Lectures Juin 2025

RETRAITE SPIRITUELLE AVEC BERNANOS
L’or vivant des béatitudes
Père ROBERT AUGÉ, OSB
Éditions du Carmel, 2025, 260 pages, 16,90 €

Les Éditions du Carmel proposent une collection intitulée « Retraite spirituelle » et c’est une heureuse découverte que cette dernière parution consacrée à Bernanos, écrite autant que prêchée par le P. Robert Augé, moine de l’abbaye Sainte-Madeleine du Barroux et par ailleurs déjà auteur d’un excellent Bernanos maître spirituel (Éditions Sainte-Madeleine, 2023).
D’une durée de huit jours proposant deux méditations quotidiennes sur chacune des huit béatitudes, cette retraite s’appuie sur des textes de G. Bernanos tirés de ses romans, essais et correspondance.
Bernanos est une voix prophétique et extrêmement forte, sans compromis. Les grands thèmes qui traversent son œuvre, enfance spirituelle, recherche de sainteté, espérance, combat spirituel… s’accordent parfaitement à chacune de ces béatitudes et leur donnent une dimension et une lumière toute particulières, parfois fulgurantes, en résumé bernanosiennes.
Si cette retraite spirituelle doit être un temps privilégié de relecture de notre vie à l’aune des béatitudes, elle sera puissamment soutenue par la redécouverte de ces textes exigeants d’un des écrivains majeurs du XXe siècle et de sa profonde réflexion spirituelle.

Anne-Françoise Thès

DEVENIR HOSTIE
Une spiritualité authentiquement évangélique
JOËL GUIBERT
Artège, 2025, 330 pages, 20,90 €

« Redécouvrir l’offrande sacrificielle à laquelle tout fidèle est appelé, comme on revient à ses premiers amours, comme on ravive en soi le don reçu. » Telle est l’intention qui a conduit le père Guibert à rédiger cet ouvrage lorsque, méditant les propos de saint Paul qui exhortait les premiers chrétiens à offrir leurs personnes « en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu » (Rm 12, 1), il a pris conscience du développement de la répulsion actuelle de l’idée de sacrifice dans les milieux d’ancienne chrétienté frappés par une « apostasie tranquille », laquelle se manifeste aussi bien chez les laïcs que chez les religieux et les prêtres. Concernant ces derniers, l’auteur souligne que l’ordination sacerdotale ne se limite pas à un mandat ou à un envoi en mission mais implique une configuration au Christ jusque dans son sacrifice.
Pour tous les baptisés, « devenir hostie » consiste donc à entrer dans une démarche d’abandon sacrificiel à la volonté de Dieu et à la Providence, y compris dans les situations douloureuses et humiliantes, jusqu’aux chutes et aux péchés, à condition de s’ouvrir humblement à la miséricorde divine, inséparable de sa justice et étrangère à toute idée de vengeance. C’est pourquoi le P. Guibert insiste sur les bienfaits de l’ascèse et de la pénitence, donc de la confession, trop négligées de nos jours, mettant aussi en garde contre le danger des addictions modernes. Cette « spiritualité victimale », qui relève de l’offrande personnelle, consentie et assumée, choisie et non subie, ne doit pas être confondue avec le fatalisme ou le quiétisme car il s’agit de consoler Dieu qui veut associer l’homme à son œuvre rédemptrice, laquelle passe par le consentement à la Croix.
Il existe donc une « science de la croix », inséparable de l’amour, que l’auteur propose aux chrétiens de redécouvrir, dans la conscience de sa fécondité pour soi, pour le monde et pour l’Église, ce qui implique l’accueil de la gratuité, mais aussi le rejet de l’individualisme et de la dictature du relativisme. D’où l’utilité des prières de consécration et de l’accompagnement spirituel. Étayés par son expérience de prédicateur de retraites, les enseignements précis et les réponses concrètes proposés par le P. Guibert, enracinés dans le contexte actuel, s’appuient sur l’enseignement de l’Église et l’héritage de nombreux saints. Un livre précieux dont il convient de recommander la lecture pour retrouver la joie de l’abandon à Dieu.

Annie Laurent

LA GNOSE ANTIQUE
De l’archéologie du christianisme à l’institution du judaïsme
ANDRÉ PAUL

Cerf, 2025, 332 pages, 24 €

André Paul est un exégète et historien, auteur de multiples ouvrages sur les origines du christianisme, du judaïsme, du gnosticisme. Les religions gnostiques font partie des doctrines dualistes, pour lesquelles le Dieu transcendant et bon est opposé au démiurge, créateur maléfique du monde matériel. Dans cette étude très fouillée et très érudite, l’auteur explore les conditions d’apparition des doctrines gnostiques ainsi que leur positionnement par rapport à la philosophie platonicienne, au christianisme et au judaïsme, aussi bien le judaïsme hellénistique – de langue grecque – que le judaïsme pharisien postérieur à la guerre des Juifs contre les Romains (70 ap. J.-C.). Le rôle pivot de Philon d’Alexandrie, le philosophe le plus représentatif du judaïsme hellénistique, est mis en évidence avec brio.
Malheureusement, André Paul tombe dans le travers de bien des exégètes et des historiens, pour lesquels l’analyse fine des textes prend le pas sur les faits connus par des témoignages. Le modèle qu’ils se construisent au fil de leurs études n’est jamais remis en cause par les témoignages qui contredisent ce modèle. André Paul défend ainsi la thèse d’une rédaction très tardive de tous les textes du Nouveau Testament – y compris les lettres de Paul – au début du IIe siècle, l’Église étant une construction encore plus tardive, parce que selon son modèle d’émergence du christianisme, il faut qu’il en soit ainsi. Les témoignages de la Tradition ou d’historiens anciens qui attestent le contraire sont ignorés ou niés comme étant des interpolations. De même, pour lui, le dogme du péché originel est avant tout une réponse aux gnostiques au sujet du problème du mal, et les Évangiles sont des « textes de littérature », « friands de faits légendaires » sans dimension réellement historique. Il insiste lourdement sur le fait que, selon lui, le christianisme des origines est une philosophie, et non pas une révélation. La lecture de ce livre ne peut être conseillée qu’aux personnes ayant un solide bagage culturel et un – non moins solide – esprit critique !

Bruno Massy de La Chesneraye

YES KIDS
La colère d’une mère face aux nouveaux diktats de la famille
GABRIELLE CLUZEL

Fayard, 2025, 208 pages, 21,50 €

Yes Kids de Gabrielle Cluzel se veut une réponse au manifeste No Kids. 40 raisons de ne pas avoir d’enfants de Corinne Maier, publié il y a 18 ans. Le refus ou la peur d’avoir des enfants pour tout un tas de raisons – protéger la planète ou vivre sa vie sans la transmettre, par confort, ou encore être si mal dans sa peau qu’on redoute le fait de se reproduire –, sont des idées qui ont essaimé dans une société occidentale devenue « maternophobe » et « puerophobe », dénonce la journaliste. Elle lance, à rebours des tendances contemporaines, un véritable plaidoyer pour la maternité ; ce qui paraissait aller de soi il y a encore quelques années, avoir des enfants et en être fier, a tant été décrié qu’il est nécessaire de définir ce rapport au monde vieux comme l’humanité. L’auteur décrit combien certains discours féministes, loin de libérer la femme et de lui offrir la possibilité de s’accomplir pleinement, essaient d’imposer un schéma limité de ce que doit être une femme, et de ce qu’elle doit faire. En niant l’instinct maternel, en associant le travail d’une mère auprès de ses enfants à des occupations subalternes et méprisables, le féminisme a jeté l’anathème sur une part fondamentale de l’essence féminine. Avec justesse, l’auteur rappelle combien la « libération de la femme » permise par Mai 68 fut en réalité un nouvel asservissement de la femme au désir sexuel masculin, par la décorrélation de la sexualité et de la procréation. Sous contraception, « la femme est open bar », écrit-elle, ce qui offre à l’homme « la consommation sans le passage à la caisse de la responsabilité » procréative. 
Le livre explore aussi combien notre société est de plus en plus hostile aux enfants ; bruyants, remuants, ils suscitent l’ire de plus en plus d’adultes. L’augmentation des divorces, des familles monoparentales et la crise de l’éducation et de l’école ont produit des générations d’enfants rois rétifs à l’autorité que les adultes ne comprennent, voire ne supportent plus. Serait-il temps de rétablir les valeurs de discrétion et d’éducation ?, se demande l’essayiste.
Cet essai efficace, hymne à la vie incarné et nourri aussi bien par des exemples personnels que par des références philosophiques et culturelles, vise juste. Écrit d’une plume alerte et sans artifices, il se lit plaisamment. 

Éléonore de Vulpillières

LETTRE OUVERTE A QUI VEUT S’ENGAGER EN POLITIQUE POUR SERVIR LA FRANCE ET LES FRANÇAIS
CHRISTINE BOUTIN
Téqui, 2024, 290 pages, 22 €

Précarité, perte de repères, insécurité, dislocation du tissu social, défaillances de l’État, changements climatiques… Autant d’enjeux qui suscitent de légitimes angoisses devant une France déclassée, « consciente du vacillement de son destin ». Jamais pourtant nos raisons d’espérer contre toute espérance n’ont été si essentielles qu’en cet instant, assure Christine Boutin. Dans cette Lettre ouverte, la fondatrice de l’actuel parti « Via, la voix du peuple » livre les enseignements tirés de ses années d’engagement politique et propose huit chantiers nécessaires à la reconstruction du pays. Selon elle, celle-ci doit commencer par une restauration de l’autorité de l’État, qui lui-même ne comprend pas ses devoirs. Car s’il est bon qu’il se mette au service des plus fragiles, il se fourvoie en jouant le rôle qu’assuraient historiquement les solidarités « naturelles » et les corps intermédiaires, « à commencer par la famille ». Pour cette ancienne élue, le retour d’une France « forte » passera nécessairement par la réinstauration d’un pouvoir régalien « ferme, juste et efficace », mais surtout par un véritable idéal spirituel de dépassement de soi. Face à la question de l’immigration, la posture chrétienne se doit d’être équilibrée et réaliste, afin de tenir ensemble le devoir chrétien de l’accueil charitable de l’étranger, et la recherche du bien commun pour la France, qui suppose de se soucier de sa démographie et de sa sécurité. Or, pour se mettre au service du bien commun, le souverain doit admettre « que le mystère de l’homme le dépasse » et qu’il lui faut agir « avec humilité », spécialement aussi s’agissant des grands débats bioéthiques. Un appel riche et authentique à prendre à bras-le-corps les défis de notre « pays de vieille sève chrétienne », qui rappellent le kairos des Grecs, « ce moment bref où tout est possible à qui dispose de la lucidité et de la volonté d’agir ».

Madeleine Duffez

SITUER LE FASCISME
FABRICE BOUTHILLON
Cerf, 2025, 280 pages, 22 €

Fabrice Bouthillon se pose la question déjà souvent débattue de la nature et des caractéristiques du fascisme. Il le définit comme une addition des extrêmes – gauche et droite –, comme une sorte de centrisme inversé en quelque sorte. À la dimension égalitaire et universelle de la gauche, s’ajoute la dimension nationaliste et identitaire de la droite, les deux extrêmes ayant d’ailleurs des caractéristiques communes : la haine de la démocratie, l’antisémitisme et l’idolâtrie du chef incarnant le peuple et la nation. La ressemblance entre le stalinisme et le fascisme est remarquablement mise en évidence, y compris dans l’iconographie. La dimension quasi religieuse de la dévotion envers le chef – Duce, premier secrétaire du Parti ou Führer – qui devient ainsi un véritable antéchrist est mise en lumière par des études de textes très éclairantes.
Le dernier chapitre, peut-être le plus saisissant, s’attache à décrypter la relation complexe entre Hitler et Mussolini. À partir d’un ensemble de détails significatifs de la psychologie de Hitler (ambiance familiale toxique, expérience traumatisante durant la Première Guerre mondiale provoquant une cécité temporaire), l’auteur conclut à un comportement pathologique de ce dernier, qui considérait Mussolini à la fois comme un père de substitution et un thérapeute. Fascinant et glaçant !

Bruno Massy de La Chesneraye

LA SOBRIETE, CHEMIN DE LIBERTÉ
Comprendre le désir, à l’écoute des moines
Fr. PATRICE MAHIEUSalvator, 2025, 186 pages, 20 €

Voici un nouveau livre de la sagesse ! L’auteur, à la réflexion patinée par des lustres de vie monastique, part du désir, qui est le moteur fondamental de notre vie. Un des enjeux essentiels de notre existence consiste à modérer le désir polymorphe, non pas certes pour parvenir à une atonie des passions, mais pour orienter dans la liberté ce dynamisme ontologique vers le véritable bien. De là, l’éloge de la sobriété qui vise ultimement à l’unification de la personnalité, dans un contexte d’addictions saturantes, et à la communion des cœurs, dans une situation marquée par la divergence des droits individuels. C’est un véritable chemin de vie que nous propose le père Mahieu, qui passe par la connaissance de soi, laquelle relève quasiment d’une gageure dans une société de dupes où prévalent trop souvent les jeux de rôle. On appréciera notamment l’analyse subtile du rapport entre le plaisir – ou les plaisirs – et la joie (chapitre IV). L’auteur n’envisage pas cette relation de manière dialectique – Nietzsche aurait alors eu raison d’imputer les passions tristes au christianisme – mais parle judicieusement en termes de « conversion du plaisir ». Un ouvrage à consommer, lui, sans modération !

Chanoine Christian Gouyaud

LA FAMILLE AU CŒUR
PASCALE MORINIERE
Cerf, 2025, 166 pages, 18 €

Présidente des AFC (Associations Familiales Catholiques) depuis 2019, Pascale Morinière est bien placée pour explorer le rôle central de la famille dans une société en constante évolution. Mettant en lumière les défis auxquels les familles sont confrontées, tels que la fragilité des liens conjugaux, les transformations des structures familiales et l’impact des technologies numériques, l’auteur souligne que la famille reste un pilier essentiel pour la croissance individuelle et collective et défend une vision de la famille comme un lieu de solidarité, de croissance et de résilience, tout en proposant des pistes pour renforcer ces liens dans un monde en mutation.
Pascale Morinière évoque plusieurs évolutions des structures familiales modernes. Elle souligne les transformations telles que l’augmentation des familles monoparentales et recomposées, la diminution des familles nombreuses, ainsi que les nouvelles problématiques engendrées par les couples de même sexe. Elle met également en avant l’impact des modes de vie modernes, comme la mobilité géographique accrue et les rythmes de vie effrénés, qui peuvent parfois affaiblir les liens familiaux traditionnels.
Par ailleurs, l’auteure discute des défis liés à l’individualisme croissant, à l’éclatement des solidarités intergénérationnelles et à l’influence des technologies numériques, qui transforment les interactions familiales. Malgré ces bouleversements, elle reste optimiste quant à la capacité des familles à s’adapter et à réinventer des formes de cohésion et de solidarité, plaidant pour une redécouverte du rôle de la famille comme pilier du « vivre-ensemble ».

Anne-Françoise Thès

Roman à signaler

STELLA
PIERGIORGIO PULIXI

Gallmeister, 2025, 570 pages, 25,90 €

Piergiorgio Pulixi, maître du polar italien, revient en Sardaigne pour la nouvelle histoire de ses enquêteurs, Vito Strega, Mara Rais et Eva Croce, auxquels est dé­sormais associée la géante Clara Pontecorvo. Stella, très belle jeune femme de 17 ans, est retrouvée morte, affreusement défigurée, sur une plage de Cagliari. Stella était issue du quartier populaire de Sant’Elia où règnent les caïds du trafic de drogue, et elle était la petite amie de l’un d’eux, si bien que l’enquête s’oriente dans cette direction. Mais d’autres pistes s’offrent à nos quatre enquêteurs qui font apparaître des personnalités troublantes, la mère et la grand-mère de Stella, un curieux prêtre ou un professeur qui semble avoir été bien proche de la victime. Pulixi sait dérouler son histoire avec maestria, il nous tient en haleine et sait si bien décrire ce beau pays sarde à l’eau turquoise et ses habitants au caractère si fort. Dépaysement assuré.

Simon Walter

© La Nef n° 381 Juin 2025