Cloître de Notre-Dame des Neiges © Thibaut Chourré

Entretien avec les cisterciennes de Notre-Dame des Neiges : « rayonner par la prière »

L’abbaye cistercienne de Boulaur a essaimé à Notre-Dame des Neiges pour y maintenir la vie monastique après le départ des derniers trappistes. Cette installation exige des travaux et, pour soutenir les moniales, nous proposons, en ce carême, une campagne de dons en partenariat avec CredoFunding. Faites un don pour cette belle communauté.

La Nef – Dans quelles circonstances s’est réalisée votre fondation à Notre-Dame des Neiges ? Pourquoi avoir choisi ce lieu ? Pourquoi est-ce déjà un lieu de pèlerinage assez plébiscité ?
Mère Anne –
À la fin du mois de décembre 2021, suite à la décision des frères trappistes qui habitaient le lieu jusqu’alors, nous avons reçu un courrier à l’abbaye de Boulaur pour nous proposer de faire une fondation afin de permettre à la vie monastique de se poursuivre dans cette antique abbaye. Suite à cette demande, toutes les sœurs de notre communauté sont allées visiter Notre-Dame des Neiges. Après mûre réflexion, nous avons décidé de répondre favorablement à cette demande. Nous étions déjà dans la logique d’un essaimage puisque, par la miséricorde du Seigneur, notre communauté de Boulaur compte de nombreuses vocations et que nous avions le désir de transmettre la vie monastique en un autre lieu.
L’abbaye de Notre-Dame des Neiges, sise dans un site exceptionnel, en bon état, et que les frères nous offraient gracieusement avec une grande générosité, présentait de très nombreux avantages pour notre communauté qui a la grâce d’avoir des jeunes sœurs, mais très peu de moyens financiers. Par ailleurs, envisager cette fondation l’année même de la canonisation de saint Charles de Foucauld qui avait été moine à Notre-Dame des Neiges, était très significatif.
Enfin, pour notre communauté, traditionnellement tournée vers l’accueil, nous installer à Notre-Dame des Neiges était particulièrement riche de sens puisque les visiteurs sont très nombreux à venir en ce lieu.

Quels liens conservez-vous avec Boulaur ?
L’abbaye de Boulaur restera toujours notre maison mère et fondatrice très aimée ! Cependant, notre fondation est destinée à devenir complètement autonome dans un délai qui pourrait être assez bref. Nous sommes donc en lien avec Boulaur de manière régulière mais relativement épisodique. Nous travaillons des questions en Chapitre sur place avec elles à peu près deux fois par an en communauté et Mère Abbesse de Boulaur vient environ une fois par trimestre nous rendre visite pendant trois à quatre jours. Par ailleurs, nous profitons, en visioconférence, de cours ou sessions donnés à Boulaur. Le reste du temps, nous nous exerçons à voler de nos propres ailes, mais nous connaissons encore par cœur le numéro de téléphone de nos sœurs en cas de besoin !
Dans un monde qui se déchristianise et comprend de moins en moins le sens et l’utilité d’une vie donnée à Dieu, que représente la fondation d’une abbaye de moniales cisterciennes contemplatives ?
La vie monastique a toujours été un signe de contradiction. Sa dimension eschatologique nous rappelle que notre finalité se trouve en Dieu et que Lui seul peut combler nos vies. Dans un monde déchristianisé et de plus en plus sécularisé, ce signe de contradiction résonne de plus en plus fortement et la fondation d’un monastère, au moment où, malheureusement, de nombreuses abbayes se voient obligées de fermer, est évidemment riche de signification.
À Notre-Dame des Neiges, nous nous inscrivons cependant dans le sillage d’une tradition qui nous précède puisque les frères étaient déjà dans ce lieu depuis 1850. Pour les gens des alentours, la dimension de continuité est très importante. Ils sont profondément reconnaissants que la vie contemplative puisse perdurer à Notre-Dame des Neiges. Avec notre touche propre bien sûr, nous nous efforçons de nous inscrire modestement et joyeusement dans le sillage des frères et d’être, comme nous le sommes tous, les maillons d’une grande chaîne qui relie tous les siècles dans la Tradition de l’Église.

Cette abbaye est-elle adaptée à votre vie religieuse ? Quels travaux envisagez-vous de réaliser et avec quelles échéances ?
L’abbaye de Notre-Dame des Neiges est un lieu exceptionnel et les frères nous ont cédé un monastère « clé en main » déjà très bien aménagé. Nous avons cependant de nombreux projets pour entretenir les bâtiments qui nécessitent en permanence une certaine vigilance ou pour des restaurations parfois importantes et assez urgentes (toitures, plomberie, électricité, etc.). Comme première étape de travaux, nous envisageons de positionner des panneaux photovoltaïques sur les anciens bâtiments des caves viticoles des frères (aujourd’hui désaffectées) afin de gagner en autonomie énergétique. Le coût de l’électricité est un tel gouffre que nous pourrons ainsi réaliser des économies substantielles et financer d’autres travaux.
En effet, plus ambitieusement, nous prévoyons de réhabiliter l’intégralité des anciennes caves pour y mettre de nouveaux ateliers et des activités de production, y déployer l’accueil mais également y constituer un espace de musée sur l’histoire du lieu, la vie monastique, les grandes figures qui ont marqué Notre-Dame des Neiges comme saint Charles de Foucauld.
Nous sommes actuellement en train de réfléchir à ces projets qui se déploieront peu à peu dans les années à venir et dessineront un nouvel agencement des lieux et la physionomie de la communauté.

Avez-vous pu, au cours de l’année écoulée, tisser des liens avec les habitants de votre commune et des environs immédiats ? Comment voyez-vous votre rôle dans cette région ?
Depuis notre arrivée, il y a un an, nous avons eu l’occasion de prendre contact avec les habitants des environs et de l’Église locale. Nous sommes très touchées par la qualité de l’accueil reçu et la grande sympathie que les gens avaient à l’égard des frères. Ceux-ci ont eu un rayonnement considérable sur la région et nous avons la grâce d’en bénéficier. Nous sommes heureuses que notre présence puisse poursuivre la belle relation que les frères trappistes ont bâtie au fil des ans avec leur entourage.
Nous espérons pouvoir nous inscrire dans la dynamique économique locale et le tissu humain. Mais c’est par-dessus tout sur le plan spirituel, que nous avons à cœur de rayonner par notre prière, l’accueil de ceux qui souhaitent venir prier avec nous ou séjourner à l’ombre de Notre-Dame des Neiges.
Une abbaye est un poumon spirituel pour l’Église locale. Le fait que nous soyons au carrefour de plusieurs diocèses nous permet de rayonner au-delà de l’Ardèche, en Lozère, Haute-Loire, et jusqu’à Nîmes, Montpellier ou Marseille, facilement accessibles en train. Les Lyonnais sont également de plus en plus nombreux à venir chez nous pour un week-end ou quelques jours. Quant aux jeunes, familles ou retraitants, ils viennent d’un peu partout en France et parfois même de l’étranger.

À peine installées, vous venez d’ouvrir un noviciat : comment expliquez-vous les vocations qui frappent à votre porte alors qu’elles semblent partout se raréfier ? D’où viennent les jeunes filles qui demandent à entrer, comment vous ont-elles connues ?
Une vocation est toujours un mystère puisqu’elle est un secret d’amour entre Dieu et une âme qu’Il appelle à le suivre. Nous ne saurons donc jamais comment expliquer un tel mystère !
Cependant, nous nous réjouissons profondément d’avoir effectivement pu accueillir très rapidement nos premières postulantes. Nous avons reçu du Saint-Siège en janvier la permission d’ouvrir un noviciat, ce qui sera fait à partir de la première vêture, juste après Pâques.
Les trois postulantes que nous avons accueillies viennent de différentes régions de France mais elles nous connaissent depuis longtemps car elles étaient proches de notre abbaye de Boulaur. C’est à Notre-Dame des Neiges qu’elles se sont senties finalement appelées, et c’est un bel encouragement pour notre jeune fondation. Afin de consolider ce petit groupe de jeunes sœurs et de soutenir la communauté, Mère Abbesse de Boulaur a aussi envoyé une jeune professe temporaire ; nous avons donc quatre sœurs en formation, soit un tiers de la communauté.

Le fait que saint Charles de Foucauld soit passé par Notre-Dame des Neiges a-t-il une signification pour vous, et si oui, laquelle ?
Nous sommes arrivées à Notre-Dame des Neiges l’année de la canonisation de saint Charles de Foucauld, et la messe d’installation a eu lieu le 1er décembre, jour de sa fête liturgique. C’est d’une certaine manière sous son patronage que notre communauté a pris place dans ces lieux. Nous sommes bien sûr très touchées par cette magnifique figure de sainteté que nous apprenons peu à peu à mieux connaître.
Quand il nous a accueillies, Monseigneur Jean-Louis Balsa, alors évêque de Viviers, nous a dit qu’il comptait sur nous pour faire rayonner la figure de saint Charles de Foucauld à Notre-Dame des Neiges. En lien avec le diocèse et ceux qui le souhaiteront, nous allons réfléchir dans les années qui viennent à la manière de répondre à cette demande.

Comment définiriez-vous votre vocation propre, ainsi que sa spiritualité ?
Nous sommes religieuses de l’Ordre cistercien et appartenons donc à la grande tradition bénédictine. La structure de nos journées est donc établie par le chant de l’Office divin en communauté dans notre église abbatiale qui nous réunit sept fois par jour de 5h15 le matin à 21h le soir. La louange divine est notre première mission au cœur de l’Église et du monde.
Ensuite, il me semble que notre vie peut se résumer en quatre points : prière, travail, vie fraternelle, hospitalité. À cela, il faut ajouter les touches propres à notre Ordre que sont certainement la communion et la simplicité.
En effet, dans toute la tradition cistercienne, depuis les premiers siècles, nos pères ont eu à cœur, non seulement de retrouver l’authenticité de la Règle dans la pauvreté et le travail manuel, mais aussi de cultiver des liens forts entre les monastères et membres de l’Ordre. Cette dimension de communion est encore très vivante dans notre Ordre aujourd’hui mais également dans nos relations fraternelles en communauté. Le dialogue communautaire, les activités commu­nes (travaux, services quotidiens, étude, récréations…) prennent une place importante dans nos journées. Ce souci de la vie communautaire et du partage fraternel nous permet de construire des liens profonds entre nous, solidement enracinés dans le Christ. C’est un soutien fort à notre fidélité.

Le travail tient une place importante à côté de la prière : quel sens le travail revêt-il pour vous, à quels travaux vous adonnez-vous ici et comment s’établit l’équilibre entre travaux manuels, travail intellectuel et prière ?
La force de la vie selon la Règle de saint Benoît est l’équilibre entre chacune des activités qui la constitue. Saint Benoît nous invite à vivre chacun de ces temps en étant profondément enracinées dans l’instant présent. Le Seigneur nous donne rendez-vous dans chacune de nos activités. Elles revêtent donc tour à tour leur importance, ce qui exige que nous les abordions avec attention et sérieux. Tout devient ainsi unifié dans la prière et devient aussi également une sorte de « travail ». Saint Benoît utilise d’ailleurs le terme « Opus Dei » (« œuvre de Dieu ») pour parler de la prière chorale de l’office. C’est tout à fait significatif. Ici, la notion de travail n’est évidemment pas à entendre comme un lieu de souffrance (bien que cette vigilance à l’instant présent passe par une certaine ascèse) mais comme un temps à vivre dans un plein engagement de tout notre être et toutes nos compétences.
Il n’y a pas dans notre vie d’un côté le travail et de l’autre la prière, comme s’il y avait d’un côté la vie profane et de l’autre la vie spirituelle. Dans la Règle, tout est à la fois bien ordonné pour que chaque chose soit à sa place sans que les différents temps se mélangent, et profondément unifié dans le même service du Seigneur à travers le service de l’Église et de nos frères. Le liant de notre vie devient ainsi la charité.
Ceci étant dit et pour répondre à votre question de manière plus prosaïque, à Notre-Dame des Neiges, nous sommes en train de mettre en place une activité économique de production. Nous allons développer une gamme de produits d’entretien entièrement naturels à base de plantes. Elle sera commercialisée aux alentours de Pâques, à Notre-Dame des Neiges, dans différentes boutiques d’abbayes et sur des sites de vente en ligne. Aucune communauté monastique ne réalise à ce jour ce type de produits qui sont pourtant si nécessaires au quotidien pour prendre soin de notre lieu de vie et de ceux qui y habitent. Ce travail correspond aussi très bien au site très préservé de Notre-Dame des Neiges et souligne notre préoccupation de préserver la Création que Dieu nous confie.

Quel sens a pour vous la tradition de l’accueil monastique ? En voyez-vous concrètement la fécondité ?
À Notre-Dame des Neiges, la tradition d’accueil est forte et, pour notre première année dans les lieux, nous avons comptabilisé pas moins de 10 000 nuitées à l’abbaye. 3500 d’entre elles représentent l’accueil des marcheurs du chemin de Stevenson, les autres étant les hôtes de notre hôtellerie monastique.
L’accueil des marcheurs est une spécificité de Notre-Dame des Neiges qui se trouve être sur le chemin de grande randonnée n° 70, emprunté jadis par le célèbre auteur de L’île au trésor. Il en est sorti son fameux ouvrage : Voyage dans les Cévennes avec un âne. Tous ne passent pas chez nous, mais ce ne sont pas moins de 15 000 personnes qui mettent chaque année leurs pas dans ceux de Stevenson. L’accueil de ces visiteurs est très riche sur le plan humain et ouvre de belles perspectives sur le plan missionnaire, puisque nous prenons toujours un petit temps pour louer le Seigneur avec eux au moment du service du dîner. Nombreux sont ceux qui viennent à l’office des vêpres ou des complies. Nous avons la grâce de voir les bienfaits du Seigneur dans leur vie à travers les centaines de témoignages et d’intentions de prière qu’ils nous laissent en reprenant leur route. L’une des marcheuses, par exemple, nous écrivait dans le livre d’or qu’après l’office de complies, elle s’était sentie « lavée de l’intérieur ». Quel beau résumé de l’action du regard du Christ sur nous !

Nous vivons une époque qui peut apparaître comme troublée, aussi bien dans la cité politique que dans l’Église : comment percevez-vous les choses ? Les troubles du monde vous atteignent-ils ? Et que répondre aux chrétiens qui s’inquiètent de la situation de ce monde et de leur Église ?
Le monde dans lequel nous vivons est particulièrement marqué par la perte de sens, la violence, des tensions multiples, la désespérance… Nous sommes solidaires de ce monde par bien des aspects et, d’un autre côté, nous nous efforçons par notre clôture et notre vocation de louange et de prière, de ne pas être « du monde » au sens johannique du terme. La vocation monastique est là pour rappeler de manière forte que notre Cité se trouve dans les cieux, que notre finalité, c’est la vie éternelle.
Le Christ a vaincu le mal et la mort au matin de Pâques. Nous ne devons pas vivre comme si ce n’était pas arrivé. Notre foi chrétienne doit radicalement changer notre regard sur le monde pour le colorer de la lumière pascale. C’est une certitude de foi et une responsabilité majeure dont les chrétiens ont à témoigner joyeusement face au monde contemporain.
Le Christ veille sur son Église depuis 2000 ans et ne va certainement pas arrêter de le faire aujourd’hui. Le Créateur bénit le monde et l’enveloppe de son amour depuis le premier jour de l’histoire et ne va certainement pas s’arrêter.
La question qui s’offre à nous, à chacun de nous, est : « Dans l’aujourd’hui de ma vie, dans l’instant présent que Dieu me donne, vais-je rayonner de son amour et de la joie que me donne la certitude de sa victoire ? »

Propos recueillis par Christophe et Élisabeth Geffroy

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  • Pour joindre les moniales : https://www.notredamedesneiges.com/
    communaute@ndneiges.org / 04 66 46 59 00.

© LA NEF n° 367 Mars 2024