© Pixabay

Les fruits de l’humilité

L’humilité est une vertu nécessaire à toute vie chrétienne, elle nous configure au Christ et nous procure de nombreux fruits dont la vraie liberté et la glorification de Dieu.

«Toute la religion du chrétien consiste dans l’humilité », affirme saint Augustin. Mais l’humilité, qu’est-ce exactement ? Mgr Charles Gay la définit ainsi : « vertu qui, sous l’empire de la lumière dans laquelle Dieu révèle à ses créatures ce qu’il est et ce qu’elles sont, les porte à s’abaisser » (1). Or, si nous admettons sans peine intellectuellement le rôle essentiel de cette vertu, nous constatons cependant combien sa pratique nous reste difficile. Aussi, pour nous encourager dans notre chemin d’humilité contemplons certains des plus beaux fruits qu’elle ne manque pas de produire chez toute personne en qui elle est solidement établie.

En tout premier lieu, il est bon de nous redire que l’humilité nous configure d’une manière toute spéciale à notre Sauveur. Dans une de ses paroles bien connues, qui a la saveur à la fois d’une confidence et d’un testament, Notre Seigneur lève un coin du voile sur l’abîme de son Cœur Sacré et nous dit : « Chargez-vous de mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez soulagement pour vos âmes » (Mt 11, 29). C’est un fait que sa vie terrestre n’a été qu’humilité et qu’en nous exhortant à cette vertu il nous invite ainsi à marcher sur un chemin qu’il a lui-même tracé. Or, ressembler toujours plus au Seigneur constitue notre plus beau titre de gloire et devrait être notre unique souci. Il est en effet la cause exemplaire de notre sainteté et lui devenir semblable constitue l’essence même de la vie chrétienne.

Notons ensuite combien l’humilité sauve. Il existe en effet un lien intrinsèque entre humilité et salut puisque c’est elle qui, fondamentalement, conditionne ce dernier. L’Écriture est très explicite à ce sujet : « Dieu résiste aux orgueilleux, mais aux humbles il donne sa grâce » (Jc 4,6). En décentrant l’âme d’elle-même et en la recentrant sur Dieu, l’humilité l’établit ainsi dans une attitude fondamentale d’ouverture et de réceptivité aux influences de la grâce divine. Ainsi, une âme humble est une âme qui se sauve, tout simplement parce que face à une telle âme Dieu a pour ainsi dire les mains libres pour la modeler à sa guise.

Vérité et liberté

Un autre très beau fruit de l’humilité est de nous établir dans la vérité. Nous sommes faits pour la vérité : pour la connaître et pour en vivre. Or l’âme humble accepte précisément la vérité que la lumière divine lui révèle sur Dieu et sur elle-même et la fait passer dans sa vie. Cette vérité est simple : le tout de Dieu, que Notre Seigneur formulait ainsi un jour à sainte Catherine de Sienne : « Je suis celui qui est, tu es celle qui n’est pas. » Tout est dit ! Mais loin d’en être contrariée, l’âme humble se réjouit au contraire d’un tel état de fait et met sa joie à s’abaisser devant ce Dieu et à lui être entièrement subordonnée : elle vit du vrai et dans le vrai.

Cette reconnaissance pratique du tout de Dieu produit un nouveau fruit : la liberté. Notre Seigneur nous en avait prévenus : « La vérité vous rendra libres » (Jn 8, 32). C’est en effet frappant de voir combien les saints, donc les humbles, sont radicalement libres. Convaincus du tout de Dieu, ils vivent désormais uniquement pour lui et sous son seul regard, persuadés que seul ce dernier compte au final. Ils sont par le fait même libérés du regard des autres comme du leur propre. À cet égard, l’expérience de saint Paul avec les Corinthiens est profondément éloquente : « Pour moi, il m’importe fort peu d’être jugé par vous ou par un tribunal humain. Bien plus, je ne me juge pas moi-même. Ma conscience, il est vrai, ne me reproche rien, mais je n’en suis pas justifié pour autant ; mon juge, c’est le Seigneur » (1 Co 4, 3-4). Si saint Paul est libre, c’est parce qu’il a conscience, ultimement, de ne plus rien avoir à prouver à qui que ce soit si ce n’est à Dieu seul.

L’humilité a aussi le merveilleux pouvoir d’établir l’âme dans la paix, la gratitude et la joie. Dans la paix d’abord puisque celle-ci est, selon le mot de saint Augustin, « la tranquillité de l’ordre. » L’humilité pacifie parce qu’elle remet dans l’ordre notre relation à Dieu, à nous-mêmes et au prochain. Chez l’humble tout est en ordre, partant tout est en paix.

Dans la gratitude ensuite, car l’humble considérant que rien ne lui est dû, et surtout pas de la part de Dieu, il s’émerveille d’autant plus de tout don reçu qu’il est mieux capable d’en apprécier la gratuité. Recevant tout don comme immérité et se considérant envers tous comme un débiteur insolvable, il s’ingénie à manifester sa gratitude en toute occasion. Dans la joie enfin, car l’humilité ouvre grand les portes de l’âme à l’action du Saint-Esprit, or nous savons bien que la joie fait partie du cortège des fruits de cet Esprit (cf. Ga 5, 22).

Un autre fruit de l’humilité, et non le moindre, est la magnanimité. À première vue, humilité et magnanimité pourraient sembler s’opposer. Elles sont en réalité profondément corrélatives. Si la personne humble est convaincue de son incapacité à tout bien par elle-même, elle ne l’est pas moins de la toute-puissance de Dieu et de sa grâce. De plus, l’humble ayant pour seul souci que la volonté de Dieu s’accomplisse en tout, il est ouvert à tout ce que la providence divine pourrait lui demander, fut-ce vertigineux à vue humaine, et très soucieux de faire fructifier généreusement les dons reçus. Ainsi, loin de conduire à la pusillanimité, l’humilité ouvre le champ des grandes actions, tout en en rapportant la gloire à Dieu seul.

Ce qui nous amène ainsi au plus beau fruit de l’humilité : la glorification de Dieu. Dieu est doublement glorifié par les humbles. D’abord en ce qu’il est toujours reconnu et proclamé par eux comme étant la source du bien qu’ils accomplissent. Ensuite en ce qu’il peut les doter d’une ressemblance à lui toujours plus grande.

N’ayons donc pas peur de suivre Notre Seigneur dans son chemin d’humilité, si exigeant soit-il. À sa suite, la pratique de cette vertu nous conduira infailliblement à la seule grandeur qui vaille : celle que Dieu veut pour nous. Un propos de saint Basile résume tout : « Aime l’humilité et elle te glorifiera » (Hom. 20, 7, PG 31, 540a).

Un moine de Sainte-Marie de La Garde

(1) De la vie et des vertus chrétiennes, ch. 6, Paris, 1875, p 300.

© La Nef n°380 Mai 2025, mis en ligne le 26 septembre 2025