L’islam est-il violent en lui-même dès l’origine ? Réponse à partir de l’exemple de Mahomet et du Coran.
C’est un tabou majeur, car tout le monde a peur : les musulmans en premier, et les non-musulmans, chrétiens ou non. On fuit, en disant : « Ce n’est que la dérive d’un islam pacifique ! » Seul l’islamisme radical serait violent et à rejeter. Pourquoi donc l’islam majoritaire ne lutte-t-il que si peu contre cette « dérive » ? Cela bouleverserait la vision coranique de Dieu. La timidité des réactions musulmanes contre la radicalisation signe le problème de fond.
L’islam est violent depuis le début parce qu’il l’est sur le fond de sa vision bien humaine de Dieu. Ainsi les décapitations de Daech ne sont pas une dérive car Mahomet, le « beau modèle » (33, 21), en mars 627 à Médine a fait décapiter plus de 700 juifs. Beaucoup d’Arabes du vivant de Mahomet étaient contraints à se soumettre : car à sa mort (2/3 de l’Arabie sous son pouvoir), l’ensemble des tribus arabes s’est soulevé, abandonnant l’islam. Le premier calife de Médine dut appeler les armées déjà en conquête au Nord sur les Byzantins, pour mater sans ménagements cette « apostasie » (« guerres d’apostasie ») et imposer l’islam. À Médine, usant du pouvoir politique avec habileté, Mahomet a dirigé plus de 60 expéditions militaires en 10 ans jusqu’à sa mort, et participé personnellement à la moitié d’entre elles.
Avant l’Hégire, repli en 622 face aux difficultés de sa réforme politico-religieuse dans sa ville de La Mecque, la vision coranique de Dieu était déjà violente, mais sans pouvoir politique. Par opportunisme, Mahomet se cantonna à la polémique et aux menaces contre les non-musulmans : dès les premières sourates (chapitres) du Coran (1). Car la vision coranique de Dieu est une vision très humaine d’une transcendance « pesante » (selon le philosophe franco-marocain Abdennour Bidar), pour ne pas dire dominatrice, ou narcissique (qui prend toute la place) : l’altérité avec lui est impossible, une « soumission » (islâm) servile, sans liberté. Un grand soufi (mystique) afghan de Hérat (XIe s.) disait à Dieu : « Tu es tout, et c’est tout » !
Alors les expéditions (maghâzî) tribales pour le butin (2) devinrent guerre sainte (« djihad sur la voie de Dieu ») puis conquête, manière aussi de fuir les forces de division entre tribus. Mahomet est reconnu, par les musulmans eux-mêmes, comme le Prophète armé. Ils le justifient par la bonne cause, la légitime défense, et le contexte de l’époque (habitude culturelle bédouine des razzias et de montrer sa force). « Aux temps coraniques, l’expression “sur le chemin de Dieu” évoque l’idée du combat par les armes » (3). « Le pouvoir appartient à Dieu seul » (12, 40). Les versets coraniques explicitement violents avoisinent une centaine (4), dans les sourates du temps de Médine. « La discorde (rejet de la foi islamique) est pire que le meurtre » (2, 191.217) justifie le fait de tuer au nom de Dieu. Les infidèles, « Tuez-les partout » (2, 191 ; 4, 89.91 ; 9, 5 ; 33, 61) où vous les trouverez. Le combat est « prescrit » par Dieu : 2, 216.246 ; 4, 77. Dieu est Lui-même reconnu comme violent : 4, 84 ; 12, 39 ; 50, 45.
Le refus de devenir musulman (« émigrer [5] dans la voie de Dieu »), est une agression qui pousse déjà à la « légitime défense » (6). Il y a susceptibilité, ressentiment contre tout ce qui n’est pas musulman (toute altérité met en danger), et apparente sûreté de soi. Ce n’est pas uniquement dans l’islamisme radical, comme on veut nous le faire croire. Pour les musulmans en effet, le Coran est descendu en dictée céleste (tanzîl) depuis Dieu par l’ange Jibrîl (le Gabriel coranique) ; il est la dernière correction faite à toutes les descentes par les prophètes précédents mais falsifiées par leurs adeptes (comme les juifs et les chrétiens). Il serait donc la version ultime, le sommet de la Révélation. De plus la supériorité des musulmans sur les infidèles doit être marquée : « modestes envers les croyants et puissants envers les infidèles » (5, 54), comme « durs envers les infidèles et miséricordieux entre eux » (48, 29), sourates tardives qui abrogent les versets plus anciens qui seraient plus ouverts.
Enfin le djihad guerrier est la seule certitude coranique de conduire au Paradis : « Nous accorderons une récompense sans limite à celui qui combat dans le chemin d’Allah, qu’il soit tué ou qu’il soit victorieux » (4, 74 ; cf. 3, 168-174 ; 4, 95). C’est une motivation majeure. Car les vrais croyants sont des combattants violents, de vrais moujahids (3, 167 ; 4, 76 ; 5, 54 ; 8, 74 ; 9, 19-20 ; 49, 15 ; 57, 10).
Devant ces pièges fondamentaux, avec leurs variantes conjoncturelles socio-historiques, le confortable aveuglement est un pacifisme porteur de graves violences futures. Seule la force de la vérité pourra aider musulmans et non-musulmans à résoudre leurs problèmes en assumant leurs pleines responsabilités dans la paix.
Père François Jourdan
Deux des ouvrages récents du Père François Jourdan ont été réédités en un seul ouvrage : Islam et christianisme. Comprendre les différences de fond, L’Artilleur, 2015.
(1) Quelle que soit la datation de référence : canonique islamique comme la 68 et la 73, ou des islamologues modernes comme la 91.107 ou 86. Le Prophète est « Avertisseur » pesant et menaçant.
(2) Rhazzias avec pauses des mois « sacrés » sauf raison grave comme en 2, 217.
(3) Louis Gardet, L’islam, religion et communauté, DDB, 1970, p. 132.
(4) Sans parler des versets contre la liberté religieuse, sur les ruses de Dieu qui égare, et les incessantes polémiques : djihad guerrier, surtout sur la racine qtl (tuer, 170 fois) notamment qitâl (le « combat », 13 fois) et le verbe qâtala en particulier à la 3e forme (50 fois : « combattre jusqu’à tuer »…).
(5) Même mot que « Hégire ».
(6) 4, 89.91 ; 9, 29 ; 47, 4 ; cf. les commentaires de Hamidullah.
© LA NEF n°283 Juillet-août 2016