. Voici le point important : l’Esprit n’a pas œuvré contre, ou à côté, de l’institution, mais dans et par l’institution. Le rite, le silence, le formalisme, le cadre liturgique, le droit canon furent et demeurent au service de l’Esprit et permettent une élection réelle, indiscutable, surprenante et même joyeuse. La tradition et l’histoire de l’Église ne sont donc pas un frein mais un atout pour son gouvernement, qui n’a pas à rougir face au fonctionnement politique d’autres pays ou institutions.

Le profil idéal

Léon XIV a un curriculum vitae ecclésial éblouissant. On se demande comment il a pu être absent de la plupart des listes des « papabile ». Il est pasteur et théologien, missionnaire et cardinal de curie, supérieur religieux international et évêque diocésain local, du Nord et du Sud, de Chicago et de Chiclayo, américano-péruvien aux origines espagnoles, italiennes, françaises et haïtiennes, polyglotte et j’en passe. Mais, comme un symbole, il est, en outre, canoniste et a enseigné le droit de l’Église – matière si importante, comme nous venons de le signaler, à la conduite spirituelle de la barque de saint Pierre. Il a réfléchi de longue date au service du gouvernement dans l’Église, puisque sa thèse de doctorat concerne le rôle du prieur dans l’ordre de Saint-Augustin.
Il est difficile d’expliquer clairement, sur un plan théorique, comment Dieu conduit l’histoire tout en conservant aux hommes, avec leurs forces et faiblesses, une liberté réelle. Comment l’Esprit peut-il guider son Église avec des décisions très ou trop humaines ? C’est un problème qui nous dépasse, de l’ordre du mystère. Mais, en revanche, sur le plan pratique, nous avons pu admirer, dans le concret, la subtile articulation des libertés humaine et divine, écrivant l’histoire sous nos yeux. Le nouveau pape, enfanté au long de ce chemin historique et institutionnel, nous semble bien venir d’en haut. Indubitablement ces dernières semaines ont affermi notre joie d’être chrétien et notre confiance, lucide mais forte, dans la plus vieille et la plus charismatique institution du monde.

Abbé Étienne Masquelier

© La Nef n° 381 Juin 2025