
ÉDITORIAL
La déprogrammation, décidée par le maire de Marseille, du film Sacré Cœur dans une salle dépendant de la municipalité, au prétexte qu’il serait une atteinte à la laïcité, en dit long sur une certaine conception de ladite laïcité. Certes, l’événement est sans doute anecdotique, mais il est révélateur de l’état d’esprit d’une partie de nos dirigeants. Notre civilisation a le triste privilège de nourrir en son sein une frange de population qui rejette viscéralement le fond de sa propre culture, vouant une haine tenace à ce qui nous a façonnés : le christianisme en tout premier lieu, mais également la longue histoire nationale, heures sombres d’un passé obscurantiste dont la Révolution nous aurait heureusement délivrés. Une telle haine de soi n’existe pas dans les autres sphères civilisationnelles. Comment la comprendre ?
Liberté et refus des limites
Le christianisme a établi l’homme comme un être libre, libre au point de pouvoir rejeter Dieu. Il est de plus une religion de la foi, et non de la loi, et cette primauté de la foi sur la loi incite à l’émancipation du groupe (holisme). Ainsi, aucune autre religion n’a poussé aussi loin la liberté humaine et le respect de la dignité de la personne. C’est assurément un titre de gloire du christianisme, mais cette liberté bienfaisante a été dévoyée lorsqu’elle a été découplée de tout lien avec la vérité et les contraintes qu’elle implique. Néanmoins, « contrairement aux autres grandes religions, le christianisme n’a jamais imposé à l’État et à la société un droit révélé, un règlement juridique découlant d’une révélation. Il a au contraire renvoyé à la nature et à la raison comme vraies sources du droit » (1). D’où l’importance, pour le politique, de reconnaître au-dessus de lui la loi morale naturelle accessible à la raison.
Ne supportant pas les contraintes non choisies, les modernes n’ont eu de cesse de s’en émanciper : de Dieu d’abord, de la nature ensuite (et de la loi naturelle), de la culture enfin, l’homme devant être « libre » de se façonner lui-même à partir de rien, sans devoir quoi que ce soit à son héritage de naissance, sa religion, son genre, sa culture, sa patrie charnelle, etc.
Ce mouvement me semble expliquer en partie la « haine de soi » qui caractérise une fraction des populations occidentales : une réelle liberté comme nulle part ailleurs, et une volonté d’émancipation des vieux cadres civilisationnels qui sont autant d’obstacles à abattre et qui deviennent de ce fait détestables. Cela me paraît cependant insuffisant.
Pour en arriver au point où nous en sommes, il a fallu des événements cataclysmiques, dont la Révolution française, plus antichrétienne qu’antimonarchiste, a été comme le point de départ. En effet, affranchie de la tutelle du christianisme, la Révolution a lâché la bride à l’hubris d’hommes « libérés » des limites morales de la religion. Ainsi, la Terreur, d’abord, a posé les bases du totalitarisme, Napoléon, ensuite, a tenté de conquérir l’Europe en inaugurant les guerres modernes, engageant d’immenses masses réquisitionnées par la conscription. Les nations, au XIXe siècles, à mesure que reculait le christianisme, furent prises d’une lubie de puissance, et l’Europe, par sa supériorité économique, scientifique et militaire, domina le monde et le colonisa en partie. Enfin, le nationalisme, aveuglé par l’orgueil, aboutit à la boucherie de 14-18, véritable suicide du vieux continent qui, malade, développa en son sein les pires totalitarismes athées, conduisant à la nouvelle folie meurtrière de la Seconde Guerre mondiale, avec toutes ses horreurs innommables.
Plus de réflexes d’auto-défense
L’Europe est sortie traumatisée de cette longue séquence et sans doute ne s’en est-elle pas encore totalement remise. Car notre civilisation demeure imprégnée de christianisme, seule religion qui impose l’examen de conscience et permet un esprit critique sur soi-même. Nous sommes la seule civilisation capable de reconnaître nos fautes et de les corriger. Les atrocités ne manquent pas dans les autres sphères civilisationnelles, cela ne les pousse pas à s’interroger ni à se remettre en question.
Ce second aspect, couplé au premier, explique, me semble-t-il, la « haine de soi » qui sévit chez nous. Reconnaître ses fautes est une force, si l’on essaye d’en tirer les conséquences et non de s’apitoyer sur soi-même. Or, par esprit de culpabilité, l’Europe en est arrivée à perdre tout réflexe d’auto-défense ; cela est vrai dans de multiples domaines : notre démographie décline dangereusement sans réaction notable ; en économie, nous sommes la seule entité géographique à ne pas se protéger du dumping social ; pire, nous sommes les seuls à nous imposer des normes qui nous pénalisent ; plus gravement encore, nous sommes incapables de réagir à l’immigration massive qui déstabilise nos sociétés et sommes aveugles devant l’islamisme qui se répand et impose peu à peu ses codes.
L’Europe se meurt à mesure qu’elle s’éloigne de Dieu. Pour se redresser, elle ne pourra faire l’économie d’une conversion.
Christophe Geffroy
(1) Benoît XVI, Discours au Bundestag, à Berlin, le 22 septembre 2011.
© LA NEF n°385 Novembre 2025
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