Couverture du roman Simulacre de François-Régis

La possibilité d’un roman

Le roman est-il encore possible ? La question revient, lancinante, à chaque bouleversement du monde, mais peut-être avec plus d’insistance aujourd’hui. Il est vrai que toute forme a sans doute une durée de vie limitée. Qui aurait aujourd’hui l’idée d’écrire une épopée ou un sonnet ?
L’extrême variété des formes romanesques – à moins que ce ne soit dû qu’à la relative jeunesse du genre – lui a toutefois permis de survivre tant bien que mal. Ce qui est instructif est surtout ce qui est supposé, à chaque époque, rendre le roman caduc. La mort de l’individu et donc du personnage ? La désinvolture envers les tiraillements charnels ? La victoire de Big Brother ?…Le propre du roman pourrait être d’explorer ce qui, dans la société de son auteur, tend à le rendre impossible. Si tel est le cas, Simulacre est bien un roman – la menace est ici l’Intelligence Artificielle –, même quand son narrateur annonce « entreprendre le récit du triomphe de la science, le récit de la fin du roman ». François-Régis de Guenyveau a retenu la leçon de Husserl et de Kundera : le drame de la modernité est d’avoir écouté Descartes au détriment de Rabelais. Le calcul, l’efficacité et l’algorithme l’ont emporté sur l’écart, la poésie et l’incarnation.
Même si certains de ses personnages pourraient avoir plus d’épaisseur, le mérite de Simulacre est de ne pas être un essai déguisé en roman, mais de creuser les affres existentielles d’apprentis artistes, confrontés à la toute-puissance de l’I.A. et de la surveillance idéologique qu’elle aggrave. Roman, puisqu’il explore les soubresauts d’un monde qui meurt, mais roman qui rend un discret hommage à un autre genre, vivant différemment la même crise. Simulacre trouve en effet une de ses plus belles pages dans l’évocation d’un moment de grâce théâtrale, sur ces tréteaux d’un art qui, malgré les tentatives de réanimation numérique de la scène actuelle, ne saurait se passer d’une chair transfigurée par la parole.
Nul simulacre chez l’auteur, donc, puisqu’il démontre en acte que le roman est encore possible, tout en amenant le lecteur à se demander jusqu’à quand.

Henri Quantin

  • François-Régis de Guenyveau, Simulacre, Fayard, 2024,
    360 pages, 22 €.

© LA NEF n° 369 Mai 2024