Jean Sévillia © J-Ph Baltel

Algérie : à quand la vérité ?

Commandé l’été dernier et remis le 20 janvier à Emmanuel Macron, le rapport de Benjamin Stora sur « les questions mémorielles de la colonisation et de la guerre d’Algérie » était attendu. D’une part parce que la mission confiée à l’historien devait viser à « la réconciliation entre les peuples français et algérien », sujet hautement sensible. D’autre part en raison de la personnalité de Stora, indéniable spécialiste de l’Algérie et de l’immigration maghrébine, mais spécialiste marqué puisque les travaux de cet universitaire, longtemps engagé à l’extrême gauche (il a été permanent trotskiste), sont difficilement dissociables de ses convictions personnelles, caractérisées par un anticolonialisme de principe et une empathie non dissimulée pour le nationalisme algérien, même si l’homme n’est plus le même, à 70 ans, qu’il était à 30 ans, notamment parce qu’il a redécouvert, au début des années 2000, ses racines familiales qui sont celles du judaïsme algérien qui a pratiquement disparu après l’indépendance, quand l’islam est devenu religion d’État en Algérie.
Ce rapport de près de 150 pages se décompose en trois parties. La première (« Algérie, l’impossible oubli ») explique pourquoi il n’existe pas une histoire unique de la présence française en Algérie, mais de multiples mémoires reflétant les différents points de vue des hommes qui ont vécu ces événements (mémoire algérienne, mémoire militaire française, mémoire des pieds-noirs, mémoires des harkis, etc.). La deuxième partie (« Les rapports de la France avec l’Algérie ») expose en quoi les enjeux mémoriels, depuis près de soixante ans, ont pesé dans les relations entre Paris et Alger. La troisième partie (« Des défis à relever ») propose pour méthode, afin d’apaiser les rapports entre les deux pays, d’« ouvrir des possibilités de passerelles sur des sujets toujours sensibles, mais permettant d’avancer, de faire des pas ensemble ». Le document conclut, avant diverses annexes techniques, en appelant, à l’approche du soixantième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, à l’élaboration d’un traité « Mémoires et Vérité » en vue d’apurer le passé entre la France et l’Algérie. Le rapport contient enfin le résumé d’une trentaine de préconisations destinées à aider les deux pays à regarder en face leur histoire commune.
Sauf à céder à la passion ou à l’esprit de parti, travers dont Stora lui-même n’a pas toujours été indemne, il serait intellectuellement malhonnête de porter un jugement d’un seul bloc – positif ou négatif – sur ce rapport. La vérité est, pour s’en tenir aux préconisations de l’auteur, que certaines propositions sont mesurées et méritent d’être examinées et discutées, que d’autres, profondément marquées par les préjugés idéologiques de Benjamin Stora, procèdent d’une vision hémiplégique de l’Algérie française, et que d’autres encore, allant plus loin, semblent énoncées pour faire scandale et déclencher de virulentes polémiques au lieu de soigner des plaies toujours douloureuses. Alors que l’Algérie, par exemple, ne cesse de réclamer la totalité des archives de la présence française en Algérie, Stora suggère de traiter les archives de l’Algérie française comme un « patrimoine commun », en permettant aux chercheurs algériens de travailler en France, ce qui est possible dès aujourd’hui, mais aussi en autorisant les chercheurs français à travailler de l’autre côté de la Méditerranée, ce qui est aujourd’hui pratiquement impossible à qui n’a pas l’agrément des autorités du FLN. Cette conception est raisonnable.
À l’autre bout de la chaîne, les propositions inacceptables et provocatrices ne manquent pas, comme l’idée de faire entrer Gisèle Halimi au Panthéon ou d’organiser un colloque international sur « le refus de la guerre d’Algérie ».
D’une manière générale, à côté de louables efforts pour prendre en compte des revendications comme la nécessité de faire mémoire des disparus européens à Oran le 5 juillet 1962 ou la liberté qui devrait être laissée aux anciens harkis de se rendre en Algérie, ce rapport est globalement à charge contre l’action de la France en Algérie, et conduit à légitimer les méthodes employées par les indépendantistes de 1954 à 1962, ce qui déséquilibre la perspective.
À ce stade, deux inconnues se présentent : quelles préconisations de Stora Emmanuel Macron retiendra-t-il, lui qui qualifia la colonisation française de « crime contre l’humanité », et quelle sera la réponse du pouvoir FLN qui, depuis 1962, exploite une vision déformée du passé français de l’Algérie ?

Jean Sévillia

Jean Sévillia, qui a été rédacteur en chef au Figaro Magazine a publié une œuvre historique importante contre la désinformation. Son excellent livre, Les vérités cachées de la guerre d’Algérie, a été actualisé et réédité en poche chez Tempus : parution le 11 mars 2021.

© LA NEF n°334 mars 2021