En refusant d’accepter la démission – la « remise de charge » comme dit le Cardinal – de Mgr Barbarin, le pape François a heureusement sanctionné un processus morbide, qui enclenché sans doute légitimement par des victimes réelles, a été changé par un juge à l’évidence partial en un procès « politique » contre l’Église comme institution, l’archevêque de Lyon n’étant plus qu’une pièce de l’échiquier, une « pertes-et-profits », un bouc émissaire bien pratique pour satisfaire ce que Muray appelait « l’envie du pénal » qui caractérisera devant les siècles l’esprit de notre temps.
Que l’Église – nous globalement – ait péché de longues décennies par omission, crainte, respect humain, communautarisme en dissimulant des crimes et des forfaitures inqualifiables commis par une part hélas non négligeable de son clergé, c’est une vérité ; mais qu’elle doive se promener dorénavant nue, la tête couverte de cendres pour les siècles des siècles, huée par une société dont les turpitudes sont certainement supérieures aux siennes, non, mille fois non.
Le Cardinal, quelque erreur de gouvernement qu’on lui reproche, et qu’il se reproche d’ailleurs lui-même, ne relève en aucun cas de la justice de la République. Le motif de sa condamnation, qu’il conteste en appel, rappelons-le, est au pire inique, au minimum ridicule : il lui est reproché, ayant tardé à saisir la justice, d’avoir « empêché l’expression de la douleur des victimes ». Alors que la moitié de la France, lourdement désinformée, doit certainement être persuadée maintenant que le cardinal Barbarin est un fieffé pédophile, il ne lui est nullement reproché d’avoir permis, par inadvertance ou sciemment, la commission d’actes pédophiles par le père Preynat sous son gouvernement. Alors que nombre d’enquêtes ont été diligentées, il n’existe aucune trace de réitération par celui-ci depuis 1991. Sachant que Mgr Barbarin est arrivé à la tête du diocèse dix ans après, on ne voit guère sa responsabilité. Par ailleurs, les victimes qui sont venues se plaindre à lui du long étouffement de l’affaire étaient en 2014 quasiment quarantenaires et donc capables d’assumer seules les crimes du père Preynat, crimes hélas prescrits.
Mais quel besoin de chercher dans le Cardinal le responsable de ces actes passés ? Qu’y pouvait-il, on se le demande ? Plus, si on lit bien l’acte de condamnation, derrière le cas de l’archevêque de Lyon, c’est en filigrane l’Église romaine tout entière qui est visée : il est reproché au Cardinal d’avoir sollicité l’avis de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, qui lui aurait conseillé d’agir avec prudence, afin d’éviter le scandale public. En fait, c’est à l’Église comme pouvoir juridictionnel, comme entité libre et au-delà de la potestas étatique que ce petit juge s’attaque. Il est heureux sans doute que l’Église catholique ne dispose plus de pouvoir répressif, ni de prisons pour sanctionner son clergé ou ses ouailles. Mais on ne peut cependant la traiter comme une association quelconque, comme une petite secte. À la vérité, c’est sa forme mondiale, qui pour le fidèle procède de son caractère spirituel et surnaturel, qui est visée par une justice française que l’on connaît généralement moins disposée à défendre la souveraineté du pays. Il n’y a pas de complot : simplement un pouvoir des juges grandissant qui ne supporte plus que quoi que ce soit le limite.
Or l’Église, depuis sa fondation et à jamais, échappe et échappera à César. César est tenu de juger dans son ordre, et un pédophile mérite sa justice et sa sentence. Pas un cardinal qui représente beaucoup plus que le N+1, comme disent les managers, du curé coupable : un évêque est l’héritier des apôtres, c’est-à-dire un pilier de cette Église dont Jésus a voulu qu’elle fût le temple de l’Esprit, et son épouse sur terre, et dont le mystère échappe à notre simple raison, et dont les frontières ne sont rien d’autre que celles de la charité.
Aussi, nous avons eu bien raison de nous mortifier ces dernières années de nos erreurs et péchés passés, lorsque nous avons supporté que les fumées de Satan infestent nos prêtres et nos prélats. Il ne faudrait pas que nous rendions les armes, ces armes qui ne nous appartiennent pas, ces armes surnaturelles qui font l’Église, contre laquelle César ne peut prévaloir.
Jacques de Guillebon
© LA NEF n°313 Avril 2019