Le cardinal Philippe Barbarin © MEDEF-Commons.wikimedia.org

L’affaire Barbarin

Le procès de l’« affaire Barbarin », qui s’est tenu du 7 au 10 janvier dernier devant le tribunal correction de Lyon pour non-dénonciation d’agression sexuelle sur mineurs de 15 ans et mise en danger d’autrui, était exceptionnel à plus d’un titre. Exceptionnel quant au statut des prévenus : deux cardinaux, un archevêque, un évêque, un vicaire général et deux laïcs. Quant au nombre de plaignants : dix victimes de l’abbé Bernard Preynat, sur les soixante-dix environ abusées entre la fin des années 1970 et l’année 1991. Quant à la procédure utilisée : une citation directe, grâce à laquelle ces plaignants ont pu passer outre le classement sans suite de la plainte par le procureur et faire comparaître directement les prévenus devant la justice. Enfin, quant au retentissement : une couverture médiatique intense, allant bien au-delà de la sphère francophone.

L’enjeu strictement juridique de ce procès, dont le verdict est attendu le 7 mars prochain, est désormais connu et concerne, au-delà de la matérialité des faits reprochés aux prévenus, l’interprétation qu’il convient de donner de l’article 434-3 du code pénal, relatif au délit de non-dénonciation d’agression sexuelle sur mineur de 15 ans. Il appartiendra à cet égard au tribunal correctionnel de répondre à plusieurs questions complexes et délicates : peut-on imputer ce délit à une personne lorsque, à la date où elle prend connaissance de l’agression sexuelle, la victime est devenue majeure ? De même, y a-t-il délit lorsque, à cette même date, l’infraction principale – l’agression sexuelle – est prescrite ? Suffit-il par ailleurs, pour que le délit soit constitué, que cette personne s’abstienne d’informer les autorités judiciaires ou administratives ? Ou faut-il une véritable intention d’entraver l’action de la justice en cachant la vérité ? Enfin, dans le cas où il peut être effectivement reproché à une personne d’avoir commis un tel délit, le délai de prescription, d’une durée de trois ans, commence-t-il à courir dès que celle-ci a connaissance des faits ?

À se fier à la position du procureur, exprimée tant lors du classement sans suite de la plainte en justice déposée par les victimes que lors de l’audience, l’hypothèse d’une relaxe des prévenus apparaît comme la plus probable. En effet, lorsque le cardinal Barbarin a eu connaissance des agressions sexuelles commises par l’abbé Preynat, une partie d’entre elles était déjà prescrite. Et pour celles qui ne l’étaient pas, la plainte en justice a été introduite plus de trois ans après la prise de connaissance de ces agressions sexuelles, ce qui a eu pour effet de frapper de prescription le délit de non-dénonciation lui-même.

Reste que l’enjeu du « procès Barbarin » dépasse, et de loin, ces seules questions juridiques, puisqu’il s’agissait, à travers les débats à l’audience, de faire la lumière sur l’impunité dont a bénéficié l’abbé Preynat de la part des archevêques de Lyon successifs et, plus généralement, sur la politique de la hiérarchie catholique visant à couvrir les abus sexuels commis par les clercs. À cet égard, le cas de l’abbé Preynat apparaît comme un véritable cas d’école. En effet, alors que, en 1991, les parents d’une jeune victime avaient exigé du cardinal Decourtray qu’il éloigne le prêtre de tout ministère auprès des mineurs, celui-ci s’est borné à le priver de sa charge de vicaire pendant quelques mois et, contrairement à l’engagement pris auprès des parents de l’enfant, lui a confié rapidement une autre paroisse. De même, le cardinal Billé, également informé du comportement de l’abbé Preynat, ne lui a imposé aucune mesure restrictive particulière. Enfin, le cardinal Barbarin, archevêque de Lyon depuis 2002 et auquel l’abbé Preynat avait assuré ne pas avoir récidivé depuis 1991, l’a maintenu dans ses responsabilités, y compris lorsqu’une ancienne victime a alerté l’archevêché, en juillet 2014, sur l’urgence de muter le prêtre sur un poste non exposé aux mineurs. Et c’est seulement au mois d’août 2015, à la suite d’une plainte déposée en justice par cette victime, que le cardinal Barbarin a finalement démis l’abbé Preynat de toute fonction.

En réalité, et quel que soit le verdict que rendra le tribunal correctionnel de Lyon, ce procès a également jeté une lumière crue sur les conséquences désastreuses auquel a conduit un certain anti-juridisme qui a gagné une partie de l’Église après le concile Vatican II. Alors que le code de droit canonique contient toutes les dispositions utiles pour organiser, contre un prêtre abuseur, un procès pénal, alors que ce même code prévoit des sanctions très sévères en la matière, allant jusqu’au renvoi de l’état clérical, il aura fallu attendre le mois de décembre 2016 pour que s’ouvre le procès canonique de l’abbé Preynat. L’incapacité de l’Église, dans cette crise des abus sexuels, à rendre justice – à rendre sa justice –, sous le prétexte d’une conception erronée de la miséricorde, est aussi une des grandes leçons de l’affaire Barbarin.

Jean Bernard

© LA NEF le 18 janvier 2019, exclusivité internet