Blocage du pays : le mal est en nous-mêmes

Manifestation contre la réforme des retraites en 2019 © Wikimedia Paule Bodilis

ÉDITORIAL

La France traverse l’une des crises politiques les plus graves de la Ve République, au point que la presse italienne se rit de notre « société arriérée et corporatiste » (Le Figaro du 16 septembre), incapable de se réformer. Sans doute la cause immédiate est-elle la médiocrité d’un président qui a provoqué le chaos institutionnel et n’a pas eu la dimension gaullienne d’en tirer la conséquence, à savoir démissionner. Mais l’impasse politique actuelle est comme l’arbre qui cache la forêt, car tous les indicateurs sont au rouge depuis longtemps, et les précédents gouvernements, bénéficiant pourtant d’une large majorité à l’Assemblée, n’ont strictement rien fait – aveuglement, démagogie, lâcheté, idéologie, impuissance, bêtise d’une vision à court terme… ? –, bricolant au mieux quelques réformettes et remettant aux calendes grecques les changements structurels dont le pays avait pourtant un urgent besoin.
L’effondrement démographique, le mépris de la famille, l’immigration, la montée de l’islamisme, l’insécurité culturelle et la violence, la dette, les retraites, la désindustrialisation et la désertification des campagnes, la bureaucratie et la charge fiscale, l’appauvrissement de la « France périphérique », le naufrage de l’Éducation nationale et de notre système de santé, la fuite en avant de l’UE vers l’ouverture des frontières… la liste est longue des questions cruciales que les politiques au pouvoir, depuis près de cinquante ans, n’ont pas voulu voir en face, par un incroyable déni des réalités, fustigeant les Cassandre qui, depuis des années, tiraient la sonnette d’alarme. Le résultat est que la France est aujourd’hui l’un des plus mauvais élèves de l’Europe et semble inapte à se réformer profondément, tant toute mesure entravant des « privilèges acquis » se heurte immédiatement à une opposition corporatiste refusant tout sacrifice, plus personne ne se souciant du bien commun.

Un système social obsolète

Les manifestations de ce mois de septembre cherchaient à protéger un système social que l’on croit toujours le meilleur du monde. Mais ce système a été conçu dans un contexte de croissance démographique, à une époque, au sortir de la guerre, où il y avait six actifs pour un retraité ; aujourd’hui on en est à 1,67 actif (et bientôt 1,4) pour un retraité. À cette même époque, les prélèvements obligatoires étaient à moins de 30 % du PIB, ils dépassent maintenant largement les 45 %, faisant de la France le champion du monde en la matière ; et les effectifs de la fonction publique sont passés d’environ 2 millions (10 % des actifs) à 5,5 millions (21 % des actifs). C’est dire le poids insupportable qui pèse sur la minorité qui crée les richesses dans ce pays.
C’est dire aussi combien le slogan gauchiste, « faire payer les riches », est totalement démagogique. Certes, il est indubitable que, depuis les années 1990, la mondialisation et la dérégulation de l’économie ont entraîné une inquiétante paupérisation des classes moyennes et le renforcement d’une petite caste de super riches concentrant en leurs mains un fort pourcentage de la richesse mondiale. C’est assurément une situation malsaine à corriger. Mais croit-on vraiment qu’on résoudra nos problèmes d’endettement en taxant cette petite minorité et en montrant du doigt ces « mauvais riches », faciles boucs émissaires ? Cessons de faire comme si les riches ne contribuaient pas à l’effort commun, alors que les deux tiers des Français reçoivent plus qu’ils ne versent à l’État et que 1 % des plus hauts revenus paie 32 % de l’IR. Prenons garde de ne pas tomber dans ce travers si français hérité de la Révolution : l’envie avec cette obsession de l’égalité, qui nous fait jalouser et détester la réussite.

S’attaquer à la dépense publique

Au point où en est ce pays, la solution n’est assurément pas dans de nouvelles taxes qui ne feront qu’alourdir le poids déjà écrasant porté par les actifs créateurs de richesses. C’est de l’autre côté de l’équation qu’il est temps d’agir : baisser la dépense publique. Évidemment, c’est plus difficile, cela demande force et courage, car cela exige des sacrifices et l’on se heurte immédiatement à des oppositions organisées qui ne veulent rien lâcher.
La difficulté est que le pays est tellement fracturé, il existe si peu de consensus sur des principes fondamentaux – ne serait-ce que sur une vision commune de l’homme, essentielle pour la cohérence d’une société – qu’il n’est pas facile de créer une dynamique entraînant une large majorité. Même sur le b.a.-ba qui devrait nous unir, l’amour de la patrie, la division est béante. L’ennemi est en nous-mêmes : une certaine gauche abhorre la France dans son être historique, dans sa culture et sa religion, elle n’a de cesse de faire table rase du passé long et, acquise au progressisme sociétal le plus fou, de reconstruire un homme autonome émancipé de toute limite, hors sol, qui ne doit rien à personne.
Nous ne sortirons pas d’une telle situation seulement par des mesures politiques et économiques, si nécessaires soient-elles par ailleurs. Il nous faudra aussi un électrochoc pour une véritable conversion intérieure qui nous apprenne à nous aimer en tant que peuple, et à retrouver le sens de la vie, la joie de fonder une famille… Les chrétiens sauront-ils être les ferments de cette révolution ?

Christophe Geffroy

© LA NEF n°384 Octobre 2025