Le père Nadler

L’esprit de la messe de Paul VI

Prêtre de l’Emmanuel et curé dans le diocèse de Vannes, le Père Nadler nous offre une réflexion constructive et équilibrée sur la question liturgique.

La Nef – Comment résumeriez-vous les principales réformes préconisées par les pères conciliaires, et peut-on dire que la réforme de Paul VI, en 1969, est fidèle à leurs préconisations (le concile, par exemple, n’évoque nulle part l’orientation « face au peuple » ou l’abandon du latin et du grégorien) ?  
Père Nadler – Le but du concile est de faire « progresser la vie chrétienne de jour en jour chez les fidèles ». Puisque la liturgie est la source et le sommet de cette vie chrétienne, il convenait donc d’aider chacun à y puiser davantage. La réforme conciliaire se résume ainsi : « La participation pleine et active de tout le peuple est ce qu’on doit viser de toutes ses forces dans la restauration et la mise en valeur de la liturgie. » Dans ce sens, d’autres principes ont été rappelés : la dimension communautaire – ecclésiale – de la liturgie ; la « noble simplicité » propre au rite romain ; l’importance des Saintes Écritures.
Ces principes ont été plébiscités : Sacrosanctum Concilium a été votée à 2147 voix pour et 4 voix contre. La mise en œuvre, elle, fut problématique : soit dans les textes eux-mêmes (le missel 1969 apportant beaucoup de changements par rapport à celui de 1962), soit – et surtout – dans son application concrète, parfois très éloignée des nouvelles normes liturgiques. Le pseudo « esprit du concile » s’est substitué, voire opposé, au texte du concile : la messe obligatoirement « en français, face au peuple » est devenue une règle de facto qui aurait bien de la peine à se justifier dans les textes.

Vous reconnaissez que l’application de la réforme a été chaotique avec de regrettables dérives : un certain sens liturgique n’a-t-il pas été perdu par trop de bouleversements brutaux en un temps très court et comment le faire renaître ? Où en est-on aujourd’hui ?
La réception de la réforme liturgique et son application ont été perturbées par le phénomène « Mai 68 », caractérisé par une profonde rupture générationnelle. « Du passé, faisons table rase », scandaient les maoïstes de l’université française. Inévitablement cela a déteint sur la vie ecclésiale et a gravement fragilisé les trois grands transmetteurs de la foi : la famille chrétienne, la catéchèse et la liturgie. En moins de deux générations, nous avons tant perdu ! Certaines pertes sont irrémédiables mais ne désespérons pas, car ce n’est pas inédit dans l’histoire de l’Église. La grande peste de 1347 ou la Révolution française ont été des ruptures de transmission bien plus radicales, mais l’Esprit-Saint a toujours su répondre providentiellement à ces drames. Concrètement, il nous faut redoubler d’efforts pour développer la formation liturgique. C’est le sens de Desiderio Desideravi.

Vous écrivez que « l’un des éléments qui sera le plus déterminant pour mener à son terme la réforme liturgique conciliaire est l’orientation commune de l’assemblée et du prêtre pendant la prière eucharistique » : pourquoi est-ce important et pouvez-vous nous expliquer ce paradoxe quand beaucoup pensent que la messe « face au peuple » est précisément un aspect essentiel de la réforme de Paul VI ?
Alors que la célébration versus populum se testait ici et là dans les années 1950, le concile n’a pas retenu cette option. Le face au peuple a certes été rendu possible ensuite, mais la célébration ad orientem reste toujours la norme, même dans le missel français de 2019. Le face au peuple ne reflète donc pas l’essence de la réforme conciliaire. Au contraire ! J’estime qu’une progressive ré-orientation de la messe servira davantage la réforme liturgique, pour au moins deux raisons : d’une part, elle permet de se décentrer du célébrant et ainsi de mieux mettre en œuvre la dimension communautaire et participative de la messe ; d’autre part, elle manifeste davantage que la liturgie eucharistique est tournée… vers le Père (par le Fils, dans l’Esprit). Il importe d’aider les fidèles à approfondir leur relation au Père.

Alors que le concile Vatican II avait fait du chant grégorien le chant de référence de la liturgie, comment expliquer sa disparition, et que faire pour qu’il puisse retrouver une certaine place dans nos liturgies ?
Vatican II « reconnaît dans le chant grégorien le chant propre de la liturgie romaine » et décrète qu’il « doit occuper la première place ». Sa quasi disparition de nos messes paroissiales et diocésaines est un scandale. Pour réintroduire au moins l’introït et les antiennes d’offertoire et de communion, la volonté du curé est nécessaire mais, techniquement, il faut surtout un maître de chœur capable de diriger une schola grégorienne. Or une telle perle rare fait cruellement défaut. Nous retrouvons ici la nécessité de la formation liturgique, sur le long terme, tant au niveau paroissial que diocésain.

Aujourd’hui beaucoup de jeunes se tournent vers la messe dite de saint Pie V en raison de la beauté et de la sacralité qu’elle porte : comment donner une place à cette attente spirituelle et rétablir une paix liturgique aujourd’hui bien malmenée ?
J’aimerais relativiser cet attrait. Certes il y a là beaucoup de positif et de fruits spirituels. Et dans la façon dont le missel saint Pie V est célébré aujourd’hui, nous voyons une grande beauté et une sacralité digne de Dieu. Mais cette forme est aussi très idéalisée. En réalité, le fait de choisir son rite est un phénomène assez moderne, relevant parfois d’une attitude individualiste et consumériste. Il pourrait entraîner un certain relativisme liturgique : « Je choisis ce que je veux… et non pas ce que l’Église veut. » Cependant, plutôt que d’interdire – ce qui apparaît contre-productif, du moins à court terme – j’estime qu’il faut former à un meilleur sens ecclésial et liturgique. Toujours la formation ! Parallèlement, il faut rendre accessible partout une célébration plus digne et fidèle du missel de saint Paul VI. La continuation du missel saint Pie V va grandement aider à cela en jouant le rôle de tuteur, en tirant la forme ordinaire vers le haut. In fine, l’avenir et la paix liturgique appartiennent à l’Esprit-Saint : Il est le maître de la véritable unité, sans uniformité.

Propos recueillis par Christophe Geffroy

Jean-Baptiste Nadler, L’esprit de la messe de Paul VI. Pour un authentique renouveau liturgique, Artège, 2023, 160 pages, 14,90 €.

© LA NEF n° 360 Juillet-Août 360