Paul Verlaine

Verlaine, ange et boue

«Un ange qui se noie dans la boue ». Telle fut, pour Verlaine, la formule que proposa Bloy au dessinateur d’une anthologie illustrée de la littérature française. C’était un condensé aussi juste que triste de la vie de ce clochard pathétique et sublime, agenouillé tantôt devant Dieu, tantôt devant Sodome. En publiant ce choix chronologique de lettres, Fayard permet de parcourir à nouveau l’itinéraire personnel et poétique de celui qui, dès 14 ans, envoya au maître Victor Hugo un poème qu’on pourrait croire écrit par Hugo lui-même. Les lettres qui suivent nous montrent Verlaine tiraillé entre sa femme Mathilde et Rimbaud, envoyant un poème à son fils Paul, discutant le choix d’une couverture avec un éditeur, faisant des jeux de mots d’humoriste du Chat-Noir (« il faut battre le frère pendant qu’il est chauve »), commençant à écrire une tentation de saint Antoine « moins bête et moins longue » que celle de Flaubert ou découvrant que « c’est tout de même emmerdant, la pauvreté ».
La très bonne idée de Fayard est d’avoir systématiquement laissé, à la fin des lettres, les poèmes que Verlaine envoyait. Cela donne une petite anthologie, en contrepoint ou en contrechant des propos de la lettre. Au cœur de ce petit volume résonnent les mots de la conversion en prison, qui donna le recueil Sagesse : « De rudes expériences et de grandes grâces ont opéré cette espèce de miracle, si bien qu’à présent toute mon ambition, toute ma vie tiennent en deux mots : Sagesse et Foi ! »
Certes, en écrivant cela, Verlaine ignorait que de nombreuses rechutes l’attendaient, et que les mots Sexe et Alcool offriraient un jour un meilleur résumé de son existence. La boue où s’est noyé l’ange est bien présente ici, notamment dans la régression vers une fascination pornographique et excrémentielle. Contrairement à ce qui se passe chez Bloy, le scatologique n’apparaît hélas guère eschatologique. À lire toutefois l’évocation de l’Amitié chaste qui « vient prier, comme au lit d’un mourant qui blasphème », on se convainc aisément que l’ange, même s’il n’a pas toujours su changer sa boue en or, a pu, comme Caïn Marchenoir, entrer « au Paradis avec une couronne d’étrons ».

Henri Quantin

  • Paul Verlaine, L’Insaisissable. Lettres choisies, Fayard, 2024, 192 pages, 14 €.

© LA NEF n° 367 Mars 2024