Salle d'audience de la Cour européenne des droits de l'homme à Strasbourg © Adrian Grycuk Wikimedia

La CEDH sous influence

La Cour européenne des droits de l’homme ou CEDH dispose d’un pouvoir exorbitant. Elle peut invalider une décision des plus hauts magistrats et juges français. Mais qui la compose ? Qui sont les juges qui détiennent un tel pouvoir ? La moitié d’entre eux ne sont pas même d’anciens magistrats, et nombre d’entre eux ont pris des positions politiques (progressistes) publiques. Un évident problème d’impartialité se pose. Pire, de graves questions d’intégrité ont été soulevées.

Peu de personnes sauraient nommer le juge français à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Il vient pourtant d’en être élu président et se nomme Mattias Guyomar. Or la CEDH peut invalider une décision des plus hauts magistrats et juges français : ceux de la Cour de cassation, du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel. Cette Cour a été créée en 1959 et la France a accepté son autorité en 1981. Aujourd’hui, elle compte 46 juges, un pour chaque État membre du Conseil de l’Europe. Tous ont un pouvoir égal, peu importe leur pays d’origine ou leur formation.

Qui sont les juges de la CEDH ?

Nous pourrions imaginer que, pour confier de tels pouvoirs à des juges, leur sélection répondrait à des critères très exigeants, qu’ils seraient les meilleurs magistrats dans leurs pays. Ce n’est pourtant absolument pas le cas. Sur les dix juges élus en 2024, seulement quatre sont magistrats. Sur la base de leur curriculum vitae, il apparaît qu’environ la moitié des juges de la CEDH ne sont pas magistrats. Ainsi, Mattias Guyomar, ancien membre du Conseil d’État, a le même poids que le juge albanais Darian Pavli, qui a fait carrière dans une ONG (Open Society Foundations [1]) ou que le juge autrichien András Jakab, qui est un universitaire de carrière. Or, contrairement aux magistrats de carrière, ces profils n’ont jamais été tenus à une obligation de réserve. Une partie importante d’entre eux ont donc pris des positions publiques – de gauche – avant leur nomination. Cette situation met en lumière un problème d’impartialité.
En plus de l’impartialité, la Cour se voit aussi confrontée à des questions plus graves encore, concernant l’intégrité de certains juges. En effet, pour reprendre l’exemple de Darian Pavli, outre le fait de ne pas être magistrat, il aurait embelli son CV de candidature. Il a en effet été élu juge en janvier 2019, en se présentant comme avocat, une condition requise par la réglementation albanaise. Pourtant, aucune preuve de son inscription à un barreau n’a été trouvée.
Le manque d’expérience et d’habitude des juges quant à l’éthique judiciaire entraîne d’autres dérives encore plus graves lors des jugements eux-mêmes. Entre 2009 et 2019, 22 juges issus de sept ONG actives à la CEDH ont jugé 88 affaires impliquant leurs propres organisations. Il s’agit de conflits d’intérêts. Une seconde analyse (2020-2022) a pu identifier 54 autres cas de conflits d’intérêts dans 34 affaires. Pour donner un exemple très récent, Darian Pavli a siégé en état de conflit d’intérêts début mars 2025, quand la Cour a condamné la Bulgarie dans une affaire de liberté de la presse. Or, le journal de la requérante est financé par Open Society Foundations (OSF) et son avocat est membre du Conseil d’administration de l’OSF. Pavli, ancien salarié de l’OSF, a pourtant siégé dans cette affaire.

La CEDH instrumentalisée

La CEDH est un lieu d’influence stratégique, car le faible nombre de juges concentre le pouvoir. Influencer une dizaine de juges sur 46 a beaucoup plus de poids que d’influencer, par exemple, dix députés parmi les 720 du Parlement européen. Or, en plus d’être une cible, certains des juges attirent encore plus les idéologues. En effet, certains, juges, qui doivent décider de la conformité d’une situation avec la Convention européenne des droits de l’homme, adoptent une lecture progressiste de la Convention, la considérant comme un « instrument vivant ». Cela permet les interprétations les plus larges. L’article protégeant le « droit à la vie » peut alors être interprété en justification de l’avortement : pour préserver la santé de la mère.
Certaines fondations privées, comme l’Open Society, ont bien compris l’enjeu. Cette dernière a beaucoup investi dans les plus petits pays de l’est de l’Europe, favorisant la formation des juristes de ces pays et donc la nomination de juges proches de leurs idées. En plus de cela, ces ONG alimentent le travail de la Cour en déposant des requêtes et en produisant des rapports, souvent repris dans les arrêts de la CEDH. C’est par exemple régulièrement le cas des rapports de Human Rights Watch ou d’Amnesty International. Certains membres du greffe sont d’ailleurs également issus de ces organisations.
Ces éléments sont constitutifs d’une forme de capture et de privatisation de l’institution, sur des affaires très sensibles : l’avortement, la liberté d’expression ou les expulsions d’étrangers. Souvent, ces requêtes visent les pays plus conservateurs sur ces questions, comme la Hongrie. Face à ces dérives, l’ECLJ, en mettant en lumière ces dysfonctionnements, a pu obtenir de la Cour des modifications de certaines de ses règles de fonctionnement afin de mieux la protéger de ces influences.

Louis-Marie Bonneau*
*Chercheur associé au centre européen pour le droit et la justice (ECLJ).

Nous poursuivons avec ce deuxième article notre partenariat de six mois avec l’ECLJ sur les institutions internationales, leur influence et leur idéologie. ECLJ : https://eclj.org

(1) Réseau de fondations créé en 1979 par le milliardaire américain George Soros.

© LA NEF n°381 Juin 2025