Le pont Saint-Thomas et l'église Saint-Louis de Strasbourg © wikimedia

Revenir à Saint-Louis

Après des années d’errance spirituelle, pratiquant le carême sans aller jamais à la messe, il fallut qu’une épidémie me donnât l’urgence et la vive nécessite d’aller à l’église, d’implorer et croire dans l’Esprit. C’est à l’église Saint-Louis de Strasbourg que je me suis rendu en décembre 2020, quand on ordonna aux églises de rouvrir. Le peuple des fidèles, son prêtre, la beauté spectaculaire de la liturgie m’ont charmé et convaincu. Au fil des mois, je suis devenu familier du lieu et des gens. Il est courant que les fidèles s’approprient leur église et d’en parler comme la leur ; la maison du Seigneur est commune à tous. Cette maison-là possède une histoire intéressante et un patrimoine admirable que j’aimerais vous faire connaître.

L’histoire de l’église remonte au XIIIème siècle quand des béguines, vers 1252, firent un long piquenique à son emplacement. C’était l’époque de maître Eckhart et de Jean Tauler, fascinants par la beauté froide de leur foi mystique. On imaginait une nouvelle cathédrale dans cette ville déclarée libre par Philippe Ier de Hohenstaufen. Erwin von Steinbach fera des prouesses, sa flèche touchera les cieux et sa profondeur parviendra au grand mystère de la religion. Les minnesänger Gottfried von Strasbourg et Reimar von Hagenau délectaient, à leur tour, nobliaux et belles demoiselles de leurs chansons amoureuses. Le quartier de Finkwiller, quartier aux pinsons, se développait, s’étendant jusqu’au Heyritz avec ses jardins, ses entrepôts et ses échoppes de commerçants. Les dames carmélites remplacèrent les demoiselles et y élurent domicile de 1474 à 1528, période florissante pour les arts où l’effervescence intellectuelle le disputait aux déchirements de la réforme. La rave party de 1518 marqua les esprits par sa folie démente ; La Nef des fous de Brant fut un succès de drôlerie et d’impertinence, prodige de l’imprimerie. Au XVIIème siècle sous le règne du grand roi Louis XIV, une nouvelle église fut construite et consacrée à saint Louis IX des Français, du temps où l’Alsace revenait au royaume de France au prix de lourdes batailles qui mena l’armée à Heidelberg et Turenne à la mort au pays de Bade. L’église sera tenue par les chanoines réguliers de Saint Augustin jusqu’à la révolution. La cathédrale dut à un bonnet phrygien de ne pas finir en carrière ; Saint Louis, que rien ne sauva, garda ses portes closes, les barbus à robes blanches furent chassés et l’église désacralisée : crimes et misères de la révolution. Mais le culte fut rendu en 1801, sous décision d’empire ; de courte durée car un incendie ravagea l’église qui menaçait ruine en 1805.  Parce que Dieu est un fumeur de havanes, l’église se changea en entrepôt à tabac et fut reconstruite entre 1825 et 1827 dans le style néobaroque, ce qui lui donne ce cachet particulier marqué par le dépouillement et la charge, l’épure et la fioriture. Allegro ma non troppo !

L’église Saint-Louis est à la fois connue et ignorée du public. Discrète, on ne la voit presque pas le long des quais ; elle se fonde dans le paysage et se tapisse dans le bâti, située presqu’en face de la Choucrouterie de l’ami Sieffer. Deux salles, deux ambiances. De la rue, le clocher de l’église plutôt rustique ne détonne pas. La façade est austère, de style néoclassique, sans chichis, avec un fronton surmonté d’une croix simple. En entrant, on est marqué par l’immense espace qui s’ouvre devant nous : l’église, comme une basilique médiévale, n’a ni piliers, ni transept, ni bas-côtés ; elle est baignée d’une lumière éclatante ; la blancheur crémeuse de ses murs met du relief dans les boiseries caramel des confessionnaux et des bancs. A bien y regarder, on remarque que le chœur est légèrement désaxé. Il s’agit peut-être, puisque l’église figure le corps du Christ, de signifier l’inclinaison de la tête de Jésus sur la croix.

A l’entrée donc, on passe sous une sorte de tribune qui supporte l’orgue, rehaussé d’une fleur de lys, originalité rococo des églises bavaroises. Sur le mur de gauche deux tableaux sont accrochés que l’on ne voit jamais : Sainte Madeleine communiante, dans un style proche celui de Simon Vouet, enroulée nument dans un drap de soie bleu pastel exquis ; et sa majesté Louis IX en prière, les bras en croix.

Une pietà en massepain représente Marie à la douleur esquissée, aux joues boursoufflée par les larmes, avec son fils dans ses bras, marqué par sa passion, lacéré : un cadavre. A côté, se trouve un Christ crucifié qui n’a pas encore expiré. On est plongé au moment du drame des sept dernières paroles chères à Haydn. Il nous regarde les yeux mouillés, mouillants, le corps articulé, les côtes dessinées en arc, les muscles tendus jusqu’à la rupture.

La chaire, un peu plus loin, ressemble à un cornet en chocolat sculpté comme une dentelle. L’œuvre nous marque par la profusion des éléments et la finesse des traits jusque dans les volutes et les faux pompons taillés dans le bois. La végétation grimpe et monte jusqu’à la cuve où sont gravés finement, en bas-relief, les apôtres dans de la rocaille foisonnante. Sur l’abat-voix, la Foi représentée avec la Croix glorieuse en main, est supportée par une légion d’anges émoustillés comme au bain. Son allure est fière, elle est droite, inflexible, dominant sur le monde et surplombant les fidèles. Sous la chaire, un ange gracile, au torse offert, les ailes déployées, couve le cœur-emblème de Strasbourg avec un putto tout mignon à sa suite : le petit frère imite le plus grand. L’œuvre est de Théophile Klem, artiste primé pour cette réalisation, reconnu pour ses sculptures en bois entre 1880-1920. On lui doit des ouvrages néo-gothiques massifs dont le buffet d’orgue de l’église Saint-Maurice ou le retable de l’église Saint-Jean-Baptiste de Wattwiller.

De part et d’autre de l’église, on peut admirer les étapes du chemin de croix réalisées par Joseph Schaeffer en 1935. Cet artiste sourd et muet était l’élève de Klem. Si l’on peut juger ici la différence de style, on notera qu’il est imposant et rempli pour l’un, épuré, plus moderne, plus vif pour l’autre. On passerait devant les étapes de la passion sans les voir, pourtant, le trait est bien manié, les perspectives réussies, le drame figé. Schaeffer a rendu les mouvements et la lourdeur des habits, des tuniques et des tissus, la volée des voiles ainsi que les corps, celui du Christ faible et infligé, du Romain fort et brutal, des bourreaux ramassés et secs. La cinquième étape est la plus réussie. Le Christ, comme une loque, dos courbé, est poussé avec virulence par un soldat romain bien bâti dont la cuirasse impose la terreur. Le contraste des corps et des énergies est bien rendu. L’étape suivante, est de bonne facture : Véronique propose son voile au Christ. Elle est gracieuse comme une fille de l’orient tandis que le bourreau, frelampier à boubou, prépare son gourdin prêt à cogner.

Passons aux vitraux. Ils ont été confectionnés par les frères Ott, artistes doués tant dans l’art du verre profane que sacré, fameux pour un vitrail en hommage à Fréderic I au 37 avenue des Vosges, l’Allégorie du printemps au musée d’art moderne, les vitraux sulpiciens de l’église Saint-Trophime ou ceux au 7 rue de Berne dans le goût art déco. Les vitraux, véritables ex libris en verre, datent de 1935 et sont des illustrations de l’avant-garde locale. Le ciel sur chaque vitrail est composé de formes géométriques qui rappellent Kandinsky alors que les visages et les mains sont doux et lisses. Triangles, carrés, composent les pagnes, les tuniques, les robes et déterminent les postures. Le vitrail de l’adoration du petit Jésus peut déplaire, certes, à cause que les couleurs autour du berceau sont placées les unes à côté des autres sans être bien goutées. On dirait un coloriage d’enfant qui a mal tourné. Mais regardons le vitrail du Couronnement de la Vierge : les couleurs sont proportionnées, graduées ; après le bleu de la Vierge vient le rouge du Christ que le rose léger des anges adoucit. Le vert turquoise de Dieu est somptueux. L’ange de l’Annonciation sur le premier vitrail est viennois, digne d’Otto Wagner. Sa tunique blanche est incrustée de mosaïques et de topazes. Mais le vitrail que je préfère se trouve dans le chœur et prend pour sujet Sainte Odile.  On se croirait dans une œuvre expressionniste, entre la poésie de Trakl et les tentatives de vitrailliste de Blaue reiter. Je suis stupéfait par les couleurs maîtrisées : le vert émeraude de la forêt, le marron des arbres ; les animaux rendus par des petites touches s’associent aux linges violets mêlés de nuances gris-bleu qui entourent Odile. En face d’elle, la mère à l’enfant est vêtue d’habits rouges et d’oranges habilement rendus, le tout donne un contraste agréable dans la température chromatique entre le chaud et le froid, le doux et le tiède.Au-dessus de la sacristie, trois peintures de Martin Fauerstein représentent la vie de Saint-Louis. On peut rapprocher le talent de Fauerstein du dernier Wagner avec Parsifal, influencé par le courant nazaréen. Ses productions simples et ses images fulgurantes renouent avec la tradition de la biblia pauperum. Les trois peintures, installées en 1902, illustrent trois moments marquants de la vie du Roi : sa formation très catholique sous la férule de Blanche de Castille, la procession de la couronne d’épines et son agonie. Le deuxième tableau semble bien figé dans l’exaltation populaire de la sainte couronne ; le troisième est le plus émouvant : le roi https://www.archi-wiki.org/images/thumb/7/76/Rue_Saint_Louis_Strasbourg_65280.jpg/800px-Rue_Saint_Louis_Strasbourg_65280.jpgrachitique et pâle comme un linge reçoit l’hostie devant une assemblée de lourds soudards. Le contraste des corps est saisissant et la dévotion de ces masses casquées envers le roi agonisant pénétrante. Les mains en prière de Louis IX forment un point de fuite, la tête de l’ange qui descend du ciel un deuxième. 

Le retable impressionne par sa flamboyance : les ors fleuris ornent le bois gris, enroulent les colonnes, incendient les côtés et grimpent jusque sur les crêtes où des anges, tendant des guirlandes, font des farandoles au sommet et entourent le portrait du Christ cordicole. Dans les niches, trois saints y logent : Augustin, Louis au centre, sceptre à la main et couronne d’épines dans l’autre, Thérèse. Sculpté sous l’autel, l’agneau de Dieu cerné et lové dans les fleurs de lys dorées est d’une suprême finesse. Lors des travaux de restauration, l’atelier Meyer a   appliqué une patine nette grâce à des ors mâtes et vieillis qui donnent une allure générale ancienne et inactuelle. Point de blinbling.

Mais il nous reste encore à parler de l’orgue, œuvre des facteurs Wetzel. Le fils Edgard avait ses ateliers rue du dragon à côté de l’église. Ce corps massif de bois et de métal aux formes bestiales et imaginaires apparait comme un chant du cygne, une offrande musicale à la musique, un don d’un paroissien à sa paroisse, d’un fidèle au Créateur. Au-dessus de cet ouvrage châtaigne glacée, deux putti tirent des guirlandes jusqu’à l’emblème qui représente les tuyaux de l’orgue lui-même, preuve d’une petite folie de l’art baroque et d’une mise en abime musicale qui s’exprimerait ainsi « Je suis Wetzel le roi des orgues en Alsace, contemple mon œuvre, O tout puissant, et joue ! » Il est en restauration chez les facteurs Blumenroeder depuis 2017.

L’église saint Louis a la particularité d’être une paroisse de quartier, bien sûr, et une paroisse personnelle, la Croix glorieuse, pratiquant le culte traditionnel sous la forme extraordinaire dite de la messe de saint Pie V. Devant que je ne parle de l’importance de ce culte aujourd’hui, il faudrait parler du peuple qui occupe cette maison, le dimanche et en semaine, et qui forme une famille dans son entièreté. Tous les âges, le dimanche, sont représentés. Les fidèles respirent la santé et ne ressemblent pas aux espèces d’humanoïdes du rayon houmous au Super U. Les bobos n’existent pas ; ici, comme dirait le père Lugan « on parle viril, et l’on n’est pas castré. » Les bébés crient leur joie de vivre, les enfants, en rang d’oignons sur les bancs, sont sages comme des images, ou, gesticulent nerveux. Les jeunes femmes virginales aux bras blancs sont ravissantes.  Leur dévotion multiplie leur beauté. Elles sont sérieuses et ne mêlent jamais la chair aux citations latines. Elles ont choisi. Les garçons, héritiers de la tradition, sont de jeunes loups doués de force et de ferveur, rebelles, certes, un peu chiens fous, déterminés dans leurs convictions. On trouve des baroudeurs, quelques jeunes élégants, un ou deux royalistes, des sportifs, des dévots en sandalette même l’hiver. Certains sont des spartiates engagés dans l’armée, d’autres rêvent leur vie. Sous des allures de garçon sage, l’un est un boxeur fameux qui tape sur les gauchistes en manif. Bagarre, bagarre, prière. L’autre contemplatif et un pur esprit rejoue Paul Valéry mais au temps d’Alain de Lille. Il y a quelques jeunes pères de familles qui n’ont pas fini leurs études, des demoiselles déjà mariées à l’âge où l’on reste souvent chez ses parents. Cela donne des familles idéales, de celles qui sauveront ce pays. Ce peuple de Dieu, le laios, fait encore des enfants, pris d’une vitalité admirable. Les mamans rayonnent de bonheur ; les papas entrent dans la carrière et ne se couvrent pas d’une casquette yankee qu’ont les bobos de la Krutenau. Ce peuple est cravaté, élégant, du lundi au dimanche. Certains sont des frippiers ambulants, d’autres ont misé sur un costume sur mesure. Quelques-uns, comme à la pétanque, font l’effort, d’autres encore mettent les formes, remarquables jusque dans les chaussures en pointe et la cravate assortie à la chemise. Les patres familiarum ont des allures de Romains, en veste autrichienne ou en Barbour matelassée. Ils ont refusé d’être des boomers, 68 no pasara ! Les bonnes mères sont d’une rigueur de géomètre, rien ne dépasse dans le carré de leur foi. Les anciens apparaissent dans leur gloire d’anciens. Il est émouvant de les voir, alors qu’ils n’ont plus l’âge de leurs artères, se courber, s’agenouiller, bravant l’arthrose, défiant l’arthrite, repoussant les assauts de la maladie. Les grands-pères sont en loden, cravatés et les grand-mères, coquettes, baguées comme au premier jour, installées dans leur foi, indéboulonnables. Elles chantent l’Ave Maria d’une voix chevrotante teintée par des éclats de cristal. C’est le peuple de Saint Louis, l’œuvre du pays réel ! Pour manœuvrer ces insoumis pour le meilleur comme pour le pire, un homme est au centre : l’abbé Gouyaud.

« Comme ils tranchent ces mages avec les théologiens et les exégètes de Jérusalem, qui savaient sans doute tout en matière de prophéties mais qui ne bougèrent pas d’un millimètre, simples bornes miliaires, réduits à être de simples panneaux inertes sans aucun engagement existentiel ! » Vous croiriez qu’il s’agit là d’un extrait de Bossuet, c’est ce que nous entendons chaque dimanche pendant l’homélie de monsieur l’abbé. Non pas que les fidèles viennent pour l’abbé, non, mais le charisme de notre curé a de quoi déplacer les foules. L’abbé Gouyaud, ancien séminariste membre à la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X puis cofondateur de la Fraternité-Saint Pierre, a su planter dans le fief de l’église postconciliaire locale à l’époque la graine du culte traditionnel jusqu’à la faire grandir et s’épanouir. Arriva à ses côtés au cours des années l’abbé Leonhardt, discret mais raffiné, mélomane accompli qui donne de la voix pendant l’office des ténèbres et qui fut longtemps chapelain de l’ordre de Malte, spécialiste de la correspondance de l’impératrice Zita. On avait accordé à l’abbé un office dans la crypte de la cathédrale, à l’orée des années 1990. Du GG, le « Groupe Gouyaud », Monseigneur Doré avait cette phrase qui dit tout sur la volonté de voir un peu plus ses pratiquants germer dans le diocèse : « ils étaient déjà là ». La floraison fut lente, il est vrai, mais après une mission à l’église Saint-Bernard de l’orangerie pendant plus de quinze ans, et un passage à Koenigshoffen, en l’an de grâce 2012, l’abbé reçut entièrement une paroisse, celle de Saint Louis, au prix d’une patience redoutable et de nombreux efforts. Son presbytère a maintenant pignon sur rue. Admirez le parcours ! Il en faut de la détermination et de l’abnégation pour conserver ses convictions même quand celles-là vous ferment des portes et que le vent tourne contre vous. C’est à cela, comme à la guerre, que l’on voit les braves et les courageux qui résistent et vont là où le canon tape. Monsieur l’abbé en fait partie.  On lui doit à Saint Louis d’avoir œuvré à la restauration de l’église qui n’ouvrait que pour l’office du dimanche à cause de son état, le curé de l’époque soutenant financièrement la théologie de la libération au Pérou. Charité bien ordonnée, commence par soi-même.

Un jour de pluie, je me suis rendu à l’office dans la grande église de Strasbourg. L’homélie du prêtre était consternante « Dieu est avec nous, le Racing a battu le PSG ! » Je ne savais pas que Michel Drucker célébrait les offices catholiques ! Ce genre de présentateur télé reconverti en prêtre, passant du cathodique au catholique, prodigue en blagues carambar, allant jusqu’à faire participer les fidèles pendant l’homélie, est une souffrance. Trop souvent les curés blablatent vitement quelque chose sous forme de bidons creux, de papiers peints, d’eau ni chaude ni froide. On passe soi-même ces cinq minutes à contempler les vitraux, à écouter son estomac qui grogne, on s’ennuie. Notre abbé dit la messe comme il jouerait sa vie ; ses homélies ne sont pas des divertissements ; elles sont profondes, judicieuses par le choix des références artistiques, puissantes par la rhétorique, lentement amenées et dites (pas lues), rythmées et cinglantes. L’abbé n’est pas violent, il est radical. Ses homélies sont rigoureuses, jamais abstraites, palpables et concrètes, orientées comme des leçons de vie.

L’Abbé Gouyaud est la virilité chrétienne. Il serait aisé de l’y trouver dans la Comédie humaine de Balzac, à l’instar de ces personnages dotés d’une énergie vitale à tout casser, d’une solidité de corps et d’esprit. Imposant par la voix, fiché comme un roc, sa soutane dessine une mise ferme et sobre. Elle impose un respect comme celui que doit l’alpiniste à un sommet massif. C’est un serviteur du Christ. Mais s’il est un bloc, il est gravé justement et nuancé avec finesse. Sa bienveillance vaut autant que la curiosité dont il fait preuve. Sa douceur est manœuvrée par un sens de l’humour très sûr qui n’enlève rien à sa rigueur, bien que la bonhommie du personnage pointe dans son léger accent du midi et se poursuive à table.  L’Abbé est un connoisseur reconnu de la pensée de Benoit XVI et un mélomane averti ; doué d’une rare intelligence rendue par un esprit de synthèse- travail de nuit à digérer des auteurs- et par une capacité à éclairer des notions complexes, il impressionne par sa rigueur et l’aisance de la dialectique. C’est un héritier de la scholastique et, à travers elle, d’Aristote qu’il manipule avec soin.  On retrouve chez lui le souvenir de la méditerranée française, la délicatesse de Venise, la grandeur des Alpes bavaroises. Il est, en somme, l’alliance parfaite de l’abbé Emile dans Calmos de Bertrand Blier, bon vivant et curé à l’ancienne, et de Cajetan, esthète et grand lettré.

L’abbé Gouyaud est puissant, quelques passages mémorables de ses homélies en sont des preuves : « A notre époque, nous considérons ceux qui nous dirigent si facilement avec obséquiosité et ceux qui sont, le cas échéant, sous nos ordres avec condescendance c’est-à-dire finalement avec mépris. » (J’aurais cru qu’il parlait des Gilets jaunes et de BHL). « Il est possible que nous soyons saisis parfois par une forme de lassitude dominicale ; nous ne voyons plus dans la messe qu’un précepte purement extérieur. Que la mise en cause abusive, par les pouvoirs publics, de cette liberté fondamentale, nous fasse percevoir, à frais nouveaux, la nécessité intérieure de la messe dominicale c’est-à-dire le besoin indispensable du dimanche. Sans le dimanche, nous ne pouvons pas être » ; ou encore pour le plaisir « la parole de l’Engendré est engendrante ! », « Priez pour les prêtres, qu’ils soient d’humbles serviteurs de l’amour et que l’exemple et le commandement du Seigneur inspirent aux jeunes gens l’honneur de servir l’amour », « Priez donc ! Le sacerdoce de la nouvelle loi n’est pas transmissible par hérédité. Il est gratuit, dépendant du bon vouloir divin. » Tout cela touche à la corde la plus profonde de notre cœur !

L’église Saint-Louis par son patrimoine et le culte traditionnel qui l’habite, est une magnifique demeure. J’y ai trouvé ce que je cherchais et ce qui manque à ce monde. Parce qu’elle est dévouée au Roy, elle représente la noblesse, la force et le courage. Elle est dépositaire, aussi, à l’ombre de la cathédrale, d’une belle et grande tradition, trésor de l’Eglise. S’il est plus que terrible d’imiter saint Louis, s’il est plus que romantique que de croire en une dernière Croisade, honorons-le, du moins, venez la visiter, et perpétuons son église.

Nicolas Kinosky

© LA NEF, le 7 mai 2021, exclusivité internet