Dans la nuit du 13 au 14 avril derniers, l’Iran attaquait Israël par les airs. C’est la première fois depuis 1991 que le territoire de l’État hébreu était attaqué par un autre État, mettant en lumière un rapprochement entre Israël et un certain nombre d’États arabes. Quelle est la stratégie iranienne ? Quels dangers, externes ou internes, guettent Israël ? Décryptage.
Orages d’acier. C’est le titre du roman autobiographique d’Ernst Jünger, vétéran allemand de la Première Guerre mondiale, qui apporta la célébrité à son auteur en 1920.
Mais cela pourrait être également le résumé de l’opération menée par la République islamique d’Iran contre l’État d’Israël, dans la nuit du 13 au 14 avril 2024. Baptisée « Promesse honnête », elle consista en un tir de 330 engins – drones et missiles – contre le territoire israélien. C’est la première fois depuis la guerre du Golfe en 1991, où Saddam Hussein lança des missiles Scud contre Israël, que le territoire de l’État hébreu était attaqué par un autre État.
Quel retournement depuis les temps bibliques ! En effet, au VIe siècle avant Jésus-Christ, les Assyriens, peuple sémitique proche des Arabes, avaient déporté le peuple juif en captivité à Babylone. Ce furent les Perses, peuple indo-européen et ancêtres des Iraniens, qui détruisirent l’Empire assyrien et libérèrent les Juifs, leur permettant de rentrer chez eux. L’empereur perse Cyrus fut ainsi qualifié « d’oint de Yahvé » par les Juifs. Mais aujourd’hui, l’Iran apparaît comme l’ennemi principal d’Israël. Au contraire, un rapprochement s’est opéré entre Israël et un certain nombre d’États arabes – comme la Jordanie, l’Égypte, le Maroc, les Émirats arabes unis, le Soudan (pays qui ont reconnu Israël) ou l’Arabie saoudite (qui n’a pas reconnu Israël, mais s’est rapproché de lui officieusement). Contre l’Iran ethniquement perse et confessionnellement chiite, ces pays arabes sunnites ont estimé qu’une détente avec Israël constituait un moindre mal. D’ailleurs, les Émirats arabes unis et la Jordanie ont joué un rôle crucial (au côté des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France) dans la défense du territoire israélien lors de l’attaque iranienne. Cette solidarité jordanienne et émiratie a montré qu’Israël était moins isolé que ce que l’on pouvait croire à la suite des opérations menées par Tsahal à Gaza.
Contrairement au raid du 7 octobre lancé par le Hamas (1300 Israéliens tués), l’attaque iranienne ne fit aucun mort. Cela s’explique aisément : l’Iran avait prévenu les États-Unis de son attaque trois jours plus tôt ! La stratégie de l’Iran était simple : infliger un camouflet à Israël en frappant son sol… mais sans faire de victimes civiles, afin d’éviter une escalade incontrôlable. Il s’agissait de venger symboliquement la frappe israélienne du 1er avril contre le consulat iranien de Damas en Syrie, frappe qui avait fait seize morts (dont huit Gardiens de la Révolution iraniens, parmi lesquels deux responsables importants). En effet, les mollahs qui gouvernent l’Iran font le pari, à tort ou à raison, qu’on en restera là, supposant que les États-Unis retiendront Israël dans son projet de représailles. Ils savent que Joe Biden, en pleine campagne électorale, n’a aucune envie d’assister à une guerre irano-israélienne, avec tous les problèmes géopolitiques et économiques que cela entraînerait.
Mais il n’en va peut-être pas de même pour Benyamin Netanyahou, le Premier ministre israélien. À la tête d’une coalition hétéroclite, obligé de donner des gages aux ultras qui le soutiennent, Netanyahou sait très bien que s’il perd le pouvoir, il risque de finir devant un tribunal, notamment pour répondre de ses graves manquements dans le domaine sécuritaire, manquements qui ont permis au Hamas de lancer l’attaque du 7 octobre. Comme un cycliste qui risque de tomber s’il ne pédale plus, Netanyahou a besoin de la guerre pour se maintenir.
Dans la nuit du 18 au 19 avril, Israël a lancé des frappes contre l’Iran. Là encore, ces représailles furent purement symboliques. Mais Netanyahou pourrait être tenté de lancer une véritable attaque contre le Hezbollah libanais, pion de l’Iran dans la région. Cela lui permettrait de faire la guerre sans se lancer dans un affrontement direct avec l’Iran dont les États-Unis ne veulent pas entendre parler.
Mais à terme Israël court le risque d’une guerre sur plusieurs fronts : la bande de Gaza au sud, le Hezbollah libanais au nord, une nouvelle Intifada en Cisjordanie, une révolte des Arabes d’Israël, un affrontement plus ou moins intense avec l’Iran en arrière-fond.
Et ce risque est d’autant plus inquiétant que l’opération en cours à Gaza révèle qu’Israël n’a ni véritable stratégie, ni buts de guerre réalistes et clairement identifiés. Après six mois d’action à Gaza, des dizaines de milliers de bombes déversées, un blocus asphyxiant, plus de 30 000 morts (dont de très nombreux civils), la destruction de 60 % des habitations dans le nord de l’enclave, le dynamitage de la dernière université… le chef du Hamas court toujours et tous les otages n’ont pas encore été retrouvés. C’est parce que ce bilan est consternant qu’Israël devrait éviter de nouvelles opérations. Mais c’est aussi parce que son bilan est consternant que Netanyahou pourrait être tenté par de nouvelles guerres, dans ce qu’on appelle communément une fuite en avant.
Jean-Loup Bonnamy
© LA NEF n° 369 Mai 2024