Le colonel Arnaud Beltrame © DR

Beltrame était-il un saint ? (2/2)

Le Père Jean-Baptiste, Chanoine régulier de l’abbaye de Lagrasse (www.lagrasse.org) proche du colonel Arnaud Beltrame durant les deux dernières années de sa vie, poursuit et termine ici ses réflexions sur la riche personnalité de cet officier admirable.

La Nef – Arnaud Beltrame était-il un saint ?
Père Jean-Baptiste
– Le 18 février 2017, je me souviens avoir fait à Marielle et Arnaud un enseignement sur la sainteté en famille. Je leur ai parlé du premier couple béatifié en tant que tel par saint Jean-Paul II, les époux Beltrame Quattrocci. Et Arnaud remarqua assez fier, cet exemple de sainteté conjugale, qu’il voulait suivre d’autant plus qu’« ils sont peut-être de ma famille, j’ai des origines italiennes ».
Mais Arnaud avait, comme moi, des défauts ! Heureusement sa prière, sa bonne volonté et sa générosité le faisaient progresser. Sa mort en revanche pourrait-elle être celle d’un saint ? Je ne sais. Ce sera à l’Église d’en décider.
Le motu proprio sur « l’offrande de la vie » promulgué le 11 juillet 2017 par le pape François permettrait de l’envisager, car il ouvre une nouvelle voie vers la béatification pour ceux qui, « suivant de plus près les pas et les enseignements du Seigneur Jésus, ont offert volontairement et librement leur vie pour les autres et ont persévéré dans cette intention jusqu’à la mort. Il est certain que l’offrande héroïque de sa vie, suggérée et soutenue par la charité, exprime une imitation véritable, pleine et exemplaire du Christ et c’est pourquoi elle mérite cette admiration que la communauté des fidèles a l’habitude de réserver à ceux qui ont volontairement accepté le martyre du sang ou ont exercé les vertus chrétiennes à un niveau héroïque ».
Bien sûr, ce sera à l’évêque aux Armées ou à celui du lieu de sa mort (évêché de Carcassonne et Narbonne) de lancer la procédure, ensuite suivie au Saint-Siège.
Il faudrait scruter alors les motivations profondes d’Arnaud et, pour l’avoir connu de près, je crois qu’elles ont été inextricablement humaines, militaires et spirituelles. Je suis d’accord avec Nicolle, sa maman, et Marielle, sa femme, Arnaud ne s’est pas sacrifié comme un mouton, sans se défendre.
Je crois que son geste saisissant, que j’ai beaucoup médité depuis, a été le fruit de trois facteurs :

  1. D’abord, l’indignation chevaleresque de l’homme devant une femme menacée. On m’a rapporté qu’il avait ce réflexe depuis son enfance. Il estimait être gendarme pour protéger. Il se livre donc pour sauver Julie à 11h28.
  2. Ensuite, il a la certitude que son expérience de l’EPIGN le rendait plus apte que cette jeune maman, à neutraliser l’islamiste ou au moins à négocier ou même à offrir une fenêtre de tir au GIGN. Après 3 heures de face-à-face que j’imagine, connaissant Arnaud, plein de prières intimes et de discussions théologiques et politiques avec l’islamiste, il aurait crié « Assaut Assaut ! » Mais le GIGN n’a pas entendu ses derniers mots sur le coup, tant le son de son portable était peu audible. On sait que l’assaut ne débutera qu’après les coups de feu du terroriste.
  3. Mais je crois aussi que cet acte surhumain a été mû par un don divin, l’invitant à risquer librement sa vie pour en sauver une autre. En effet, il avait médité un mois plus tôt sur « le don de force du Saint Esprit » dans le groupe de couples Cana, ce don qu’il avait reçu à sa confirmation demandée à 33 ans, ce don qui aide l’homme précisément à accomplir des actes héroïques de dévouement que la force humaine ne peut réaliser d’elle-même. Or, justement, un tel acte semble absolument unique dans toute l’histoire de la gendarmerie française, pleine de faits admirables pourtant. Si son geste n’était qu’humain, il aurait d’autres exemples ! Cinq jours avant l’attentat, il est à l’abbaye de Lagrasse pour méditer en couple et en groupe sur le « don de conseil » qui aide précisément à discerner les actes héroïques à poser à la lumière de la foi, au-dessus de la raison humaine. Son groupe avait parlé alors de la mort en famille… Aurait-il pu poser un geste aussi incroyable, à deux mois de son mariage, sans une impulsion du don de conseil ?
    En outre, il était absolument amoureux de Marielle, j’en suis témoin, et préparait activement son mariage tout proche. Je ne crois pas qu’il aurait pu prendre le risque libre, spontané, gratuit, de mourir et de blesser sa chère fiancée, sans l’aide de Dieu, l’invitant à un amour plus grand encore, celui de donner sa vie pour en sauver une autre.
    Je puis me tromper, et il faudra des analyses ultérieures précises et du recul pour l’affirmer, mais je crois que c’est précisément ce don divin, surhumain qui a donné un caractère unique, saisissant, à l’acte d’Arnaud et lui a valu l’admiration de tous.
    Mais comment savoir plus sur l’intention intime d’Arnaud à ce jour ? La qualité des innombrables courriers reçus témoigne en tout cas de la fécondité spirituelle de son geste.

En somme, quelles sont les leçons spirituelles que son geste et sa vie donnée peuvent nous offrir ?
J’en vois quatre principales.

  1. Les échecs, les blessures ont été précieux pour tailler son âme d’élite. Arnaud a été blessé par des déceptions et blessures affectives nombreuses dès son enfance. Cela aurait pu le fragiliser. Je crois qu’il a su en tirer une délicatesse et une douceur, une compassion qui équilibraient sa force et son ambition. Ses échecs à Saint-Cyr, puis à l’École de Guerre, les amertumes de certaines de ses affectations et missions militaires auraient pu le casser, mais ces épreuves douloureuses l’ont rendu plus humble et docile. Il savait se remettre en cause et reconnaître ses torts, grâce à elles. C’est un motif d’espérance pour tous !
  2. La fécondité inouïe de son geste illustre ce que le pape François a admirablement écrit quatre jours seulement avant l’attentat : « le critère pour évaluer notre vie est, avant tout, ce que nous avons fait pour les autres ». Le Christ nous l’a dit : « si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12, 24). C’est pour nous tous un examen de conscience. Quelles sont mes motivations : égoïstes et vaniteuses ou au service des autres ?
  3. Une conversion, un héroïsme peut s’accompagner de fragilités et d’erreurs. Arnaud, comme moi, était un pécheur qui voulait progresser. Il était en route vers la sainteté, mais n’était pas encore un saint. Sa franc-maçonnerie, ses défauts le rendent plus abordable et encourageant qu’un super-héros de cinéma.
  4. Nous sommes environnés par tout un monde invisible dominé par le Christ et la Vierge Marie, peuplé de saints, d’anges et… de démons. Arnaud le savait et en parlait. Il aimait tellement saint Michel et Notre Dame ! Notre vie terrestre n’est qu’un passage. Son geste peut être un index dressé vers le Ciel. N’oublions pas que la patrie de la terre doit être un tremplin vers le Ciel.

(Fin)

© LA NEF n°318 Octobre 2019

Prière

Seigneur,

Tu as donné à Arnaud Beltrame la grâce de te chercher ardemment et de retrouver le sens de son baptême une fois parvenu à l’âge adulte. Fortifié alors par la Confirmation et soutenu par l’Eucharistie, il a persévéré dans la foi, désirant toujours mieux te connaître, t’aimer et te servir. Il était inspiré par ceux qui ne cherchent que ta seule gloire.

Confiant dans la protection de la Vierge Marie, médiatrice de toutes grâces et de saint Michel Archange, patron des parachutistes, il priait souvent pour que tout se passe « selon l’ordre divin ».

Tu lui as donné la charité de te suivre jusqu’à tout tenter pour sauver une autre vie, au risque du sacrifice de la sienne.

Que sa vie livrée puisse porter de nombreux fruits d’éternité. Que sa quête de vérité, sa générosité, son sens du dépassement de soi, du devoir et de la miséricorde nous inspirent pour ta plus grande gloire et le salut du Monde.

Nous t’en remercions. Amen 

imprimatur de Mgr Antoine de Romanet, évêque aux Armées Françaises, le 1er mai 2019